La nationalisation des Houillères vue par les mineurs

17 mai 1946
03m 15s
Réf. 00363

Notice

Résumé :

Dans cet extrait des Mémoires de la mine, trois anciens mineurs évoquent la nationalisation des charbonnages en 1946. Leur regard sur cette période est nuancé. Si le mineur a bénéficié du statut du mineur et d'avantages sociaux rapidement, il a fallu mener la bataille de la production alors que le ravitaillement était encore insuffisant. Par ailleurs, les syndicats ont œuvré pour la production mettant de côté les revendications pour gagner la bataille des 100 000 tonnes.

Type de média :
Date de diffusion :
02 décembre 1981
Date d'événement :
17 mai 1946
Source :

Éclairage

Ce document est un extrait des Mémoires de la mine, un remarquable documentaire réalisé par Jacques Renard en 1980. Il rassemble trois témoignages d'anciens mineurs qui montrent de façon nuancée les aspects contradictoires de leurs ressentis à l'égard de la nationalisation de 1946, une trentaine d'années plus tard.

Trois aspects positifs sont soulignés. La nationalisation et le statut des mineurs ont entraîné une augmentation inédite des salaires, la gratuité des soins et de nouvelles formes de dialogue social dans l'entreprise. Ces différentes facettes ont été plus ou moins tangibles et durables. Les avantages salariaux immédiats ont été rapidement rongés par l'inflation qui connaît des niveaux très élevés à la fin des années 1940. La gratuité des soins et le bon niveau de protection sanitaire est sans doute la conquête la plus durable des mineurs. Mais on pourra le voir avec le document sur la bataille du charbon, l'accroissement de la protection sanitaire a été conjuguée chronologiquement avec une augmentation des maladies professionnelles. Les nouvelles formes du dialogue social, un témoin évoque "les comités de puits", ont certes des implications durables du fait des règles légales mises en place comme celles qui encadrent les missions des délégués syndicaux et les comités d'entreprise. Toutefois, le consensus national qui s'était forgé dans la "bataille de la production" a très rapidement évolué vers un climat d'affrontement dès les grèves de 1947 et a fortiori lors de la grève de 1948. Du côté des mineurs, la CGT – qui exerçait une influence largement prépondérante – s'est engagée avec beaucoup de détermination dans le refus du Plan Marshall et dans la défense du pouvoir d'achat des mineurs. Une partie de l'encadrement a pu voir dans ces moments, une occasion de rétablir une autorité qu'elle pensait légitime.

Ces aspects sont relayés par la description des conséquences négatives de la nationalisation. De nouveau, trois aspects sont soulignés. Le premier porte sur l'objectif de production de 100 000 tonnes qui était répété comme un liet motiv. Il s'agit, en 1947 de produire 100 000 tonnes par jour dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais. Cet objectif sera atteint dans une atmosphère stakhanoviste (1) qui laisse visiblement des souvenirs pénibles.

Le second aspect négatif porte sur les difficultés du ravitaillement. Ces difficultés ne sont pas vraiment particulières aux mineurs, l'ensemble des Français les subissent.

Enfin, une dernière critique porte sur le rôle de certains délégués syndicaux qui se conduisaient en "commissaires du peuple". Cet aspect des relations entre les mineurs et leurs différents délégués syndicaux renvoie aux mots d'ordre de 1946 qui dénonçaient la grève comme "l'arme des trusts" (2). On retrouve plusieurs exemples de manifestations de ces tensions dans le témoignage exceptionnel d'Augustin Viseux dansMineur de fond (3).

(1) Le mot "stakhanoviste" vient d'Alexis Stakhanov (1905 – 1977), un mineur soviétique qui a battu un record de production en 1935. La propagande communiste en a fait un héros.

(2) Dans le discours prononcé à Waziers, le 21 juillet 1945, Maurice Thorez après avoir dénoncé les grèves des mécaniciens d'extraction déclarait : "Je pense qu'il faut leur assurer des meilleures conditions de salaires et de travail. Mais là encore, pas par la grève. Comment, vous êtes deux et parce qu'à deux vous avez décidé de faire la grève, vous allez empêcher mille ouvriers de travailler? Ce n'est pas possible, voyons, il faut être plus sérieux". Il concluait : "produire, produire encore produire, faire du charbon, c'est aujourd'hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français. Hier l'arme, c'était le sabotage, mais aujourd'hui l'arme du mineur, c'est de produire pour faire échec au mouvement de réaction, pour manifester sa solidarité de classe envers les ouvriers des autres corporations".

(3) Augustin Viseux, Mineur de fond, Paris, Plon, 1991.

Philippe Mioche

Transcription

Jean Wroblewski
C’était véritablement un grand événement, sans qu’on en mesure immédiatement la portée parce que bon, la nationalisation, c’était un grand mot. Mais nous, ce qu’on voudrait voir et ce qu’on voulait savoir à l’époque, c’est que dans les faits, comment ça se traduisait. La nationalisation et le statut du mineur ont permis que le mineurs gagnent 20% de plus que la moyenne des salaires de la métallurgie parisienne et en ce qui concerne ceux du fond, 42%. Et le régime de sécurité sociale minière particulièrement pour eux, où disons, nous avons eu pratiquement la gratuité des soins, des produits pharmaceutiques et l’hospitalisation, enfin toute la protection sanitaire gratuite. Ensuite, il y a eu le comportement de la maîtrise, des ingénieurs. Disons que bon ben, les ingénieurs recevaient des délégations syndicales. On pouvait aller discuter des revendications et il y a une certaine concertation qui s’établissait. Et dans chaque quartier, on avait créé des comités, des comités de puits. Et bien sûr, il y avait quand même une petite note qui assombrissait tout ce tableau, qui avait quand même, disons un acquis formidable, il faut bien le convenir. Mais il y avait quand même, assujetti à ce tableau, ces fameuses 100 000 tonnes. Et bien sûr, les orateurs syndicaux venaient toujours avec les mêmes slogans, il faut produire, il faut produire. Mais il y avait un petit problème et qui, à mon avis, prenait de plus en plus d’importance. C’est que malgré la Libération, malgré les avantages sociaux que nous avions obtenus, ne serait-ce que sur le plan du salaire, mais il n’en restait pas moins que il y avait sur le problème du ravitaillement de la nourriture, il y avait encore disons, le circuit distribution n’était pas ce qu’on aurait pu espérer.
Tadeusz Chudzinski
Il y avait aussi les délégués syndicaux qui avaient plutôt la mainmise sur le siège que le chef porion, c’était plutôt eux qui commandaient. Ils faisaient un petit peu attention, ils faisaient un petit peu l’effet des commissaires du peuple, si on veut quoi. Là où ça ne marchait pas très bien ils allaient voir pourquoi, pour quelle raison ça ne marchait pas, quelles difficultés qu' avaient les abatteurs pour faire du charbon ou bien quoi, et ils ont parlé au patron, à l’ingénieur, et ont remédié à cette chose pour que la production remonte le plus vite possible.
Louis Lethien
Moi, je me souviens, une fois on avait fait une grève partielle dans une taille, parce qu’on ne nous avait pas payé un arrêt, un arrêt des installations et comme on aurait rattrapé la production, on n’avait pas voulu nous payer. Donc, on voulait faire grève sur le tas. Le délégué est descendu en quatrième vitesse et puis il nous a drôlement enguirlandé, il a fallu qu’on reprenne le boulot. Ce n’était pas à une époque où on pouvait crier Vive la grève, hein !
Jean Wroblewski
On ne comprenait pas pourquoi c’était les syndicats qui étaient, enfin pour le mineur, le syndicat, c’était toujours l’organisation de défense des intérêts des mineurs. Et là, pour la première fois, on s’entendait dire, bon ben écoutez il faut retrousser les manches pour gagner les 100 000 tonnes.