Louis Daquin parle du Point du jour

décembre 1948
02m 16s
Réf. 00015

Notice

Résumé :

Le réalisateur Louis Daquin revient dans sa ville natale de Calais pour évoquer sa carrière de metteur en scène. En voix off, Jean Maillant, réalisateur, évoque l'importance de Gremillon et de Daquin dans le cinéma français. Sur des photographies noir et blanc du tournage, Louis Daquin explique les raisons pour lesquelles il a réalisé Le point du jour. Max Douy, décorateur, estime que Daquin, responsable CGT, a payé très cher cette activité syndicale.

Type de média :
Date de diffusion :
21 décembre 1977
Date d'événement :
décembre 1948
Source :

Éclairage

Louis Daquin (1908 – 1980), d'abord assistant de Grémillon, réalise sous l'Occupation ses premiers longs métrages : Le Voyageur de la Toussaint et Premier de Cordée. Engagé dans la Résistance, il est secrétaire général du Comité de Libération du Cinéma Français, puis devient secrétaire général du Syndicat des techniciens du film à la Libération. Il participe à la création de la Coopérative du Cinéma Français qui a notamment produit La Bataille du Rail de René Clément. Parallèlement, il réalise plusieurs films à forte dimension sociale et militante, parmi lesquels Le Point du Jour. A son actif également, La Grande lutte des mineurs, documentaire interdit par la censure, qui témoigne des grèves de 1947 et 1948. Son adaptation de Bel-Ami de Maupassant en 1955, connaîtra également de nombreuses modifications avant de pouvoir sortir sur les écrans en 1957.

Le 25 août 1948, Nord-Éclair titre en première page "Quand les mineurs font du cinéma. A Liévin où Louis Daquin tourne Le Point du Jour". Une des caractéristiques essentielles de ce film est en effet son tournage en décor réel, avec de vrais mineurs. Le Point du Jour est un projet que Louis Daquin mûrit depuis 1946. A la fin de cette année, son producteur, Paul Shapira, est d'accord sur le principe d'un tel film et reçoit un avis favorable des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

Le film met en scène un jeune garçon qui ne veut pas travailler à la mine mais qui découvre l'amour de son métier, en même temps qu'un jeune ingénieur venu de Paris (Jean Desailly) qui veut travailler en étroite relation avec les ouvriers. Le délégué syndical les aiguillera dans cette découverte. C'est aussi l'histoire de Marie (Loleh Bellon), une jeune trieuse, amoureuse de Georges (Michel Piccoli). Marie ne veut plus épouser le jeune homme quand elle comprend qu'il ne souhaite pas la laisser travailler après le mariage.

Le projet va connaître différentes étapes d'écriture avec d'abord un changement de scénariste. Roger Vaillant, père de la première version quitte le projet et cède la place à Vladimir Pozner qui travaillera sur les versions suivantes. S'engagent alors des pourparlers avec la direction des Houillères qui, après les grèves de 1947, se montre beaucoup moins favorable à ce projet. Témoin des divergences entre la production et la direction : un accord conclu le 25 mai 1948. 65 coupes, restrictions et modifications, sont apportés au scénario. On peut dégager trois grandes lignes dans cette censure exercée par le service de communication des Charbonnages.

Tout d'abord, un personnage, celui du vieil ingénieur illustrant l'époque "d'avant la nationalisation", fait l'objet de nombreuses petites modifications pour le rendre moins autoritaire. Dans des notes de lecture, la direction des Houillères s'interroge "Pourquoi s'obstiner à comparer la vie de la mine avec la vie militaire ? ". Ensuite, le film doit être cohérent avec la propagande du moment : on amoindrit le niveau de silicose, on évite de parler des amendes. Et quand Louis Daquin décrit dans son scénario les craquements de la mine, on peut lire dans la marge l'annotation "contre-propagande". Mais les modifications les plus importantes concernent l'histoire de la mine, et notamment l'évocation que souhaite faire Louis Daquin de la catastrophe de Courrières : la date sera supprimée du commentaire, le nombre de victime passe de 1100 morts à "Plus de 300", le nom du puits est modifié.

Le film est projeté pour la première fois à Paris, fin décembre 1948. Mais les habitants du bassin minier devront attendre le mois de décembre 1949 pour le voir. Ce délai surprend lorsqu'on lit que Louis Daquin avait promis une grande avant-première à Lens. Les raisons d'un tel retard sont obscures mais plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Le tournage de ce film se situe entre deux moments d'agitation sociale intense : les grèves de 1947 et 1948. On sait que Daquin avait filmé les grèves de 1947. Ce film d'un réalisateur communiste n'est certainement pas vu d'un bon œil. De plus, que penser du discours véhiculé par le film, prônant une réconciliation entre ouvriers et ingénieurs ? Après des semaines de durs conflits, il doit sembler bien anachronique et témoigne de la complexité des relations entre l'histoire d'une région et l'histoire du cinéma.

Estelle Caron

Transcription

Jean Maillant
C’est-à-dire toute la leçon de cet extraordinaire cinéma qui existait avant guerre, qui aurait dû avoir le même essor, la même richesse que le cinéma italien a aujourd’hui depuis 40 ans. Et bien en fait, ce cinéma il est mort avec les échecs de Daquin, pour une certaine catégorie de personnes qui ont envie de montrer notre réalité ; qui ont envie de parler du présent avec le moyen qu’est le cinéma. Daquin était l’assistant d’un des metteurs en scène que j’aime le mieux, qui s’appelle Jean Gremillon. Je crois qu’il a beaucoup aussi retenu les leçons de Gremillon et il y a une ligne, je crois, qui va avec Gremillon et Daquin et puis après, ben, il faudra peut-être la continuer mais c’est difficile.
Louis Daquin
Pourquoi j’ai réalisé Le Point du Jour ? Je voulais sortir du studio, enfin, c’est une image. Je voulais en réalité m’orienter vers un cinéma qui tout en étant de fiction, appréhende une réalité sociale, quelle qu’elle soit d’ailleurs. Je voulais sortir des sujets conventionnels, stéréotypés, lénifiants, mensongers. Et aussi, j’ai voulu faire un film sur les travailleurs. Pourquoi les travailleurs ne seraient-ils pas, eux aussi, les personnages d’un film ? J’ai choisi les mineurs, c’est simple, parce que toute une partie de ma famille habitait le Bassin minier que j’ai traversé souvent dans mon enfance et cela m’avait toujours beaucoup impressionné.
Max Douy
A la Libération, un plan, je ne dirais pas de sauvetage du cinéma mais un plan qui impliquait la continuité du cinéma français qui existait. Et Daquin s’est absolument sacrifié à ce travail. Je dis bien sacrifié parce qu’à cause de cette activité où il est apparu très vite comme un des plus efficaces et un responsable donc, Louis Daquin qui était secrétaire général de la CGT a payé très cher cette activité de merveilleux syndicaliste.