L'expulsion des familles polonaises à Leforest en 1934

août 1934
04m 47s
Réf. 00232

Notice

Résumé :

A Leforest en août 1934, 77 mineurs polonais sont expulsés de France parce qu'ils ont participé à une grève dans les mines de l'Escarpelle. Retour avec les actualités Pathé de l'époque avec Antoine Wachowiak et Jean Wroblewski.

Type de média :
Date de diffusion :
25 novembre 1981
Date d'événement :
août 1934
Source :

Éclairage

L'année 1931, année où la crise économique mondiale atteint l'industrie minière française, est également celle où le recensement enregistre la plus importante proportion d'étrangers dans la population française. Le Nord est ainsi le troisième département français en nombre d'étrangers résidant (222 000), le Pas-de-Calais le quatrième (173 000), juste derrière la Seine et les Bouches-du-Rhône. Les populations étrangères sont affectées par la crise de façon inégale non en raison d'une volonté particulière de l'administration, mais en raison de leur qualification et de leur concentration dans les secteurs d'activité en crise comme la mine. Les Polonais ne sont pas les plus touchés, mais leur concentration facilite l'encadrement de leur départ. Plusieurs dizaines de milliers de Polonais sont ainsi l'objet de mesures de rapatriement forcé, pour des raisons toute à la fois économiques et politiques. De 1931 à 1936, la SGI (Société Générale d'Immigration) organise par convois ferroviaires le départ de 100 000 Polonais.

Dans ce contexte, toute contestation politique, tout engagement syndical servent de prétexte à des expulsions. C'est le cas pour la figure emblématique de Thomas Olzanski, organisateur des travailleurs polonais pour la CGTU, dénaturalisé en 1932, puis expulsé en 1934. C'est ici, un épisode célèbre qui est évoqué : l'expulsion pour fait de grève d'ouvriers à Le Forest à la fosse n°10 de la Compagnie des mines d'Escarpelle. Le conflit marqué par l'occupation d'un puits a été médiatisé, alors que des renvois réguliers d'ouvriers étrangers retiennent peu l'attention de la presse et des actualités cinématographiques. Une équipe de tournage a ainsi assisté presque par hasard au départ des Polonais car c'est l'occupation de la mine par des mineurs d'origine étrangère, plutôt réputés pour leur passivité qui les intéresse. Certains journaux n'hésitent pas d'ailleurs à titrer que les Polonais ont empêché les Français de descendre au fond. Après 35 heures de lutte, les grévistes remontent et les sanctions tombent.

Ce sont 250 personnes, 77 grévistes syndicalistes dont Edward Gierek (1), et leurs familles font l'objet d'un décret d'expulsion de la Direction de la sûreté générale. Ils qui sont contraints de quitter Leforest au mois d'août 1934 par des trains spéciaux venus les chercher au pied de la cité après avoir emprunté l'embranchement ferroviaire privé de la compagnie. Les Houillères limitent le poids des bagages à 30 kg par adulte et 20 kg par enfant. Les commentateurs comme les descendants des mineurs qui ont assisté, enfants, à ces départs insistent sur ce qu'ils nomment la "curée" c'est-à-dire la vente à perte du mobilier, certains expulsés préférant même détruire leurs biens plutôt que de les brader à bas prix. Ce qui frappe, c'est la présence des gardes mobiles, mais le contexte est celui de l'occupation de la mine et c'est la raison de leur présence plus que la crainte de débordements liés aux expulsions. Il existe peu de témoignages directs, mais la philosophe Simone Weil et l'écrivain Antoine Saint-Exupéry ont décrit de façon poignante ses voyageurs forcés, obligés de rentrer dans leur pays. L'intérêt porté à ces événements de l'entre-deux guerres en 1981 s'inscrit dans une chronologie particulière. En 1974, l'État français a suspendu l'immigration des travailleurs étrangers et de leurs familles, puis en 1977 proposé sans grande efficacité une prime d'aide au retour de 10 000 francs aux immigrés qui acceptent de retourner définitivement dans leur pays. Deux ans plus tard, la loi dite "Bonnet" a élargi les motifs d'expulsion. C'est dans ce contexte, en 1981, après la victoire des socialistes, qu'une nouvelle politique est mise en œuvre : régularisation de 132 000 immigrés illégaux, et suppression de la loi de 1932 sur le contingentement de main-d'œuvre dont le film tourné en 1934 retrace l'un des moments oubliés.

(1) Edward Gierek (1913-2001) homme politique communiste, il dirigea la République populaire de Pologne de 1970 à 1980. Il émigre en France à l'âge de 10 ans avec sa famille. Il a travaillé dans les mines de potasse en Alsace avant de rejoindre le Nord-Pas-de-Calais. Dès 1926, il commence sa carrière de mineur à la Compagnie des mines de l'Escarpelle (fosse n°10) à Leforest. Il adhère au parti communiste français en 1931. En août 1934, il est expulsé de France, suite à la grève qu'il a conduit avec d'autres mineurs étrangers. En 1937, il revient en Belgique pour travailler dans les mines du Limbourg puis avant de rejoindre la Résistance en Pologne.

Sylvie Aprile

Transcription

(Musique)
Antoine Wachowiak
La fosse 10 avec la cité qui est derrière juste, la cité du Bois, c'est là bas où la majeure partie des Polonais expulsés habitaient. La charrette et le cheval qu’on a vu, ben, ils emportent les meubles. Tous les Polonais bradaient à bas prix, et il fallait travailler six mois pour avoir une armoire. Et ils les liquidaient pour dixième de sa valeur, même pas au dixième quelquefois. Et lui, il a été obligé de travailler, je ne sais pas, six mois pour l’avoir, pas en salaire effectif quoi, mais en épargne, en épargnant encore beaucoup. J’ai même vu des gens, quand on leur proposait vraiment trop bas et qu’ils ne pouvaient pas liquider, ben ils cassaient tout. Vous voyez ici, c’est le cas typique du gars qui a tout cassé, qui a mis tout à la poubelle.
(Bruit)
Jean Wrobleski
Quand on regarde ces images qui manquent de commentaire, il semblerait que quand on voit par exemple ce couple, qui prennent une table et puis des chaises ; ils se dirigent vers un endroit qui n’est pas bien déterminé, il semblerait que les gens partaient avec leur meuble. Or ça, ce n’est pas vrai du tout. Ce sont ces meubles, ce sont des gens du cru, c’est-à-dire les mineurs français qui venaient dans les maisons. Lorsqu’ils apprenaient que l’expulsion était décidée dans tel ou tel ménage, ils venaient et très rapidement, négociaient et marchandaient comme ça en quelques minutes ; ou quelquefois, ils fixaient déjà par avance l’ensemble des meubles qui restaient sur place pour les récupérer, et puis les emmener. C’est ce qu’on voit à travers les images que je viens d’apercevoir maintenant, c’est ainsi que ça se passait.
Antoine Wachowiak
C’est qu’on va à la curée, on est parti à lacurée, on a dit, tiens, on va les profiter, on va avoir une table pour 5 francs.
(Bruit)
Antoine Wachowiak
Vous voyez ces gens-là qui regardent, on ne sait même pas quelle attitude qu' ils adoptent. Ils ont un petit sourire mi-figue mi-raisin, parce qu’ils sont bien contents pour partir ; parce qu’il faut vous dire qu’en Pologne, comme je vous l' ai déjà expliqué, celui qui n’avait pas de travail était encore beaucoup plus misérable qu’en France.
(Bruit)
Antoine Wachowiak
Des gens par exemple, sourire, cela ne leur arrivait pas, pas par méchanceté, mais que cela ne leur arrivait pas. Ben, ça fait mal pour celui qui s’en va, ça reste gravé ces moments-là.
Jean Wrobleski
Les mineurs, s’ils revoyaient ces images, je suis persuadé qu’ils doivent ressentir une certaine émotion, parce que moi-même je la ressens. Et c’est formidable, on a l’impression que c’était encore hier. Tellement les images de l’époque, elles étaient restées encrées, d’autant plus que c’était vraiment très pénible.
(Bruit)
Jean Wrobleski
Et il y a encore quelque chose qui frappe énormément, c’est la présence de ces gardes-mobiles et les gardes des Houillères bien sûr. Disons que ça donnait quand même un sentiment vraiment bizarre comme si on était des malfaiteurs le fait d’aller. Enfin, disons que mes parents ont eu la chance que nous n’avons pas été frappés par cette expulsion. Mais je me rappelle, étant gosse, qu’à chaque convoi qui est parti, on avait un toutes les semaines ; ben à chaque fois, on accompagnait, parce qu’il y avait des amis quelquefois des parents éloignés. C’était véritablement sur les quais de la gare, c’était pendant des heures des déchirements incroyables, et puis bon, d’autant plus qu’on ne savait pas quelle destination prenaient ces gens-là. C’était vraiment quelque chose d’épouvantable, c’était vraiment une triste période.