Le processus de reconversion des mineurs

25 mars 1972
04m 24s
Réf. 00204

Notice

Résumé :

Un mineur témoigne du processus de reconversion qui a été mis en place dans le Nord-Pas-de-Calais. Il assure son travail dans la journée puis se rend au cours du soir pour apprendre un métier. Un responsable des Houillères, Monsieur Clarais, explique le principe de la reconversion basée sur le volontariat. Un ancien mineur qui travaille dans une fonderie décrit son parcours.

Type de média :
Date de diffusion :
25 mars 1972
Source :
ORTF (Collection: SPECIAL NORD )
Personnalité(s) :

Éclairage

A travers plusieurs témoignages de mineur et l'entretien d'un directeur général adjoint des Houillères, M. Clarais, l'interview évoque bien les problèmes concrets de la reconversion professionnelle pour les anciens mineurs. La plupart d'entre-eux ont commencé à travailler très tôt, en général à 14 ans, donc sans avoir eu la possibilité de suivre une scolarité aboutie, ce qui les oblige à suivre une formation complémentaire. Dans un livre mentionné à un autre moment de l'émission, Le drame des Houillères de Michel Toromanoff (Seuil, 1971), lui-même ancien de Charbonnages de France, cette situation est dépeinte d'une manière brutale : "L'ouvrier mineur de fond, surtout si sa compétence ne s'étend qu'à l'abattage, au soutènement ou aux accessoires de ceux-ci [...], n'est convertible que moyennant une formation poussée. Il est riche uniquement de sa force physique, de la connaissance de son chantier, de sa spécialité charbonnière" (p.91). Cette difficulté explique que la reconversion ne soit proposée que sur la base du volontariat, l'investissement personnel étant important. Trois voies sont mentionnées dans l'émission : les formations rapides aux métiers non qualifiés, les formations de six mois en centres de formation pour adultes (FPA) et les cours du soir. Le principe est le volontariat. L'employeur, les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), octroie souvent un soutien financier, soit par une prime de départ, soit en continuant de payer le salaire pendant la formation. Les effectifs concernés par ces conversions restent modestes, environ 300 à 400 par an. A l'époque, en 1972, le taux de chômage reste encore très faible (de l'ordre de 3%), car la France connaît la période de forte croissance des Trente Glorieuses. Le problème ne paraît donc pas insurmontable mais le rythme des reconversions doit toutefois être accéléré. La décroissance des effectifs des HBNPC est en effet brutale, passant de 145 000 en 1954 à 83 000 en 1968 et à 40 000 environ en 1975. Après le plan Jeanneney de 1960, le plan Bettencourt de 1968 accélère encore le déclin de l'activité charbonnière. Au moment du tournage de l'émission, il est envisagé une fermeture du bassin régional en 1983, soit à une échéance d'une dizaine d'années à peine.

La majorité des reconversions évoquées se déroule vers le secteur de la métallurgie. Ainsi, l'un des ouvriers interviewé est-il en poste dans une fonderie liée au secteur automobile. A l'époque, la sidérurgie n'est pas encore en crise grave. Elle subit une mutation importante avec le déclin des unités de l'intérieur du pays (vallée de la Sambre et bientôt Valenciennois) et la croissance de la "sidérurgie sur l'eau" avec l'installation d'Usinor à Dunkerque en 1962. Les grandes fermetures d'usines datent de la fin des années 1970, avec notamment les sites pionniers de Trith en 1977 et de Denain en 1978. La conjoncture était encore bonne en 1972, d'autant que l'ouvrier en question était en poste dans une usine liée à l'automobile, un secteur en pleine expansion dans le Nord-Pas-de-Calais. L'État central encourage ce mouvement de reconversion par une politique d'ensemble adaptée à la région, et par la loi de 1971 qui créée le dispositif moderne de formation professionnelle.

Au-delà des enjeux socio-économiques globaux, cette émission illustre la difficulté concrète d'entamer une reconversion avec un bagage scolaire mince, après plusieurs dizaines d'années de travail dur au fond, et avec souvent une charge de famille importante. Comme le mentionne rapidement le reportage, le mineur n'abandonne pas qu'un métier, il renonce également à un salaire avantageux par rapport à d'autres ouvriers non qualifiés, et à toute une série d'avantages sociaux qui peuvent paraître remis en cause. Le risque de déclassement pointe à l'issue d'une démarche de formation déjà difficile à entamer et à assumer. La reconversion sociale trouve là ses limites humaines.

Laurent Warlouzet

Transcription

Intervenant 1
Au fond, ça fait 22 ans que je travaille au fond déjà. J’ai 22 ans de fond.
Daniel Bilalian
Donc, vous pensez maintenant à la reconversion, je crois que ça vous pose certains problèmes, parce que vous assurez votre travail au fond, ça dure 8 heures par jours ?
Intervenant 1
Oui.
Daniel Bilalian
Et vous allez au cours du soir.
Intervenant 1
J’ai décidé d’aller au cours du soir, oui. Parce que si vous préférez, j’avais envisagé d’aller en FPA, mais comme on prenait les FPA à partir de 37 ans, j’avais 35 ans. Alors, automatiquement, je me suis décidé à aller au cours du soir de ma propre volonté pour essayer d’apprendre un métier, le métier de fraiseur.
Intervenant 2
La règle de la conversion principale, c’est d’abord le volontariat ; c’est-à-dire que ce ne sont pas nous qui imposons la conversion aux ouvriers. Ce sont les ouvriers qui se portent volontaires pour tel ou tel emploi qui leur est offert. Il y a deux catégories de conversion en réalité. Certains emplois sont trouvés par les ouvriers, soit dans la région minière, soit dans le reste du pays. Et pour cela, ils partent comme n’importe quel ouvrier quitte son entreprise. Ce que nous appelons la conversion et ce que nous cherchions à favoriser, c’est la transformation d’ouvrier mineur en ouvrier des usines de la région ; et notamment des nouvelles usines qui s’implantent. Nous avons avec la plupart d’entre elles des conventions, c’est-à-dire des accords, des contrats, prévoyant en général l’embauchage de 20 % des emplois crées pour les mineurs.
Intervenant 3
J’ai dû bien de nouveau étudier, j’ai dû retravailler beaucoup plus que lorsque j’étais à la mine, c’était un travail de routine, voyez-vous, j’étais habitué. Ça faisait 19 ans et demi que je travaillais là-dedans, et ici j’ai dû redémarrer à zéro.
Daniel Bilalian
Ça a été difficile cette remise à pied, non ?
Intervenant 3
Au départ oui, lorsque j’ai appris que je devais pratiquement me reconvertir parce que les mines allaient fermer. Alors là, la première fois, c’était terrible, parce que j’ai appris ça à ma femme que j’ai dit, bon ben, il faut que je me reconvertisse. Alors là, ça a été terrible pour nous deux. Mais ensuite, on s’y est mis et je suis allé au cours du soir à l’école technique de Bruay. Ensuite, j’ai fait 6 mois de stage à Boulogne-Billancourt à la fonderie. Et je suis rentré dans le centre FPA à Noeux-les-Mines, et je suis sorti avec un CAP d’électricien en équipement industriel. Et après avoir signé un contrat à la Française de mécanique, je me retrouve enfin à la fonderie.
Intervenant 2
Nous avons travaillé depuis 3 ans sur la base d’environ 300 à 400 conversions par an, ce rythme nous paraît insuffisant. Et alors, nous allons, à partir de cette année, viser un doublement de ce rythme, c’est-à-dire essayé de convertir de l’ordre de 600 à 650 personnes par an.
(Bruit)
Daniel Bilalian
Plusieurs processus de reconversion sont proposés aux intéressés. Le premier consiste en une formation pratique de quelques jours. Cela débouche sur des emplois simples, relativement peu qualifiés. De cette façon, on devient vite ouvrier spécialisé, OS. C’est la solution rapide, mais au bout du compte, le mineur aura vite l’impression d’être un déclassé. La mine, c’est un métier, être OS, c’est finalement peu de chose ; d’autant plus que cela va s’accompagner d’une perte sur le plan des revenus : perte de salaire et aussi perte d’avantages en nature, que l’on essaie pourtant de compenser par une prime de reconversion, qui selon l’ancienneté peut aller jusqu’à une année de salaire. La deuxième possibilité, c’est le stage au centre de formation professionnelle pour adultes. Ce stage dure 6 mois, pendant lequel le stagiaire continue d’être payé. Deux tiers des mineurs qui se reconvertissent par ce moyen sont dirigés vers la métallurgie. Ainsi, depuis 1969, 1 100 mineurs au total ont été reconvertis. Toutefois, du côté des syndicats, on estime que la qualité des emplois offerts laisse à désirer. Dans l’industrie d’automobile par exemple, 80 % des emplois offerts sont des emplois d’ouvriers spécialisés. Ajoutons à ce problème celui du nombre d’emploi disponible. En effet, on estime qu’après sa reconversion, un mineur sur quatre trouvera tout de suite du travail. A ce rythme, nous ne risquons pas de former des chômeurs.