Michel Debré et François Mitterrand à propos de la politique intérieure

13 juin 1972
03m 41s
Réf. 00175

Notice

Résumé :
Débat entre Michel Debré, ministre d'État chargé de la Défense Nationale et François Mitterrand, député et Premier secrétaire du Parti Socialiste dans le cadre de l’émission politique, À armes égales.
Type de média :
Date de diffusion :
13 juin 1972
Source :

Éclairage

À armes égales (1970-1973) est une émission politique innovante en France qui s’inscrit dans une libéralisation progressive de l’ORTF avec Georges Pompidou et son premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Dans un dispositif fixé par les débats radiophoniques, elle s’inspire des duels télévisés à l’américaine, conviant deux leaders politiques à débattre et jusqu’à une trentaine de personnes sélectionnées par un institut de sondage – la Sofres – qui incarnent alors « l’opinion ».

Michel Debré et François Mitterrand sont les invités de l’émission diffusée le 13 juin 1972. Face à un pouvoir en difficulté, incarné ici par le ministre de la Défense du gouvernement Chaban-Delmas, François Mitterrand, après avoir conquis le Parti socialiste, développe un discours d’opposition et joue du clivage gauche-droite, invoquant Léon Blum et les réformes de 1936. En effet, Michel Debré se targue d’avoir mené une politique sociale par opposition aux « rêves » énoncés par François Mitterrand.

Ce dernier, après avoir conquis le Parti socialiste lors du congrès refondateur d’Épinay (juin 1971) est en pleine tractation avec le Parti communiste afin d’unir la gauche pour les élections législatives de 1973 (le Programme commun est signé 13 jours après ce débat). C’est ainsi qu’il se fait le porte parole du mouvement ouvrier, profitant de la décrépitude du pouvoir.
Léa Pawelski

Transcription

Michel Debré
On aboutit à une participation progressive de tous ceux qui, à un titre quelconque, sont intéressés à la production, en d’autres termes, face à un rêve aisé à exposer, un peu altéré,
François Mitterrand
Si c’est un combat, pourquoi dites-vous toujours la même chose ? Un combat précis qui engage des millions d’hommes.
Michel Debré
Je le répète, par la tactique, il y a toujours en face la réalité. La réalité, et une réalité qui a été marquée depuis quelques années et qui, encore une fois, est entrée maintenant dans les moeurs et dans l’esprit. Le Parti socialiste n’a pas le monopole de la liberté, il n’a pas davantage le monopole du progrès social ; et l’expérience des dernières années a montré à quel point, au contraire, politique suivie sous une inspiration qui n’a pas été et qui n’a pas plu à François Mitterrand et un effort, et un effort qui va continuer et qui doit continuer, et qui doit marquer l’avenir fait en sorte que la société se transforme sous les yeux et qu’il n’y a pas besoin pour ça de faire appel à quelque parti totalitaire que ce soit !
François Mitterrand
Sur le plan des faits,
Alain Duhamel
Alors, Monsieur François Mitterrand, je vous demande bien sûr de répondre,
François Mitterrand
Oui, oui.
Alain Duhamel
Je voudrais simplement, Guy Claisse est en train de rejoindre André Campana pour les questions qui seront posées ensuite, je vous demande simplement, l’un et l’autre, d’avoir à l’esprit qu’il ne reste plus que dix minutes du débat à proprement parler ; que naturellement, certains points qu’on n’a pas abordés seront abordés dans les questions. Alors, Monsieur François Mitterrand.
François Mitterrand
Je voudrais dire ceci, d’abord sur le plan purement des faits, de la réalité d’aujourd’hui. Des perspectives immédiates, car nous avons décidé de ne pas parler de futurisme ce soir.
Michel Debré
Des prospectives...
François Mitterrand
Et de parler des perspectives à portée de la main. Comment pouvez-vous dire ce que vous dites sur la participation, sur l’esprit social du Gouvernement, de sa majorité, sur les relations du capital et du travail quand on en est encore à des revendications fondamentales non respectées ; aussi bien les 1000 Francs par mois, abusivement engagés par Jacques Chaban-Delmas l’autre jour, en renvoyant cela aux calendes grecques, aussitôt démenti,
Michel Debré
Non, pas du tout !
François Mitterrand
Aussitôt démenti par Monsieur Boulin.
Michel Debré
En aucune façon !
François Mitterrand
Les 60 ans, la retraite, vous savez que la moyenne de vie d’un homme en France à l’heure actuelle est de 67 ans, mais pour un travailleur manuel, elle n’est que de 61 ? La retraite à 60 ans, ce n’est pas mérité ? Un an de paix après le travail et quel travail ? Les quarante heures que l’on a votées en 1936 et dont on parle encore, que vous ne respectez pas ! La cadence des heures, la semaine de travail en France est la plus longue d’Europe, plus longue que celle de l’Allemagne !
Michel Debré
Oui mais, mais les congés annuels sont les plus longs aussi.
François Mitterrand
La productivité, la productivité est la plus forte, et quoi, vous trouvez que c’est trop, les congés payés ?
Michel Debré
Non, non, en aucune façon.
François Mitterrand
Bon, mais il a bien fallu, il a bien fallu un Gouvernement….
Michel Debré
C’est, je vous signale que c’est le Gouvernement actuel qui les a augmentés….
François Mitterrand
Il a bien fallu un Gouvernement socialiste, il a bien fallu un Gouvernement socialiste, celui que présidait Léon Blum, pour imposer les congés payés, les conventions collectives, la semaine de quarante heures, l’office du blé, et combien d’autres choses encore ? Ce n’est pas du rêve, je le répète, c’est un combat ! Donc ça, sur le plan purement factuel, sans oublier les revendications de caractère qualitatif, véritablement, votre jugement est trop injuste pour qu’il, je n’éprouve pas le besoin de, je ne sais pas, de le dire à ceux qui nous entendent. Trop injuste, trop partial, et en même temps, trop ignorant, volontairement, c’est évident, des réalités historiques.