Face à la crise des Euromissiles : la politique de dissuasion française

16 novembre 1983
20m 53s
Réf. 00041

Notice

Résumé :
La crise des Euromissiles, déclenchée en 1977 par la décision de l’URSS d’installer des missiles SS-20 en Europe de l’Est, place de nouveau le monde au bord d’un conflit mondial. Le 16 novembre 1983, depuis le plateau télévisé de l’émission L'Heure de vérité, François Mitterrand explique aux Français et au monde la politique française en matière de défense pour faire face à ce risque.
Date de diffusion :
16 novembre 1983
Source :

Éclairage

En acceptant l’invitation à l’émission L’Heure de vérité, ce 16 novembre 1983, François Mitterrand fait le choix d’innover en matière de communication politique : pour la première fois, un Président de la République se rend sur un plateau télévisé et répond en direct aux questions de l’opinion publique concernant la politique de défense française.

A cette époque, la crise majeure est celle des Euromissiles, déclenchée en 1977 par l’installation en URSS de missiles SS-20, menaçant directement l’Europe occidentale. Pour riposter, la décision est prise, au sommet de l’OTAN de 1979, d’installer des missiles Pershing II, notamment en Allemagne de l’Ouest. Cette escalade des tensions met de nouveau le monde au bord du gouffre. Pour calmer la crainte d’une troisième guerre mondiale, Mitterrand fait ici œuvre de grande pédagogie pour expliquer aux Français les caractéristiques de ces fusées, leur potentiel de menace pour le territoire national, les modalités de sortie de crise. A grand renfort de chiffres et de précisions techniques, il démontre ainsi sa parfaite maîtrise des dossiers stratégiques et sa connaissance des questions militaires. Pour ce Président socialiste arrivé récemment au pouvoir, c’est donc une manière très claire d’affirmer qu’il est indissociablement le chef de l’Etat et le chef des Armées.

Alors que la France n’a pas été conviée aux négociations en cours à Genève pour trouver une sortie de crise, c’est l’occasion pour Mitterrand de préciser sa position : seule « l’option zéro », conduisant au retrait simultané des SS-20 et des Pershing II, constitue une issue satisfaisante. Cette option est d’ailleurs adoptée le 8 décembre 1987 au sommet de Washington. En expliquant aussi que l’armement nucléaire français n’a pas à être pris en compte dans ces pourparlers entre les deux grandes puissances américaine et soviétique, le Président se montre intransigeant sur l’autonomie de la puissance de dissuasion française et le principe de l’indépendance nationale.
Alice de Lyrot

Transcription

(Musique)
François-Henri (de) Virieu
Bonsoir et bienvenue dans ce studio de L’Heure de Vérité, où nous accueillons ce soir Monsieur François Mitterrand. Monsieur le Président, ceux qui nous regardent ce soir, savent que cette seizième édition de L’Heure de Vérité ne sera pas comme les autres. C’est, en effet la première fois qu’un Président de la République accepte de venir ainsi dans l’exercice de la fonction suprême, répondre aux questions que se posent les Français. Alors, Philippe Harrouard est, comme d’habitude, à S.V.P, Philippe Harrouard, est-ce qu’on a déjà une première tendance sur les questions ?
Philippe Harrouard
Monsieur le Président de la République, bonsoir. Depuis 19 heures, nous avons un nombre record d’appels et toutes les questions qui vous sont posées font le tour des grands problèmes de politique étrangère du moment. Mais il y a un thème qui domine incontestablement, c’est celui de la défense, et un mot qui revient constamment, c’est le mot de guerre. Les Français se demandent s’il y aura une troisième guerre mondiale, et certains se demandent également si votre intervention de ce soir, Monsieur le Président, ne vise pas à les préparer à l’éventualité d’une guerre en Europe, la question est très clairement posée constamment. Par ailleurs, les thèmes qui dominent dans les questions qui vous sont posées sont ceux du pacifisme et du Proche-Orient, en particulier le Liban.
François-Henri (de) Virieu
Bon, la guerre, Monsieur le président, la guerre qui s’est rallumée hier, vous le savez, à Beyrouth, les premiers missiles de croisière américains qui commencent à arriver en Grande-Bretagne, ces missiles seront-ils lancés un jour ? Une guerre nucléaire est-elle envisageable, une guerre qui nous toucherait chez nous, là où nous vivons, en Europe ? Si je vous ai demandé de venir vous-même ce soir, Monsieur le président, c’est parce que vous êtes le mieux placé pour parler de la guerre, vous seul disposez des informations qui permettent de connaître les enjeux et les risques des choix militaires. Parce que vous êtes en rapport permanent avec les grands de ce monde, parce que vous êtes le Chef des armées et parce que vous avez accès par vos fonctions aux dossiers les plus secrets. Alors, Alain Duhamel, qui est déjà à mes côtés, Marc Ullmann de RTL et Paris-Match, ainsi qu’Albert du Roy d’Antenne 2, vont vous interroger pendant un quart d’heure chacun. En ayant constamment présent à l’esprit ce chiffre, 77% des Français qui ont été consultés l’été dernier par sondage ont déclaré être mal ou très mal informés sur cette question des fusées américaines en Europe. Alors, Alain Duhamel, c’est à vous pour un quart d’heure.
Alain Duhamel
Monsieur le Président, justement, essayons de clarifier, si vous le voulez bien pour commencer, cette question des euromissiles et des rapports est-ouest. Alors, la première question, naturellement, qui se pose et c’est celle que posent les téléspectateurs, c’est : il y a le blocage des négociations actuelles entre les Américains et les Soviétiques à Genève, il y a les missiles soviétiques qui sont déjà implantés, il y a les missiles américains qui commencent à l’être... Quels sont les risques de cette crise, jusqu’où est-ce que ça peut aller, est-ce qu’il y a des risques de dérapage ?
François Mitterrand
Je voudrais répondre aussi à la présentation de Monsieur de Virieu, mais juste un mot pour dire que j’ai parfaitement conscience de la fonction que j’exerce, en particulier ce soir, qui est celle d’expliquer aux Français des choses sérieuses. Je suis, par la constitution et par le vote des Français, le garant de l’indépendance nationale, et de l’intégrité du territoire, et je remplis la fonction de Chef des armées. J’ajoute que puisque notre stratégie repose sur la dissuasion, sur la détention d’une force atomique capable d’interdire à quiconque de songer à nous attaquer, toute une série de questions se pose, vous venez de le faire, sur ce que c’est que cette force et on risque de se perdre dans des explications techniques ou mécaniques. Je vais vous dire tout de suite quelque chose de très clair. La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le Chef de l’Etat, c’est moi, car tout dépend de sa détermination. Le reste, ce sont des matériaux inertes, enfin, jusqu’à la décision... Jusqu’à la décision qui doit consister précisément à faire que l’on ne s’en serve pas. Alors, j’en viens maintenant à votre question, les missiles, d’abord, qu’est-ce que c’est que des missiles ? C’est une notion assez obscure ! Je pense que beaucoup de Français ont vu le départ des satellites, le départ des astronautes, et ils ont vu une formidable poussée à la base, une mise à feu, et puis une fusée partir dans l’espace, eh bien, c’est un peu cela. Un missile, c’est un instrument de guerre qui fait lui-même sa mise à feu, une fusée part, cette fusée, elle a une tête ou plusieurs têtes; c’est-à-dire qu’elle dispose de plusieurs moyens de réaliser plusieurs explosions, c’est ce qu’on appelle des charges nucléaires. Et cela va, là où ceux qui l’ont voulu ont choisi leur but. Il existe diverses sortes de missiles, ou d’armements nucléaires, il y a ce qu’on appelle les armements tactiques, ne nous attardons pas. Ça ne va pas très loin, bien que ce soit meurtrier, et c’est un peu dépassé, bien qu’on s’en serve encore, je veux dire, dans les plans d’État-major. Il y a les missiles, c’est là que va se situer notre conversation, que l’on dit intermédiaires, de portée intermédiaire, c’est tout simple. Par rapport au débat qui nous occupe actuellement, c’est tout simplement des missiles, des fusées qui ne traversent pas l’Atlantique. C’est pourquoi les troisièmes, ces missiles de troisième catégorie, ce sont les missiles intercontinentaux, dits, au fond, stratégiques. Bon, je résume un peu, peut-être pour des spécialistes, mais c’est plus facile à comprendre. Donc, nous allons d’abord parler des missiles intermédiaires. C’est le cas des SS-20, ce sera le cas ou ce serait le cas des Pershing II.
Alain Duhamel
Des Pershing II et des missiles de croisière américains qui seraient implantés en Europe. Alors, la première question, il y a une situation de tension en ce moment, il y a le blocage des négociations qui existait justement sur ces missiles intermédiaires, ce qu’on appelle les Euromissiles ; il y a le début ces jours-ci, d’implantation des missiles de croisière et bientôt des Pershing II, et puis, il y a les missiles soviétiques, les SS-20 qui, eux, sont déjà implantés. Alors, la première question que, je crois, les gens se posent aujourd’hui, au moment où on parle, c’est : est-ce que cette tension risque de déboucher dans les semaines qui viennent sur une crise internationale majeure, ou pas ? Et puis ensuite, si vous le voulez bien, quand vous m’aurez répondu, on viendra aux questions qui se posent sur la négociation des Euromissiles, qui sont très importantes, et puis ensuite, à la force de frappe française.
François Mitterrand
Donc, on en viendra, car j’ai besoin de le savoir, à une explication des forces qui se trouvent face à face.
Alain Duhamel
Absolument.
François Mitterrand
Et également, je pense, de la question essentielle pour la France, est-ce que l’armement français va entrer en compte dans la négociation ?
Alain Duhamel
Tout à fait, tout à fait, tout à fait !
François Mitterrand
Je pense, alors sur la question principale que vous venez de me poser, qui a été exprimée par Monsieur Harrouard à l’instant, lequel au fond nous transmettait l’opinion générale; les risques de guerre. Je pense que l’opinion française a des raisons tout à fait fondées de s’inquiéter; tout à fait fondées ! Parce qu’après tout, la crise des Euromissiles, c’est la crise la plus sérieuse que le monde ait connu depuis les crises de Cuba, et de Berlin qui, comme vous le savez, ont représenté des moments forts, et souvent dramatiques de l’après-guerre dans lequel nous sommes. Mais il ne faut pas perdre pour autant son sang-froid, et l’opinion française doit garder le sien... Nous n’en sommes pas là ! Les crises précédentes ont été maîtrisées, celles-ci doivent l’être à leur tour, seulement, il faut pour cela répondre à un certain nombre de conditions. Au fond, vous savez, Monsieur Duhamel, personne ne veut la guerre, ni à l’est, ni à l’ouest. Mais la question qui est posée, c’est de savoir si la situation qui s’aggrave de jour en jour n’échappera pas à la décision des vrais responsables. Alors, ces conditions, je ne les énumèrerai pas, je dirais seulement que pour moi, elles commencent par une condition, fondamentale, qui est l’équilibre des forces en présence, pour que la guerre n’éclate pas.
Alain Duhamel
Alors justement, ça, ça m’amène exactement à la seconde question à laquelle j’avais pensé, votre position de fond sur cette question, c’est celle d’une réduction équilibrée des armements. Et la première question que les spécialistes ont à l’esprit, c’est, est-ce qu’il y a aujourd’hui, ou pas, équilibre des armements ? Et votre thèse, c’est, en ce qui concerne les missiles intermédiaires, comme vous l’avez expliqué tout à l’heure, en ce qui concerne les missiles intermédiaires, pour l’instant, il n’y a pas cet équilibre; c’est un point qui est controversé et je crois que ce serait bien que vous expliquiez votre position sur cette question.
François Mitterrand
Ce sont ces missiles-là qui sont en question, c’est ceux-là dont on discute, essentiellement, à Genève. C’est autour de ces missiles que tantôt les États-Unis d’Amérique, tantôt l’Union Soviétique fait des propositions dites de conciliation, de compromis, mais sans jamais, ou bien, s’adressent des, comment dirais-je, des invitations homériques, en disant "Essayez donc et vous verrez" ; jeu dangereux. Ce que je demande, c’est l’équilibre entre les forces. L’équilibre stratégique, c’est-à-dire les fusées qui traversent l’Atlantique, de la Russie vers l’Amérique, de l’Amérique vers la Russie, elles sont, en gros, équilibrées, et pour la simple raison que l’un et l’autre pays ont les moyens de se détruire l’un l’autre. Alors, pourquoi l’Union Soviétique a-t-elle décidé à partir de 1977, d’installer en plus ce que l’on appelle des SS-20. Une rapide description, si vous voulez bien, pour qu’on comprenne. Les SS-20 sont des missiles, j’ai dit tout à l’heure ce qu’était un missile, qui va loin, 4500 kilomètres, avec une certaine précision, 300 mètres. Il y en a combien, 360 dont, puisqu’il y en a en Asie, dont environ 243, 245 en Europe. Vers où, puisqu’ils ne traversent pas l’Atlantique, vers l’Europe Occidentale... En plus de l’équilibre stratégique dont je le répète, il existe déjà, en plus. Alors, pourquoi, est-ce pour que l’Union Soviétique s’assure une supériorité, là, déjà, dans le domaine des armes conventionnelles, classiques, en Europe ? Veut-elle une supériorité régionale indiscutable, veut-elle séparer dans leur réflexe de défense les États-Unis d’Amérique, de l’Europe Occidentale ? Enfin, interrogeons les Soviétiques; moi, je dis, ça, c’est trop ! Et j’était monté à la tribune de l’Assemblée Nationale lorsque j’étais membre de l’opposition pour dire, je crois que c’était en 1980, ni SS-20, ni Pershing II. J’ajoute, que les 360 - pour l’Europe, 243 - SS-20 sont à trois têtes, il faut donc multiplier par trois pour connaître la puissance de feu, c’est-à-dire le nombre de charge nucléaire. Alors naturellement, en 1979, l’autre camp, ça, il s’agit des États-Unis d’Amérique et de l’OTAN, dans son commandement intégré, et la France n’y est pas ! C’est donc une décision qui a été prise sans elle, hors d’elle, elle n’avait d’ailleurs pas à être consultée ... Ils ont décidé en 1979 d’installer à son tour, quatre ans plus tard, nous y sommes, des missiles. Est-ce qu’ils sont comparables, c’est ce qu’on appelle les Pershing II et les missiles de croisière. Parlons pour l’instant des Pershing II qui sont plus immédiatement comparables aux SS-20, car du côté soviétique, il y a aussi des missiles de croisière. Bon, distinguons les missiles de croisière, c’est quelque chose qui est également très meurtrier, qui est plus lent, il faut 15 minutes,
François-Henri (de) Virieu
C’est les avions sans pilote, quoi !
Alain Duhamel
C’est un petit avion sans pilote, oui.
François Mitterrand
Il faut 15 minutes à des SS-20 pour parvenir à leur objectif : 2000, 3000, 4000 kilomètres.
Alain Duhamel
C’est ça, et moins de 10 minutes aux, moins de 10 minutes aux Pershing II.
François Mitterrand
Moins de 10 minutes aux Pershing II, je n’en ai pas encore parlé, tandis que pour les missiles de croisière, il faut plusieurs heures, c’est, comme vous le disiez, un gros avion. Difficile à atteindre parce qu’il vole bas, il est difficilement perceptible par les appareils destinés à les arrêter, mais c’est très différent. Donc, pour limiter la conversation, sans quoi on s’y perdrait, parlons des Pershing II et parlons des SS-20. Alors, les Pershing II, c’est en 1979, que la décision a été prise, par l’OTAN, on a dit, on va essayer de négocier, mais on décide tout de suite qu’on le fera. Si la négociation réussit, on ne le fera pas. D'où la conférence de Genève sur les Euromissiles, c’est-à-dire sur les forces nucléaires dites intermédiaires, et depuis ce temps-là, la négociation n’aboutit pas. Qu’est-ce que peuvent faire les Pershing II ? Les Pershing II, ça va moins loin que le SS-20, 1820 kilomètres, c’est-à-dire que les Pershing II qui seraient installés en Allemagne ne peuvent pas atteindre Moscou.
Alain Duhamel
Non ?
François Mitterrand
Ils ne pourraient pas atteindre plus du dixième des vecteurs, c’est-à-dire des supports d’armement nucléaires soviétiques. Mais ils n’ont qu’une tête aussi, c’est-à-dire, quand on dit qu’il y aura 108 Pershing, c’est le chiffre retenu par la décision dont je vous parlais tout à l’heure, 108 et 464 missiles de croisière, lorsqu’on dit qu’il y aura 108 Pershing II, ça veut dire 108. Quand on dit 360 SS-20, trois fois plus...
Alain Duhamel
Il faut multiplier par trois.
François Mitterrand
Faites la multiplication... Pour 243, je crois en fait que ça fait quelque chose comme 729. Alors, le Pershing II est plus rapide, vous l’avez dit tout à l’heure, moins de 10 minutes pour atteindre son objectif, mais l’objectif est moins lointain, sa charge est moins puissante mais il est plus précis. Il est donc plus précis, il est plus rapide, les autres qualités, c’est le SS-20 qui les a. Cela dit, vous me disiez pourquoi, puisque les Russes ont engagé cette construction et ce déploiement de missiles intermédiaires, et je vous ai répondu...
Alain Duhamel
Ils recherchaient cet avantage.
François Mitterrand
Je pense qu’ils cherchent un avantage en Europe ! Peut-être séparer l’Europe des États-Unis d’Amérique... Et les Allemands, puisque c’est à la demande des Allemands que la décision de l’OTAN intégré, a été…
Alain Duhamel
Du Chancelier Schmidt ?
François Mitterrand
Du Chancelier Schmidt a été prise la double décision, comme on dit, à la fois s’armer et négocier, cette décision qui s’applique à partir de 1983 en Angleterre pour les missiles de croisière, en Allemagne pour les Pershing II, un peu plus tard pour d’autres missiles de croisière; cette décision-là, fait que les deux plus grandes puissances s’affrontent.
Alain Duhamel
Alors, ça pose l’autre grande question qui est, le refus de la prise en compte dans les négociations de la force nucléaire française, britannique aussi, mais enfin, disons, parlons d’abord de la force nucléaire française, évidemment.
François Mitterrand
Mais nous ne sommes pas à Genève, on ne nous a pas invités, nous n’avons pas demandé à l’être. Voyez, cette situation de deux pays, la Russie, les États-Unis d’Amérique, comme cela, face à face, qui vont prendre en compte l’armement d’un pays comme le nôtre, absent, disposer de son armement et quel est cet armement ? C’est un point essentiel de notre conversation, et je demande qu’on s’y arrête un instant. Car la France n’a pas de forces intermédiaires. À la limite, j’ai vu cela sur vos images juste avant que nous ne prenions la parole, à la limite, il existe 18 fusées, celles qui sont au Plateau d’Albion, et qui partant du sol français pourraient atteindre le sol, puisque vous me parlez de l’Union Soviétique, nous ne sommes pas les adversaires de l’Union Soviétique, nous n’avons pas du tout l’intention d’envoyer quoi que ce soit en Union Soviétique ; mais enfin, pour la commodité du langage, et c’est en tout cas comme cela que les Soviétiques raisonnent. Donc ces 18 là, peuvent aller d’un territoire à l’autre, très bien. Mais les autres, ce sont des sous-marins. Ce sont des sous-marins nucléaires...
Alain Duhamel
Dont on a cinq exemplaires pour l’instant.
François Mitterrand
On en a cinq pour l’instant, et nous disposons de 80 charges, ce qui fait, avec les 18, 98, les Anglais en ont 64. Mais ce sont des sous-marins, je veux dire par-là qu’ils peuvent circuler partout, par définition, dans...au-dessous de la surface de l’eau. Ils vont d’ailleurs connaître des développements qui permettront aux Anglais de tirer à 7000 kilomètres de distance. Ce sont des forces stratégiques qui correspondent exactement à la définition que les Russes et les Américains ont décidé entre eux. Alors, la conséquence de la prise en compte….
François-Henri (de) Virieu
À titre comparatif, Monsieur le Président, combien les deux superpuissantes ont-elles d’armes du même….
François Mitterrand
J’y allais ! J’y venais à l'instant ! La conséquence de cette demande soviétique que j’ai repoussée, c’est que, si nos missiles sous-marins, qui peuvent faire en effet actuellement 3500 kilomètres, 4000 kilomètres, étaient décomptés, pris en compte dans la discussion des forces intermédiaires, qu’elles ne sont pas; on assisterait à ce spectacle étrange, que j’ai déjà noté, deux pays étrangers qui disposeraient de notre armement à nous, cet armement étant des sous-marins, alors que eux, ne discutent pas de leurs sous-marins. Les sous-marins soviétiques et les sous-marins américains ne sont pas dans la discussion, puisqu’ils sont stratégiques, comme les nôtres. Résultat, nos 98 charges nucléaires seraient tout aussitôt absorbées par cette négociation particulière, et en supposant qu’elles soient gelées, comme on dit, qu’est-ce qui resterait, Monsieur de Virieu, c’est votre question, à la France, rien, que son armée conventionnelle et différentes armes d’un tout autre ordre. Qu’est-ce qui resterait aux États-Unis d’Amérique, environ 9000 charges nucléaires, qu’est-ce qui resterait à l’Union Soviétique, environ 9000 charges nucléaires. De telle sorte que la comparaison entre 9000 d’un côté et 98 de l’autre implique la réponse. Avant de songer à demander à la France de renoncer à son autonomie de défense, et à sa défense tout court, c’est le coeur de notre défense que cet armement, c’est la sécurité du pays. Il faudrait tout de même, que les deux grands partenaires songent à réduire considérablement leur armée.