Intervention télévisée avant les législatives

21 juin 1968
05m 05s
Réf. 00133

Notice

Résumé :
Pour sa dernière intervention lors de la campagne officielle avant le premier tour des législatives anticipées des 23 et 30 juin 1968, le président de la FGDS, François Mitterrand, tente, alors que le pouvoir gaulliste exploite la peur du désordre consécutive au mouvement social de mai, de réinscrire le scrutin dans une perspective temporelle différente.
Type de média :
Date de diffusion :
21 juin 1968

Éclairage

Au début du printemps 1968, François Mitterrand semble jouir d’une situation politique privilégiée. Après l’avoir poussé à un ballotage inattendu lors de la présidentielle de décembre 1965, il apparaît comme le premier opposant au général de Gaulle et a réuni les principaux partis de la gauche non communiste au sein de la FGDS. Celle-ci ayant obtenu de bons résultats (121 sièges) lors des législatives de mars 1967 et alors que les prochaines échéances nationales ne sont prévues qu’en 1972, il dispose du temps nécessaire pour approfondir une stratégie d’union de la gauche qui suppose un rapprochement des composantes de la FGDS et la signature d’un accord programmatique avec le PCF.

Mais le gigantesque mouvement social de mai 1968 bouleverse ses plans. Incapable de proposer une issue politique, il réagit à contretemps et commet, le 28, une faute tactique en présentant sa candidature à une hypothétique présidentielle quand le pouvoir, longtemps débordé, finit par reprendre la main après l’annonce, le 30, de la dissolution de l’Assemblée nationale par le général de Gaulle.

Aussi François Mitterrand aborde-t-il les législatives anticipées des 23 et 30 juin dans une position défensive. Sa dernière prise de parole avant le premier tour traduit même une forme d’impasse politique. Il déploie certes son talent oratoire, maniant l’anaphore, en appelant à tous les républicains et dressant un inventaire implacable des erreurs supposées, des plus classiques (l’éducation sacrifiée, l’Europe abandonnée…) aux toutes nouvelles (l’amnistie des responsables de l’OAS le 7 juin), du pouvoir gaulliste.

Mais, bien que sa dénonciation de « la propagande officielle qui agite le spectre de la peur » ne soit pas sans fondement, cette ultime tentative de réinscrire le scrutin dans la durée quand seul compte le moment se solde par un échec. La FGDS est balayée (16,5 % des suffrages soit deux points de moins qu’un an plus tôt, seulement 57 sièges remportés) et, bientôt, n’existe même plus.

François Mitterrand en est ainsi réduit à siéger parmi les députés non-inscrits. Ce n’est que provisoire car sa stratégie reste la bonne. Retrouvant la maîtrise du temps politique, il s’empare, dès 1971, de la tête du PS et redevient la principale figure de l’opposition. Il lui faut toutefois encore attendre 1981 pour accéder au pouvoir.
Antoine Rensonnet

Transcription

(Silence)
François Mitterrand
Vous qui êtes républicain, vous savez bien que si vous aviez voté il y a deux mois, vous auriez voté contre le gaullisme, contre son pouvoir politique arbitraire ; principal responsable du désordre de notre société et coupable d’avoir livré les uns à la colère, les autres au désespoir. Vous savez bien que si vous aviez voté il y a deux mois, vous auriez voté contre le gaullisme et contre son système économique qui, pour augmenter son stock d’or, instrument de sa guerre monétaire, lui a tout sacrifié : les salaires, les emplois, la productivité, jusqu’au point d’étouffer l’économie française et de révolter le monde du travail. Vous savez bien que si vous aviez voté il y a deux mois, vous auriez voté contre le gaullisme et contre sa politique d’éducation nationale ; qui, en marchandant les crédits à l’école et les réformes à l’université, a refusé à la jeunesse l’égalité des chances, les devoirs de la responsabilité et les droits de l’imagination. Vous savez bien que si vous aviez voté il y a deux mois, vous auriez voté contre le gaullisme et contre sa politique extérieure qui a sapé la construction de l’Europe, qui s’est fourvoyée au Québec et qui a renié dans le Moyen Orient celui qu’elle appelait son ami, son allié. Et maintenant, vous savez bien que si vous deviez voter dans deux mois, vous voteriez contre le gaullisme exactement pour les mêmes raisons. Quand ce ne serait que sur le plan moral, vous voteriez contre le pouvoir qui a si longtemps différé l’amnistie pour la vendre soudain au parti militaire dont il attendait un renfort. Vous savez bien que si vous deviez voter dans deux mois, vous voteriez contre le gaullisme qui, pour faire face à ses charges accrues et sans renoncer à sa force de frappe et à ses dépenses de prestige, vous livrera l’inflation et tentera au passage de rattraper les avantages obtenus par les travailleurs. Vous savez bien que si vous deviez voter dans deux mois, vous voteriez contre le gaullisme qui, beaucoup plus souvent que vous ne le pensez, a provoqué sciemment la violence, la même où, selon le communiqué de l’union des syndicats de police en date du 14 juin, là même où cela pouvait être évité. Vous savez bien que si vous deviez voter dans deux mois, vous voteriez contre le gaullisme qui, après avoir fermé la porte à la Grande Bretagne, hésite à son tour devant le marché commun ne sachant exactement s’il doit s’y perdre ou bien y renoncer. Tout cela, vous le savez fort bien. Alors pourquoi dimanche, et juste ce dimanche, pourquoi voteriez-vous gaulliste ? Ah, je sais bien que la propagande officielle, plus détestable que jamais, agite le spectre de la peur et que le pouvoir a voulu créer le climat psychologique d’un coup de force électoral à son profit. Mais pour qui vous prend-il ? Vous savez bien que le pouvoir et lui seul a pris les risques de la guerre civile en allant en Allemagne. Vous savez bien que le pouvoir et lui seul a pris les risques de la guerre civile en invitant une partie des Français à s’organiser contre l’autre. Vous savez, en réalité, on redoutera moins de changer ceux qui nous gouvernent, on redoutera davantage de les garder. Voyez dans quel état ils ont mis nos affaires, erreurs de gestion, erreurs d’appréciation, erreurs de décision. Quant à nous, nous n’avons pas cessé de songer, en dépit des attaques, à l’unité de notre patrie et au maintien de la paix civile. La Fédération est la plus puissante formation politique d’opposition parlementaire. Elle exprime dans l’Union de la Gauche un puissant courant populaire, elle veut élargir les bases de la réconciliation nationale. Elle vous garantit vos libertés. Votez, oui, votez pour la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste.
(Silence)