Le déclin du charbon et la conversion dans le Nord-Pas-de-Calais

01 décembre 1976
03m 37s
Réf. 00181

Notice

Résumé :

La fin de l'exploitation du charbon est planifiée dans le Nord-Pas-de-Calais. Dans ce dossier du journal télévisé est abordé le problème de la conversion. Le commissaire à la conversion industrielle, Roger David, estime que cette question touche l'ensemble du bassin industriel de la région. Si des plans de reconversion des mineurs sont en cours, certains comme Paul Deleville, 30 ans de fond, souhaiteraient prendre leur retraite. Si à Douai l'imprimerie nationale accueille d'anciens mineurs, ils ne sont que 300 sur les 6 000 emplois à l'usine Renault. Pierre Delmon, président des HBNPC estime qu'il faut poursuivre ce mouvement dans l'ensemble du secteur industriel de la région.

Date de diffusion :
01 décembre 1976
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )
Personnalité(s) :

Éclairage

La reconversion du Bassin minier vers de nouvelles activités est au cœur de ce reportage au ton assez pessimiste. L'origine du déclin charbonnier n'est pas éludée, il s'agit bien d'un problème de prix de revient : le charbon du Nord-Pas-de-Calais est plus cher que le charbon importé, et même que la houille de Lorraine. En effet, les veines plus larges de l'est facilitent une mécanisation à outrance qui permet d'obtenir des rendements de plus de 4 tonnes par poste et par jour en 1975, contre 1,8 tonne dans le bassin du Nord. La Lorraine se rapproche ainsi des rendements de la Ruhr, proches de 5 tonnes. Ce bassin dépasse en production celui du Nord-Pas-de-Calais en 1974. A cette époque, en 1976, il est encore envisagé de fermer les derniers puits de la région entre 1983 et 1985. L'enjeu principal est humain : alors que les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC) employèrent jusqu'à 220 000 mineurs dans l'immédiat après-guerre, seuls 40 000 sont encore en poste à la date de l'émission. 20 000 devront être reconvertis vers d'autres métiers.

La reconversion vers d'autres activités a été soutenue de manière vigoureuse par l'État central comme le montrent les exposés successifs de Roger David, puis de Pierre Delmon. Roger David est le commissaire à la conversion industrielle. Poste créé en 1967 auprès du préfet de région, il coordonne les différentes initiatives en matière de redynamisation du tissu économique et social. Pierre Delmon est le président des HBNPC qui exploitent les mines et possèdent de nombreux terrains, même si certaines infrastructures et habitations ont été transférées aux communes depuis la décision du comité interministériel d'aménagement du territoire du 10 février 1971. La décentralisation n'ayant pas encore eu lieu, c'est l'État central qui assume la responsabilité principale d'une politique volontariste de conversion industrielle. Elle s'appuie sur le développement d'activités nouvelles comme l'automobile, largement développé à la lisière du bassin minier, notamment à Douvrin (usine Française de mécanique) et à Douai (usine Renault). D'autres secteurs sont évoqués comme l'Imprimerie nationale, installée elle aussi à Douai ou le vapocraqueur de Dunkerque. Bien que située en dehors du bassin minier, cette usine est issue d'une décision de Charbonnages de France-Chimie prise en 1974. Cette société fonde, en 1975, la Compagnie pétrochimique du Nord avec l'appui de financements du Golfe.

Mais ces ambitions de reconversion se heurtent à la difficulté du réemploi des mineurs, une population mal formée et usée par un travail difficile. Ainsi, lorsque Renault s'installe, l'entreprise recrute peu d'anciens ouvriers ayant passé de longues années au fond de peur d'avoir à assumer des maladies professionnelles lourdes à l'avenir. La Régie préfère recruter des jeunes collaborateurs, plus flexibles et mieux formés. Un autre problème réside dans le décalage entre les emplois perdus et ceux qui sont créés. Ainsi, le vapocraqueur évoqué par Pierre Delmon n'emploie finalement que 380 salariés fin 1978, juste avant le deuxième choc pétrolier qui l'affecte bientôt. Le témoignage du mineur Paul Deleville apporte une dimension humaine et concrète aux problèmes de la reconversion. Ayant commencé à travailler à 14 ans pour exercer une tâche difficile, il aspire naturellement à une retraite après trente années de service. Sa situation familiale, grand-père à 44 ans et encore en charge de deux enfants, témoigne de la très grande natalité des mineurs. L'absence de formation initiale, liée à la traditionnelle sous-valorisation de l'institution scolaire dans le milieu de la mine, rend par ailleurs tout apprentissage d'un nouveau métier difficile.

Finalement, un ton assez pessimiste, voire misérabiliste, émane de ce reportage. Deux raisons l'expliquent. D'une part, l'image du mineur a radicalement changé. Dans les années 1940 et 1950 encore, le mineur est le héros de la "bataille du charbon", celui sur lequel repose la reconstruction du pays. La valorisation de son métier est également liée au prestige social et politique de la figure ouvrière dans l'immédiat après-guerre ; c'est la "génération singulière" décrite par Gérard Noiriel (1). Mais à partir de la fin des années 1960, la montée en puissance du tertiaire, les aspirations nouvelles nées de 1968 et le déclin des bastions ouvriers traditionnels provoquent un délitement progressif de la culture ouvrière, dont le mineur apparaît encore une fois à l'avant-garde, cette fois-ci sur une pente négative. Symbole de ces préoccupations post-68, l'écologie évoquée rapidement dans le reportage, commence à devenir un enjeu. C'est d'ailleurs le comité interministériel du 30 juillet 1974 qui impose cette thématique dans les plans de développement de la région. Plus généralement, le ton morne du commentaire s'explique aussi par le contexte général de 1976, une période où l'on prend conscience que la crise pétrolière de 1973 n'est pas un épiphénomène, mais bien une crise structurelle. L'année 1975 est marquée par la première récession depuis la guerre.

Par ailleurs, la "relance" tentée par le gouvernement de Jacques Chirac ayant échoué, les pouvoirs publics semblent manquer de ressources face à la crise. Le chômage commence à progresser régulièrement et, semble-t-il, inexorablement. Il atteindra un million de chômeurs un an plus tard, contre 400 000 avant la crise. C'est ce contexte délicat qui explique l'impression mitigée d'un reportage qui, pourtant, met en valeur la formidable capacité d'adaptation d'une région.

(1) Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française, XIX° XX° siècle, Paris, Seuil, coll. « Points », 1986.

Laurent Warlouzet

Transcription

Daniel Bilalian
A l’occasion du Conseil des ministres, à Lille, on a donc une nouvelle fois reparlé des problèmes particulièrement graves de la région Nord-Pas-de-Calais. Il faut savoir qu’il y a quelques années encore, cette région perdait chaque année plus d’habitants que la Bretagne que l’on cite portant toujours en exemple lorsqu’il s’agit d’exode de population. Partant de-là, la reconversion industrielle du Nord-Pas-de-Calais a donc été lancée. Mais depuis deux ans, elle est frappée de plein fouet par la récession économique. Et aujourd’hui, le problème le plus important, le plus urgent à résoudre, reste celui du bassin houiller qui s’apprête à fermer ses derniers puits.
(Bruit)
Raymond Tortora
Dans moins de 10 ans, ces hommes devront changer de métier. Ici, les derniers puits seront fermés entre 1983 et 1985. Pourquoi a-t-on décidé de ralentir puis de fermer le charbon ? La rentabilité, moins de 8 millions de tonnes par an actuellement contre 30 millions en 1934, et de plus, son prix de revient est jugé excessif. Avant 1985, ce sont 40 000 salariés dont 20 000 mineurs qu’il faudra reclasser.
(Silence)
Roger David
La conversion industrielle du Nord-Pas-de-Calais, c’est essentiellement la conversion du charbon qui fut à l’origine de son évolution industrielle ; mais c’est aussi la mutation du textile, et c’est encore les difficultés inhérentes au déplacement de la sidérurgie des régions traditionnelles vers le littoral. La conversion des mineurs, socialement, s’est faite sans aucun licenciement. Mais c’est la conversion de toute une région qui ne peut plus maintenant faire de charbon.
Raymond Tortora
C’est un métier pénible, dangereux, les coups de grisou ou de la silicose qui ronge les poumons des mineurs. Ceux qui ont 30 ans de service ou 15 ans, avec des raisons médicales, ceux-la pourront prendre une retraite anticipée car ils ne peuvent ou ne veulent rien faire d’autre. Ainsi, Paul Delleville, 44 ans, grand-père, il est descendu au fond à 14 ans.
(Silence)
Paul Delleville
Me reconvertir, ça ne m’intéresse pas, moi, c’est prendre ma retraite, ma retraite anticipée.
Raymond Tortora
Qu’est-ce que vous en pensez, Madame ?
Intervenante
Je pense qu’il a quand même assez travaillé. Quand on a 30 ans de fond, il faut les faire quand même, mais ce qui m’ennuie le plus, c’est que j’ai encore deux enfants à charge. Si on n’était plus que nous deux, on s’en sortirait plus facilement.
Raymond Tortora
Des mineurs déjà reconvertis, en voici, une centaine à la toute jeune imprimerie nationale de Douai, ce sont eux qui fabriquent vos chèques postaux et vos imprimés d’impôts. A Douai toujours, ils fabriquent aussi des R14, ils ne sont pas nombreux, 300 sur 6000 employés mais d’autres encore viendront d’ici à 1985.
(Silence)
Pierre Delmon
Il faut poursuivre certainement le développement de l’industrie automobile, l’industrie automobile n’a pas terminé son apport à la région du Nord-Pas-de-Calais. Il faut ensuite, sur le plan de la chimie, recueillir tout ce que nous pouvons espérer du vapocraqueur qui se fait à Dunkerque, je crois que tout ceci, tout le monde est bien d’accord. Et puis il faut amener des activités nouvelles, je pense en particulier dans le domaine de la construction mécanique, dans le domaine de la construction électrique. Alors-là, nous défrichons un petit peu le terrain et nous commençons juste.
Raymond Tortora
Le président Delmon veut aussi modifier l’environnement, rénover le cadre de vie car la mine a beaucoup abîmé le paysage. Un paysage qu’elle a créé d’ailleurs avec ses corons et ses quelques 120 terrils mais qu’il ne suffira pas d’effacer d’un coup de baguette magique pour que se créent d’autres activités.