Les grèves à l'Escarpelle et l'expulsion des polonais en 1934

août 1934
03m 59s
Réf. 00138

Notice

Résumé :

Dans les années 1930, la crise économique touche les mineurs. Les mineurs étrangers, en premier lieu les Polonais, sont montrés du doigt. Jan Wojcieszak explique que des grèves qui ont été menées à cause des expulsions mais aussi contre les conditions de travail qui étaient trop dures. A la fosse 10 de l'Escarpelle et à la cité du Bois de Leforest, la grève a immédiatement entraîné l'expulsion des mineurs polonais. Documents d'archives (Pathé) sur l'expulsion.

Type de média :
Date de diffusion :
25 novembre 1981
Date d'événement :
août 1934
Source :

Éclairage

L'environnement politique, économique et social est rude dans la première moitié des années 1930 pour le monde du travail en général et les mineurs polonais en particulier, installés en France par milliers depuis l'après-guerre, singulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais.

L'Europe s'est couverte de régimes autoritaires et dictatoriaux ; en France, les ligues d'extrême droite agitent la vie politique. La crise et la montée du chômage touchent les usines et les mines. Dans les bassins, les compagnies ferment des puits. Ainsi dans le Nord-Pas-de-Calais, les effectifs tombent de 190 000 en 1927 à 140 000 en 1935. Variables d'ajustement dans un contexte de stigmatisation des étrangers, les mineurs renvoyés sont souvent des Polonais. En 1934, la Statistique de l'industrie minérale signale que "la persistance et la gravité du chômage ont rendu nécessaire le licenciement d'une partie du personnel étranger, 4 750 ouvriers environ ont été évacués en 16 convois de rapatriement".

Cette année-là, la tension est à son paroxysme. Après la manifestation du 6 février qui secoue la République, les mineurs polonais participent en nombre aux contre-manifestations du 12 février lancées par la CGT et la CGTU. Ils rejoignent l'avant-scène de la mobilisation sociale. En témoigne aussi l'arrêt du travail qui se produit du 6 au 8 août 1934 aux fosses n° 6 et 10 des mines de l'Escarpelle, à Leforest. Au début du mois, des mineurs polonais ont reçu des arrêtés d'expulsion. A cela s'ajoute la dureté de leurs conditions de travail (punitions, déclassements, etc.). Ils décident donc de réagir par une grève marquante en raison de la méthode employée : ils restent au fond pour occuper la mine. Cette pratique, popularisée par les grèves de 1936, n'a encore quasiment jamais été employée en France lorsque ces Polonais l'utilisent. Ailleurs, des occupations d'usines ont certes été relevées dès 1917 en Russie et à l'été 1920 en Italie. Mais il faut plutôt attendre les années 1930 pour voir ce moyen de pression commencer à se banaliser, sous l'impulsion des mineurs européens. En 1931 par exemple, les "gueules noires" de la mine polonaise Hortensia l'utilisent. A l'ouest du continent, il émerge à partir de 1933-1935 chez les mineurs anglais et les métallurgistes espagnols. C'est donc bien l'univers de la mine qui participe le plus souvent à son extension géographique. Et il est envisageable de penser que les Polonais installés en France ont eu connaissance de la pratique employée par les camarades de leur pays d'origine (1). Son efficacité s'affirme, comme le souligne dans ses mémoires Thomas Olszanski, syndicaliste CGTU actif lors de la grève de l'Escarpelle (2) : "Dans le puits, on ne pouvait pas envoyer une division de gendarmerie montée pour charger les grévistes, sabre au clair. On ne pouvait pas non plus envoyer des briseurs de grève, car l'ascenseur qui les transporterait serait bloqué".

A l'orée de son 4ème jour, l'occupation est suspendue à Leforest et promesse est faite que les grévistes ne subiront pas de représailles. Pourtant, rapporte Olszanski, "tout de suite après la fin de la grève, les membres du comité de grève furent arrêtés pendant la nuit et envoyés à la prison de Béthune, et le lendemain, cent cinquante familles de mineurs polonais reçurent l'ordre des autorités françaises de quitter la France dans les 24 heures ". Si l'expulsion des familles polonaises sous escorte a bien lieu, la pratique qu'ils ont initiée reste dans la mémoire des luttes. Après la Seconde Guerre mondiale, la profession minière fait en effet partie de celles qui en usent le plus volontiers.

(1) Stéphane Sirot, Les usines occupées , Les Cahiers de l'Institut d'Histoire sociale Mines-Énergie, n° 12-13, mai 2006, p. 26-29.

(2) Un militant syndicaliste franco-polonais. La vie errante de Thomas Olszanski, 1886-1959, cité dans Mineurs immigrés. Histoire, témoignages, XIXe-XXe siècles, Montreuil, Institut d'histoire sociale minière/VO Éditions, 2000, p. 171-177.

Stéphane Sirot

Transcription

Jean Wroblewski
Et on a commencé à entendre dire autour de nous que s’il n’y avait pas les Polonais en France, il n’y aurait pas la crise. On entendait même dire, bon, ils sont venus manger notre pain, il serait temps, qu’on pense à les foutre dehors. Voyez tout ce qu’on peut sortir dans des périodes aussi pénibles. Ensuite, c’était l’avènement du gouvernement Laval. Alors là, c’était vraiment la catastrophe.
Jan Wojcieszak
Laval, il ne voulait plus voir ici des Polonais et des étrangers. Parce qu’il y a le chômage, alors il voulait expulser les Polonais comme ça. Puis, nous on est arrivés ici avec valises puis pour partir seulement nos valises aussi. Nous, on a fait des grèves ici à cause des expulsions, mais plus des comme ça parce que le travail était trop dur. Il y a des rouleurs,qui poussent deux balles d'un seul coup, c’était trop lourd. Il y a des places qu’ils pouvaient aller, parce qu’on descendaient un petit peu, ça pouvait aller. Mais il y a des places qu’on ne pouvaient pas, et pour ça, ils demandaient, mais c'était trop dur.
(Bruit)
Antoine Wachowiak
Ils ont fait grève, et en maintenant des porions au fond Tout de suite, une mesure d’expulsion est venue. J’ai vu l’expulsion des mineurs, ça je l’ai vue.
(Musique)
(Bruit)