La Résistance à partir de 1943

02 décembre 1981
04m 52s
Réf. 00141

Notice

Résumé :

Jean Wroblewski et Louis Lethien, interrogés dans "Les Mémoires de la mine", évoquent la résistance de l'ensemble des mineurs contre l'occupant allemand, leur patriotisme et leur courage.

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Date de diffusion :
02 décembre 1981
Source :

Éclairage

Quarante ans après, d'anciens travailleurs des Houillères retracent les formes de la Résistance dans le Nord-Pas-de-Calais.

La région, rattachée à l'administration militaire de Bruxelles, est incluse dans la "zone interdite", contrôlée par la Gestapo et la police allemande pour optimiser l'approvisionnement en matières premières de la machine de guerre nazie. Or, le lieu de travail est au cœur des actes résistants des mineurs. Le freinage de la production est la méthode précoce, mais délicate qu'ils utilisent : surveillés, ils s'exposent à la répression et à des pertes de salaire, calculés à la tâche. Dès la mi-mai 1940, des sabotages sur les installations et les trains se produisent, puis s'intensifient à mesure que se renforce la Résistance. Mais l'allongement du temps de travail compense un moment les pertes et il faut attendre le second semestre 1943 pour que la baisse de la production s'accentue (1).

L'arme du conflit social est aussi employée ; elle expose davantage encore à la vindicte allemande. La grève des mineurs de mai-juin 1941 est à cet égard emblématique. Elle donne pourtant un coup d'accélérateur à la Résistance. En octobre 1943 survient un autre conflit d'envergure qui, comme en 1941, mêle revendications prosaïques et rejet de l'occupant. De nombreux arrêts de travail plus limités jaillissent en outre régulièrement.

L'année 1943 est cruciale, comme y insistent les témoins. Syndicalement, la Fédération clandestine du Sous-Sol est reconstituée sous l'égide du communiste Victorin Duguet. Les organisations de la Résistance se développent et se rapprochent. A partir de 1941, les réseaux se sont multipliés et sont de plus en plus actifs. Ainsi La Voix du Nord, du socialiste Jules Noutour et du catholique Natalis Dumez, Libération-Nord, majoritairement socialiste, l'Organisation civile et militaire (OCM) où se côtoient démocrates-chrétiens, conservateurs et socialistes, ou encore l'Organisation spéciale qui, côté communiste, donnera naissance aux FTPF. Puis la création des Comités départementaux de libération, tel celui du Pas-de-Calais en novembre, permet de mieux coordonner la résistance. Celle-ci enrôle aussi des étrangers, dont de nombreux mineurs qui forment la majorité des Polonais engagés.

Les actions, outre les sabotages, sont classiques : presse clandestine, tracts, aide aux réfractaires du STO, réseaux de renseignements et d'évasion... Les initiatives plus militaires sont moins répandues. Les approvisionnements en armes sont aléatoires, la force allemande est imposante : c'est pourquoi "dans le Nord, la présence de la résistance était surtout sensible par des actions ponctuelles, on n'y trouve pas de grands maquis ou de colonnes rapides de résistants" (2).

Avec le débarquement allié, les FFI commencent à "nettoyer la région", pour reprendre l'expression de Jean Wroblewski. Le 21 août 1944, une grève insurrectionnelle commence. Des combats ont lieu autour des fosses et des puits. Le 1er septembre, les Alliés atteignent le Nord-Pas-de-Calais. Ce même mois, toutes les concessions sont libérées ; le bassin minier du Nord l'est entièrement par les FFI.

L'heure est alors à la participation à la guerre jusqu'à la victoire ou au retour à la mine. Dès le 28 août, le syndicaliste communiste Henri Martel a lancé de Londres un appel aux accents de "bataille de la production" : "Dans les bassins libérés les mineurs furent au premier rang dans les combats victorieux (...). Aujourd'hui, la rage au cœur, ils sont redescendus à la mine, ils redoublent d'ardeur à l'ouvrage, afin d'intensifier les productions de guerre."

(1) Georges Tiffon, "La production de charbon en France pendant la guerre 1939-1945", Cahiers de l'Institut d'Histoire Sociale Minière, n° 4, septembre 1994.

(2) Edmond Gogolewski, "La participation des résistants polonais à la libération du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais", Mineurs immigrés. Histoire, témoignages XIXe-XXe siècles, Montreuil, Institut d'histoire sociale minière/VO Éditions, 2000, p. 269.

Stéphane Sirot

Transcription

Jean Wrobleski
Voilà, la résistance grandissait de jour en jour. Bon, on faisait de moins en moins de charbons. Les tailles, elles étaient vraiment, ce qu’on appelle, sabotées à ce moment-là. Bon, quand il y avait des ordres donnés, on faisait tout le contraire de ce qu’on nous demandait de faire de manière à ce qu’il en sorte le moins possible. Puis, c’est seulement, disons, vers les années 43 qu’on a commencé à entendre parler véritablement de la Résistance. Il y avait déjà des actes par les FTPF, il y avait d’autres formations. On entendait parler de toutes sortes de formations qui commençaient véritablement à passer aux actes de sabotage. Et c’est ainsi qu’un jour, nous étions au fonds, puis quelqu’un nous téléphone que bon, le tri est terminé ; parce que toutes les locos, on a fait sauter les essieux des locos au dépôt des machines. Bon, on peut dire que c’était vraiment là le coup de démarrage. Alors là, petit à petit, on commence à entendre parler qu’on pouvait aller s’enrôler dans des groupes. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre contact avec un copain, qui me disait : bon, il faudrait que tu viennes à une réunion ce soir, puis prendre contact avec d’autres copains ; parce qu’on a l’intention quand même de ne pas rester comme ça. Et il faut faire quand même quelque chose de plus fort en s’inspirant bien sûr de ce qui se passait par ailleurs. Et c’est comme ça, disons, que je suis rentré dans un mouvement dont je ne connaissais pas l’existence. Mais j’ai appris que le nom, c’était Libération Nord. Et c’est comme ça que je me suis trouvé enrôlé dans un mouvement de Résistance.
Jacques Renard
Est-ce que vous avez eu des parachutages comme d’autres mouvements ou non ?
Louis Caron
Pour qu’il y ait un parachutage, il faut qu’il y ait d’abord un cordon de sécurité de résistants. Ensuite, il faut que l’avion passe et comme ici, c’était très surveillé, dans chaque ville, il y avait une Kommandantur ; ben vous savez, c’était très difficile pour nous de venir.
Ovide Legrand
Il faut donner une autre raison au manque de parachutages.
Louis Lethien
Ici c'était une organisation gaulliste qui avait quand même la côte un peu mieux que nous auprès de Londres.
Ovide Legrand
Ça c’est la vérité, pas d’armes pour les FTP, ça nous l’avons entendu assez.
Louis Lethien
Ils ont eu peur d’armer les FTP parce qu’ils avaient certainement peur d’une insurrection nationale à la Libération par justement c'était l'organisation de Résistance qui était la plus nombreuse.
Louis Caron
Puis, on sait que c’est la plus active par ici. Il y avait l’OCM, il y avait la Voix du Nord, il y avait Libération. On ne les a pratiquement vus que quand on a été libéré, quand on étaient pas libérés, on ne les voyait pas.
Ovide Legrand
On les a vu contre les Allemands, contre l’occupant, mais je crois qu’ils voyaient surtout la Libération.
Jean Wrobleski
Finalement, il y a eu quand même quelques contacts. Bon, l’action elle s’est amplifiée. Il y a eu quand même des actes de sabotages faits à droite et à gauche. Puis finalement, il y a eu le débarquement. Et les Allemands qui commençaient à fuir d’un côté et d’autre. Et c’est à ce moment-là qu’on nous a demandé de passer à l’action ; c’est-à-dire d’essayer de les faire prisonniers, de les désarmer ; tout au moins pour récupérer les armes parce qu’on n’avait absolument rien. Et comment faire quelque chose si on n’avait même pas d’armes. Et bien sûr, il arriva le moment où véritablement les troupes alliées commençaient à avancer. Ils arrivaient du côté de Saint-Paul sur Auchel et Marles. Et pratiquement, les armées alliées n’ont pas eu de travail à faire dans le secteur, puisque c’est nous, les FFI, qui avons nettoyé toute la région. Et il y avait tous ceux qui faisaient partie de la résistance armée, on était armés. On avait quand même un certain nombre de missions à accomplir ; c’est-à-dire de nettoyer un petit peu les zones telles que les bois et tout ça. Il fallait aller dedans faire des recherches. Donc, on nous a quand même confié un certain nombre de missions, de travail à effectuer. Et les autres, huit jours après, ont commencés à redescendre à la mine petit à petit ; parce que les quartiers, il faut dire que tout a été abandonné. On a eu du mal à remettre la mine en route correctement et nous, nous sommes restés comme ça à peu près un mois. Après, on a reçu un ordre en nous demandant ; soit ceux qui voulaient, disons, s’enrôler ou plutôt être recrutés pour continuer la guerre, la poursuite de la guerre jusqu’en Allemagne ; et ceux qui voulaient pouvaient se retirer et puis reprendre le boulot. Alors, les circonstances ont voulu que je reprenne le travail à ce moment-là.