Débat d’entre-deux tours entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing

05 mai 1981
06m 27s
Réf. 00039

Notice

Résumé :
Avant le second tour de la présidentielle des 26 avril et 10 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand débattent en direct le 5 mai. Mais si les protagonistes et le format rappellent le précédent de 1974, la situation est différente. Bien préparé, en position de force, le candidat socialiste maîtrise cette fois-ci l’exercice avant de remporter l’élection.
Type de média :
Date de diffusion :
05 mai 1981

Éclairage

Comme en 1974, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand sont opposés au second tour de la présidentielle des 26 avril et 10 mai 1981 et se retrouvent lors d’un débat télévisé le 5 mai. François Mitterrand, qui garde un mauvais souvenir du précédent, ne peut s’y dérober mais négocie âprement les conditions d’un face-à-face qu’il prépare avec soin. Surtout, en sept ans, la situation a changé.

Au premier tour, Valéry Giscard d’Estaing (28,3 %) recule et la majorité est extrêmement divisée, Jacques Chirac (18,0 %) ayant multiplié les attaques contre le sortant avant de ne lui accorder qu’un maigre soutien. François Mitterrand, lui, a obtenu un bon score (25,8 %). Que les relations entre communistes et socialistes soient délétères depuis la rupture de l’union de la gauche en 1977 est certes une difficulté mais l’échec de Georges Marchais (15,3 %) le 26 avril impose à ses anciens alliés de clairement prendre position en sa faveur. En outre, l’évolution du rapport des forces à gauche prive la droite de son meilleur argument, le candidat socialiste n’apparaissant plus guère dépendant des communistes.

Aussi, bien que le suspense semble à son comble, celui-ci s’avance-t-il en favori de l’élection et ce second débat ne ressemble en rien au premier. L’extrait le montre. Sur la situation institutionnelle, Valéry Giscard d’Estaing reprend une question déjà posée sept ans plus tôt. Mais l’attitude et la réponse de François Mitterrand diffèrent. Pour éviter de se voir dicter le tempo, il feint d’ignorer son contradicteur attendant que le journaliste Jean Boissonnat ne reformule son interrogation. Puis, loin de rester sur la défensive, il se délecte à rappeler quelques-unes des déclarations assassines de Jacques Chirac. Et, quand, enfin, il répond, c’est pour camper une position ferme. Elu, il dissoudra immédiatement – en 1974, il souhaitait attendre que l’Assemblée renverse le gouvernement –, et, l’union étant brisée, son premier gouvernement ne comptera pas de ministres communistes. Considérant que ce qui l’occupe n’est pas « l’affaire des partis », il adopte alors la posture gaullienne d’un chef de l’Etat ayant pleine maîtrise de ses pouvoirs.

Aussi ce débat, peut-être plus utile pour fixer l’image du vainqueur que décider l’issue du scrutin, annonce-t-il sa nette victoire du 10 mai (51,8 %). La dissolution suit et se solde par un triomphe socialiste.
Antoine Rensonnet

Transcription

Valéry Giscard d'Estaing
Si vous êtes élu président de la République, vous avez dit que vous formeriez un gouvernement, ce gouvernement se présentera-t-il devant l’Assemblée nationale ?
Jean Boissonnat
J’aurais voulu poser une question à Monsieur François Mitterrand, sur la question de Monsieur Giscard d’Estaing, parce que Monsieur François Mitterrand a déjà eu l’occasion de dire que, il ne serait pas le seul contraint de dissoudre l’Assemblée si vous étiez élu. Il m’intéresserait de savoir, en votre présence, comment il argumente sur ce point ?
François Mitterrand
Après avoir entendu ce qui vient d’être dit par Monsieur Giscard d’Estaing, j’avais, moi aussi, envie de lui poser une question, et selon les règles qui ont été établies, ce sera donc une question indirecte qui sera quand même entendue, et je voulais simplement qu’on m’explique; c’est-à-dire, que l’autre candidat veuille bien m’expliquer; son raisonnement n’est-il pas, ne tombe-t-il pas dans le vide ? Le 17 mai 1974, vous déclariez, c’était une autre élection présidentielle, il y a sept ans : "Je vous demande de me croire - vous vous adressiez aux Français - vous ne serez pas déçus, vous serez surpris par l’ampleur, par l’audace, par la rapidité du changement que je veux introduire dans la politique de notre pays". Et voilà que celui que vous proclamez comme votre partenaire, avec lequel vous n’avez jamais eu d’ennui, peut-être quelques troubles dans la majorité, en tout cas jamais de motion de censure ; voilà que Monsieur Chirac, responsable du RPR, vous répond, le 22 mars 1981, au Club de la presse d’Europe 1 : "La France est dans une situation extraordinairement difficile. Je suis certain que la voie que nous suivrons, si Monsieur Giscard d’Estaing était réélu, serait la même et conduirait encore plus vite à des désordres plus graves". Deuxième citation, il n’y en aura pas beaucoup, toujours Monsieur Jacques Chirac, 9 mars 1981 à l’émission Cartes sur Table d’Antenne 2 : "Nous sommes dans une situation extrêmement préoccupante qui exige un changement complet de politique et on ne change pas de politique avec les mêmes hommes". Et une troisième citation très rapide, toujours du même Monsieur Chirac en date du 4 mars 1981 : "Oui, je porte un jugement négatif sur le septennat". Sans doute, Monsieur Giscard d’Estaing, considérez-vous que Monsieur Chirac fait partie du choeur des pleureuses, mais il n’empêche, que j’aperçois une contradiction, entre votre apparente tranquillité d’il y a un moment sur l’avenir de votre majorité, pour peu que vous soyez élu, et des déclarations aussi contradictoires qui montrent que si vous êtes élu, vous n’avez pas de majorité.
Michèle Cotta
François Mitterrand, vous n’avez pas répondu à la question de Monsieur Giscard d'Estaing...
François Mitterrand
Mais bien entendu, j’ai aussi une réponse à apporter. Je constituerai un gouvernement comme je le dois, après mon élection, quand le moment sera venu d’assumer mes responsabilités. Ce gouvernement sera composé des personnes, femmes et hommes, que j’aurai choisies, ou dont je discuterai avec le Premier ministre que j’aurai choisi, ces personnes seront celles qui auront approuvé mes options pendant ma campagne présidentielle. Je ne serai pas en état, de débattre ou de discuter, pour la raison que la campagne présidentielle m’absorbe, qu’elle requiert entièrement mon attention, que c’est à elle que je dois me consacrer, qu’elle est d’une nature particulière, que ce n’est pas l’affaire du parti. Et, je constituerai ce gouvernement après la désignation du Premier ministre, de telle sorte que celles et ceux qui m’auront approuvés dans ma démarche à moi, candidat des socialistes, puissent s’y retrouver; je serai ainsi assuré de la cohérence de ce gouvernement. Vous savez que d’autres formations politiques, nombreuses, m’ont rejoint pour le deuxième tour de scrutin. Et bien entendu, la question qui m’est posée, est-ce que vous ferez appel aux représentants de ces partis et particulièrement du Parti communiste pour entrer dans ce gouvernement ? Je rappellerais à cet égard que si l’Union de la gauche s’est rompue en 1977, c’est précisément autour de la discussion sur un programme de gouvernement. Je ne peux donc pas considérer à l’heure actuelle que cette question soit réglée et c’est une question sérieuse, la plus sérieuse de toutes. J’entends donc former un gouvernement qui sera constitué par ceux qui m’auront approuvé, et ce n’est qu’après l’élection présidentielle et en vue des élections législatives dont nous allons parler, j’imagine tout à l’heure, que les organisations politiques responsables examineront en commun, si elles le désirent, si elles sont en mesure ou non de signer entre elles un contrat de gouvernement, et donc, d’aborder les élections législatives futures en situation d’accord. Quant au gouvernement que j’aurai constitué, qui sera tout simplement le gouvernement de la République, il se trouvera devant le problème suivant. Est-ce qu’il y aura dissolution décidée par le président de la République, immédiatement, et dans ce cas-là, il n’aura pas à se présenter devant l'Assemblée nationale, ou bien, est-ce qu’il ira devant l’Assemblée nationale en attendant la sanction de cette Assemblée, pour peu qu’il y ait sanction d’ailleurs... Ce qui veut dire que je ne compte pas soumettre la politique de ce gouvernement, à l’approbation de l’Assemblée nationale élue en 1978. Si je changeais d’avis, c’est-à-dire, si j’avais le sentiment que cette Assemblée serait en mesure, par exemple, de voter une réforme du mode de scrutin, ce qui serait très intéressant pour la France,...
Jean Boissonnat
Vous y êtes favorable ?
François Mitterrand
J’y serai favorable !
Jean Boissonnat
Dans quel sens ?
François Mitterrand
Je souhaite des scrutins proportionnels.
Jean Boissonnat
Tout de suite ?
François Mitterrand
Le plus tôt sera le mieux.
Michèle Cotta
Vous aussi, Monsieur Giscard d’Estaing ?
Valéry Giscard d'Estaing
Non, pas du tout.
François Mitterrand
Si j’étais en mesure de le faire je le ferai, cela veut dire que je ne pose pas le problème de la dissolution, en principe, c’est simplement une nécessité car je veux conduire ma politique. Alors, il y aura des élections, et le peuple décidera.