Conditions d'exploitation avant la Seconde Guerre mondiale

11 avril 1965
05m 37s
Réf. 00311

Notice

Résumé :

Quatre anciens mineurs, Augustin Duhaut, Léon Sallendier, Henri Personne et Vladislav Glinkowski, évoquent le travail à la mine avant la Seconde Guerre mondiale : le travail au pic, au marteau piqueur, les chevaux, les lampes...

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Date de diffusion :
11 avril 1965
Source :

Éclairage

Pour le monde extérieur, le mineur est cet homme au visage noirci qui manie le pic dans l'obscurité, donc à proprement parler le piqueur ou haveur, qui, au pic puis au marteau-piqueur, attaque directement la veine de charbon. Et les mineurs qui aiment à parler de leur métier, adhèrent à cette image. Retraçant ici sa carrière qui a commencé en 1908, un mineur de Nœux saute volontairement les deux années qu'il a passées au criblage – le tri du charbon pour en extraire les cailloux – car "parler du service du jour, ce n'est pas la peine". Or pour s'en tenir à la période précédant la grande mécanisation, "le jour", occupe toujours de 20 % à 25 % de l'effectif, sans compter les ouvriers d'activités annexes comme les fours à coke. Mais dans la hiérarchie de la mine, les ouvriers du jour, manœuvres voués à la manutention, mais aussi spécialistes, menuisiers, ouvriers au service du chevalement, sont des oubliés. Et au fond, l'abatteur ne travaille que grâce à tous ceux qui creusent et entretiennent les galeries, tous ceux qui évacuent le charbon qu'il a abattu : l'ouvrier au pic représente souvent moins d'un travailleur sur deux. Mais parce que l'acte directement productif est essentiel, les hommes dans la force de l'âge, pères de famille, mieux payés qui l'assument, constituent un groupe de pairs qui domine en famille et dans la cité comme au fond.

Cette hiérarchie s'inscrit dans un travail d'équipe, qui a souvent une dimension familiale et dont la dimension dépend de la spécialisation plus ou moins poussée dans la méthode de travail – confier le boisage des tailles aux abatteurs ou à une catégorie de boiseurs qualifiés a longtemps été un enjeu, source de conflits comme la grande grève d'Anzin de 1884 qui inspire Germinal. Dans cette équipe, les écarts de salaires reflètent la responsabilité de chacun, mais, pour faire court, le salaire collectif dépend d'abord, de la quantité de berlines que chaque équipe envoie à l'accrochage et du prix de tâche. Celui-ci, fixé avec le porion (1), en fonction de la difficulté de la tâche, donne lieu à d'âpres négociations. Les conventions collectives, très précoces dans les mines du Pas-de-Calais avant de s'étendre dans tout le pays, ne peuvent qu'encadrer le caractère individuel du gain.

Le mineur qui parle de son métier aime raconter – peut-être est-ce ce que journaliste attend de lui ? – des anecdotes pittoresques dont le cheval de mine, l'histoire de la lampe de mineur, qui pourrait être celle du prix payé à l'insécurité, sont de grands classiques. Du travail lui-même, il élude souvent les aspects les plus pénibles. Dans cet extrait, c'est avec beaucoup de retenue qu'est évoqué le grand traumatisme qu'occasionna le passage du pic au marteau-piqueur. Le caractère manuel de l'abattage restait le principal obstacle à la hausse du rendement, alors même que l'air comprimé et l'électricité avaient permis de moderniser le forage, le transport et la remonte. La révolution du marteau-piqueur se fit brutalement, en quelques années, pendant la crise des années 30. Dès lors, le petit chantier que presque toutes les images de la mine donnent à voir, disparaît au profit d'un long front de taille où les abatteurs se succèdent tous les quelques mètres – version souterraine du fordisme sur laquelle se termine ce film d'archives ; l'équipe est démantelée, l'autonomie dans le travail disparaît, le porion, qu'on entendait arriver dans la taille, est désormais un contremaître avec chronomètre ; la santé se dégrade : le marteau-piqueur, faute d'arrosage suffisant de la poussière, est responsable de l'hécatombe de silicose dans toute une génération ; la démoralisation s'insinue dans une communauté jusque là sûre d'elle-même, où l'on commence à se demander s'il vaut la peine pour les fils de suivre la trace de leurs pères.

(1) Le porion est l'agent de maîtrise qui encadre plusieurs mineurs. Il est chargé de veiller au bon avancement des opérations de creusement, et à la sécurité. Il rend des comptes à l'ingénieur responsable de la fosse.

Joël Michel

Transcription

(Musique)
Intervenant 1
Je suis descendu vers 1910 aux Mines d’Hénin, 4 des Mines d’Hénin. J’ai commencé en 1908 au criblage et quand, alors si je vous parle du service du jour ce n’est pas la peine, c’est plutôt le service du fond. Or, la deuxième année du fond, tenez-vous bien, je vais vous donner des prix, on était payé 18 sous, fond ! Or, après six mois de service au fond, on était augmenté de 6 sous. C’est-à-dire 24 sous, c’est-à-dire 1,20 Francs et à ce moment là, forcément quand on est jeune, on veut gagner de l’argent comme tout autre. On était payé pour charger une berline, de 530 Kilos, je vous donne le poids à peu près, approximatif c’était un sous. Pour en charger 30 à 35, venant d’un poste, c’était 30 à 35 sous. J’ai vu un type, il s’appelle, il vit encore, il a peut-être 70 ans, 72 ans, André Courchel, il chargeait en moyenne par jour 100 berlines.
Fernand Vincent
Monsieur, est-ce que vous avez connu la lampe à feu nu, et là encore on voit encore des images où il y a des mineurs avec des lampes à feu nu.
Intervenant 1
Non, c'est trop ancien ça après la catastrophe de Courrières, ceci a disparu. C’est là qu’est apparue la lampe Worf.
Fernand Vincent
Et Davy !
Intervenant 1
Les Davy, enfin bref, c’est-à-dire avec deux tamis et ainsi de suite, voilà, messieurs. A ce moment là, je vous donne que la lampe à feu nu, mon père fumait encore la pipe, parce que on faisait encore avec un beguin blanc 5, 6 tours et on mettait sa pipe ici. Et ça, je m’en rappelle encore de mon grand-père et de mon père, ils mettaient leurs pipes et ils fumaient ça au fond. Mais à la suite de la catastrophe de Courrières, ceci a été complètement aboli.
Fernand Vincent
Vous avez sûrement connu les chevaux au fond de la mine, les chevaux qui tiraient les trains de berlines. On a raconté d’ailleurs sur ces chevaux des tas d’histoires. Est-ce qu’il n’y a pas un peu de légende là dedans ?
Intervenant 2
Non, non,y'a pas de légende du tout.
Intervenant 3
C’est véridique.
Intervenant 2
Tout ce qu’on a pu raconter, c’est exact parce que moi j’ai connu un cheval qui s’appelait Sultan, j’étais suiveur de train comme on appelle. Et alors, ce Sultan alors, parce que avant l’affaire 14, ceux qui remontaient les premiers, c’étaient les vieux mineurs de 50 à 55 ans qui étaient à 5 ans de la retraite. C’étaient les premiers qui remontaient. Alors, ce cheval Sultan en question, quand il voyait les premières barrettes apparaître, c’était fini, il n’y avait plus le moyen de le faire marcher. Il fallait le dételer et le reconduire à l’écurie.
Fernand Vincent
Il arrêtait le travail aussi lui.
Intervenant 2
Ah oui, c’était fini, il n’y avait plus rien à faire, rien à faire.
Fernand Vincent
J’ai entendu dire aussi que, enfin ça paraît curieux, que les chevaux arrivaient à compter les berlines.
Intervenant 2
Ouais, j’ai connu un cheval, je ne me rappelle plus de son nom, c’était un cheval bai. Il conduisait 7 berlines de terre pour culbuter dans une taille pour faire les remblais. Un jour, un jeune ingénieur, un nouveau, il s’amène. Alors, il dit au chef porion qui était déjà vieux, Monsieur Laurent, il dit, alors comment il dit, vous gardez un cheval pareil dans les fonds, il dit, pour 7 berlines de terre. Ben, qu’est-ce que vous voulez, il dit, le cheval, il n’en veut pas plus. Alors, il dit, c’est des blagues, ah c’est des blagues, il dit. Et ben, il dit, si c’est des blagues, alors, je vais vous le faire voir. Alors, il dit au conducteur, détèle ton cheval et vas l’atteler il dit, là au dessus, aux berlines de charbon. Il dit, regardez bien, Monsieur l’ingénieur, en tirant, vous savez que avec la déclivité de la voie, les berlines ça choque, alors il comptait une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, arrêt, fini. Alors, lle chef porion alors il dit vous voyez, il a compté ses 7 berlines, eh ben c’est fini. Alors, au bout de deux années après, ils ont dit, ce n’est pas la peine de nourrir un cheval comme ça pour 7 berlines, on l’a remonté au jour. Alors, il a gagné son procès ce cheval-là, il a remonté au jour.
Intervenant 3
Il n’a plus travaillé au fond.
Fernand Vincent
Avez-vous connu le travail au pic ?
Intervenant 2
Je l’ai connu moi. Mais, bien peu.
Fernand Vincent
Et quand les marteau-piqueurs sont arrivés ?
Intervenant 2
Oh ben, la plupart des vieux mineurs ne voulaient pas s’en servir.
Fernand Vincent
Pourquoi ?
Intervenant 2
Parce qu’ils disaient que, je ne sais pas, enfin, c’est un drôle d’engin, ils disaient. Ça marchait à l’air comprimé, alors, ils ne voulaient pas entendre parler de ce truc là. Alors, comme c’était le début des marteau-piqueurs, et que logiquement y'en n’aurait pas eu pour tout le monde, ben la direction tolérait que les plus vieux continuent au pic. Et je vous assure que le rendement était pareil, parce que les mineurs qui se sont servis de premiers piqueurs, les petits piqueurs, ils ne connaissaient pas ça. Alors les vieux, ils disaient "Vos pieux là, mais jamais qu'ça ira !"
Intervenant 1
Et c’est là que la vraie apparition du marteau-piqueur, c’est le Meudon, le Meudon.
Fernand Vincent
Le Meudon, d’accord !
Intervenant 1
Le Meudon, 1900 et quelque chose, je ne m’en souviens plus.
Fernand Vincent
D’accord, le Meudon.
Intervenant 1
Avec le…