Armand Lanoux parle de Germinal d'Emile Zola

1885
05m 18s
Réf. 00010

Notice

Résumé :

Le Magazine du mineur consacré à Germinal fait évoluer le personnage de Zola sur les lieux qui l'ont inspiré pour son roman. Armand Lanoux explique que celui-ci s'est beaucoup documenté visitant corons et puits de mines. Zola fait en premier un travail de journaliste en allant constater les faits puis il met en valeur des informations en utilisant les codes du feuilleton en opposant les classes bourgeoise possédantes et la classe ouvrière. Une construction épique avec une histoire d'amour.

Type de média :
Date de diffusion :
02 juin 1963
Date d'événement :
1885
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Émile Zola, écrivain naturaliste de la seconde moitié du XIX° siècle, se fixe pour objectif dans ses romans, plus particulièrement dans la grande série – une vingtaine de titres - des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire (1871-1893), dont Germinal fait partie, de donner de la société de son temps, des conflits qui l'agitent et des injustices qui la caractérisent, une vision la plus proche possible de la réalité. Dans ce but, il adopte une méthode de travail tout à fait particulière, peu en usage chez les hommes de lettres de son temps. Il se documente par le biais d'études de différentes origines et par la lecture des journaux, avant de mener, lui-même, sur place, une enquête de terrain, avec interviews des différents acteurs qu'il compte mettre en scène dans son récit.

Au cours de la phase préparatoire à l'écriture de Germinal, Émile Zola lit abondamment et prend de multiples notes, sur ses lectures, dans ses fameux "carnets" d'enquête. De La science économique (1881) du journaliste et homme politique Yves Guyot, qui le renseigne sur les crises économiques, en passant par le très classique ouvrage de Louis-Laurent Simonin, La Vie souterraine (1867), qui l'informe sur le fonctionnement général du travail sous terre, sans parler de l'étude du médecin belge H. Boëns-Boissau, Maladies, accidents et difformités des houilleurs, paru en 1862, qui permet de comprendre toutes les caractéristiques physiques du mineur, Zola puise dans tout ce qui disponible, au début des années 1880, sur la mine. Les articles de presse lui permettent de suivre les conflits qui se déroulent dans les différents bassins miniers de France, mais c'est surtout sa visite à Anzin (Nord), du 23 février au 3 mars 1884, où 12 000 mineurs sont en grève depuis quatre jours, qui permet au père des Rougon-Macquart de voir lui-même les conditions de vie et de travail des "gueules noires", mais également l'ambiance qui règne entre les différentes parties prenantes du conflit. Accompagné par le député socialiste Alfred Girard et par un ingénieur du nom de Mercier, Zola visite corons et galeries souterraines et participe à des réunions syndicales. De ce voyage, il rentre avec une documentation vivante et une conscience aigüe de tous les maux qui minent cette société de houilleurs.

Il se met alors à la construction d'un roman, qu'il veut mettre à la portée du public le plus large possible, d'un feuilleton – un genre littéraire particulièrement prisé dans la seconde moitié du XIX° siècle qui paraît dans la presse, par épisodes – opposant le Capital - représentée ici par les compagnies minières et leurs dirigeants qui défendent les intérêts de leurs actionnaires – et le Travail, qui prend, dans Germinal, le visage des mineurs et de leurs familles réclamant des salaires décents et de quoi renouveler leur force de travail. Cet ouvrage "magistral", "épique", tel que le décrit Armand Lanoux, est à la fois la description d'une guerre sociale et un roman d'amour dans lequel l'héroïne, Catherine, est l'image même du prolétariat exploité.

Deux films seront tirés du roman d'Émile Zola. Le premier Germinal est tourné par Yves Allégret et sorti sur les écrans en 1963. Ce film n'a pas connu un grand succès. Néanmoins, le scenario est très fidèle au récit de l'écrivain naturaliste. Le second film tiré du roman d'Émile Zola est celui de Claude Berri datant de 1993. Ce dernier eu un grand succès. Ces deux films témoignent de l'intérêt que les réalisateurs continuent à porter à la grande saga des mineurs.

Diana Cooper-Richet

Transcription

Armand Lanoux
Il s’est rendu sur les lieux avec une foudroyante efficacité comme toujours. On s’est beaucoup moqué de la manière que Zola avait de travailler, cette manière a fait école. Et il faut dire que si Zola passait peu de temps, je crois que pour le Germinal , il n’a pas dépassé trois semaines ; c’est vrai, il savait admirablement utiliser toute la documentation livresque et ses amis et prendre des notes et Zola savait admirablement questionner et écouter.
Comédien
Visitez la mine Monsieur Zola, tant que vous voudrez. On produit trop de charbons dans le monde, 360 millions de tonnes en 1883 au lieu de 200 en 1870, la surproduction. Que puis-je faire moi, entre les actionnaires qui veulent de plus de plus de dividendes et les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire. N’est-ce pas mon cher [Dubus] ? Vous le mènerez plutôt dans les galeries sèches, il n’est pas nécessaire que…
Armand Lanoux
C’est un halluciné en même temps, c’est un homme qui a une extrême sensibilité, c’est un admirable récepteur. Alors il lui suffit de descendre en quelque sorte, dans ces 475 mètres, dans les fonds et puis d’aller dans les galeries, et puis de regarder comment les gars travaillent et de les écouter pour se mettre à leur place ; pour s’identifier à eux, pour vivre leur vie, et pour la sentir de l’intérieur. C’est du mimétisme, qu’est-ce que c’est que le journalisme sinon cela, c’est ça le journalisme.
Michel Chastant
Mais par-delà la recherche de l’information, Zola est journaliste également dans l’exposé des faits, dans le déroulement, dans la trame de son roman.
Armand Lanoux
Il construit le roman et construit d’une façon qui dépend en effet du journalisme mais qui le déborde très largement. Je vous ai parlé de feuilleton tout à l’heure, c’est très important ça. Le roman du 19e siècle touche un très vaste public parce qu’il veut toucher un très vaste public, et parce qu’il emploie des moyens d’exposition très simples et des moyens d’expression très simples. Mais on serait sur une mauvaise idée si on restait à la notion de journalisme parce que de notre temps, le mot journaliste est devenu quelque peu gênant, quelque peu péjoratif, c’est autre chose que cela. Il y a l’information journalistique pour Zola sur la mine, sur la situation des mineurs et puis il y a la mise en valeur des renseignements acquis, des renseignements, de l’information si vous voulez qu’il a acquise et qui est considérable ; et ça, il le met en valeur d’une façon magistrale comme un très grand romancier. Et il emploie ces moyens, il emploie ces moyens dans les moyens même du feuilleton. C’est-à-dire la construction extrêmement simple, c’est construit en sept parties, il y a un parti bleu et un parti rouge, comme dans les grands manœuvres si vous voulez, c’est une espèce de guerre. Un beau roman, un roman, même un roman d’amour, c’est toujours une guerre, il y a toujours un parti bleu et un parti rouge et un qui va l’emporter des deux, n’est-ce pas, à la fin, c’est ça un roman. C’est le choc de deux forces, eh bien il y a d’un côté cette classe possédante, cette bourgeoisie ascensionnelle des mines du temps de Zola, du temps de La Ricamarie du temps des grèves de Saint-Aubin et de tout ce qui avait pu frapper l’imagination de Zola lorsqu’il avait su à l’époque, lorsqu’il avait lu à l’époque, il y a ça ; cette bourgeoisie qui est d’ailleurs très bien analysée et très bien définie dans cette espèce de bonne conscience qu’elle a. C’est un mot qui n’existait pas à l’époque, la bonne conscience. Nous le connaissons maintenant et quand nous pensons à la bourgeoisie possédante des mines de l’époque, on est bien obligé de penser qu'elle a la bonne conscience ; alors que la classe ouvrière, elle a mauvaise conscience, elle n’a pas encore dominé sa, elle n’a pas encore dominé sa condition prolétarienne. Elle est sous le coup de la stabilité prolétarienne qui est terrible. Et ces deux forces sont en opposition, et elles vont se battre comme dans un très grand feuilleton, comme dans Roger la Honte ; comme dans n’importe lequel des très grands feuilletons ou des très grands romans, n’est-ce pas ? Et puis alors, d’un autre côté, vous avez cette montée lyrique du roman d’amour, qui est un petit roman d’amour entre le personnage principal qui est Lantier et Catherine la hercheuse, la tendre et touchante Catherine, la petite malheureuse qui est l’image sentimentale même de la condition ouvrière telle que la voit Zola. Alors, vous avez le roman la guerre, le roman brutal, l’élément mal, l’élément positif de ces forces sociales en conflit. Conflit qui a beaucoup changé mais qui n’est pas encore terminé, nous le savons bien. Et puis, en entrelacs, le roman d’amour comme un petit chant de flûte sur les grosses fanfares venues du fond. Voilà la construction, c’est une construction magistrale et c’est une construction épique qui correspond en même temps au style de Zola ; qui est un style à la fois sobre, plein de répétition, plein de ce que nous appellerions des faiblesses. Si en même temps, ça n’était pas l’outil parfaitement adapté au but que Zola s’était donné, toucher le plus grand nombre de gens possible avec des idées simples qui n’avaient jamais encore été exprimées.