François Mitterrand réagit au témoignage d'un Français au chômage

02 janvier 1983
05m 51s
Réf. 00184

Notice

Résumé :
Le Président de la République François Mitterrand réagit au témoignage d'amertume et de colère d'un chômeur. Une fois exprimé sa solidarité à son égard, il tente d'en expliquer les causes (adaptation aux nouvelles technologiques, dispersion des centres de production dans de nouveaux pays émergents en Asie) et soumet des solutions pour résorber le chômage en 1983, notamment en réadaptant les formations aux besoins des entreprises.
Date de diffusion :
02 janvier 1983
Source :
Antenne 2 (Collection: Midi 2 )
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Éclairage

Cet entretien télévisé se déroule alors que le contexte est politiquement délicat pour le président. La relance de la consommation menée en 1981, pourtant menée de manière très prudente (elle est proportionnellement moins forte que celle impulsée par Jacques Chirac en 1975), n’a pas stimulé l’économie française comme attendu, mais a creusé le déficit commercial du pays.

Inquiet devant l’aggravation des déséquilibres, le président de la République et son Premier ministre Pierre Mauroy décident, dès le premier semestre de 1982, de mettre au sommet de leurs priorités la lutte contre l’inflation, la limitation du déficit public et l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises. En avril, le gouvernement s’engage ainsi, pour les dix-huit mois suivants, à ne pas augmenter les cotisations sociales payées par les entreprises. En juin, il bloque simultanément prix et salaires pour casser l’inflation. Dès ce temps, la rigueur est à l’ordre du jour, même si elle ne sera véritablement assumée devant les Français qu’à partir de mars 1983.

Si aucune mesure prise antérieurement n’est annulée, la lutte contre le chômage passe donc désormais en second. Le refus d’augmenter les coûts des entreprises condamne le processus de réduction et de partage du temps de travail, tandis que le recours aux préretraites, très coûteux pour le budget de l’État, est progressivement freiné. De manière générale, les très gros efforts entrepris au début du septennat ne sont pas relayés par de nouvelles mesures, tandis que les anciennes commencent à épuiser leurs effets. Il s’agit en fait désormais pour le pouvoir d’attendre des jours meilleurs, en attendant les effets de sa politique d’assainissement économique.

C’est ainsi qu’il faut comprendre le discours de François Mitterrand. S’il insiste sur les causes structurelles du chômage (nouvelle révolution technologique et mondialisation), c’est qu’il veut faire prendre conscience aux Français que sa disparition n’est pas pour demain. Les pistes qu’il présente sont des solutions de longue haleine : amélioration de la compétitivité et formation des jeunes. Ce discours sera récurrent jusqu’à la fin de son deuxième septennat.
Matthieu Tracol

Transcription

Inconnu
Mais l’espoir, il est là, et 82, ce n’était pas la joie, mais 83, ce ne sera pas la joie non plus pour les chômeurs, mais j’espère que, ben, Noël, il va aussi venir à ma porte, puis, que j’aurai un boulot ! Et j’espère fondamentalement quoi, enfin, pour moi, c’est très important. Enfin, voilà ce que j’avais à dire.
Pierre Lescure
Voilà, je crois que ce cas a un peu traversé horizontalement toutes les questions qui peuvent se poser. Avant d’en venir avec vous aux raisons structurelles, aux raisons extérieures aussi qui peuvent expliquer beaucoup de choses, est-ce qu’on peut, de façon peut-être un peu caricaturale, poser la question : Est-ce que ce jeune homme qu’on vient d’entendre, est-ce qu’il a une chance de trouver un travail en 83 ?
François Mitterrand
Permettez-moi de dire d’abord que tout cela exprime, chacun l’a ressenti, une très grande détresse. Et l’amertume et la colère sont justifiées dans le fond, non pas spécialement contre un gouvernement qui a pris la crise de plein fouet mais contre une société qui n’a pas été capable de s’organiser autrement. Et l’amertume et la colère, on en connaît les effets. Il faut simplement expliquer, c’est d’ailleurs pour cela que je suis ici, expliquer. Pour que ce jeune homme qui souffre, qui a de la fierté, on l’a parfaitement saisi en l’écoutant, et j’éprouvais une grande, un sentiment de solidarité à son égard et je crois bien que 1983 me permet de le démontrer. Mais nous avons dit tout à l’heure, vous venez de me le dire, il faudra aller un peu plus vers les causes de ce désastre, les causes profondes. Je me contenterais d’en citer deux, comme cela, rapidement, et vous me pardonnerez si je ne peux pas aller plus loin dans le cadre de cette émission. Le formidable mouvement technologique et l’inadaptation de notre société industrielle à cette arrivée des techniques nouvelles a provoqué un grand désordre. Beaucoup de ce qu’on appelle les industries classiques ont sombré ou sont en péril, et les travailleurs n’ont pas souvent été formés aux technologies nouvelles. Donc, nous sommes exactement dans ce décalage qui a provoqué au XIXe siècle, dans une autre révolution industrielle, a provoqué les drames que vous savez. Chacun se souvient des canuts de Lyon, de la destruction des machines textile, qui, pourtant, ont été à l’origine, par la suite, d’un formidable développement industriel et textile. Bon, nous sommes dans ce creux-là et il faut y parer le plus tôt possible. Et puis, il y a la dispersion des centres de production, le fait qu’il y ait beaucoup de nouvelles parties prenantes. Tous les pays, par exemple, de l’Océan Pacifique, la bordure, des deux côtés, Canada et Californie d’un côté et de l’autre, alors, le Japon, Taïwan, la Corée ou les Corées, en allant plus au Sud, jusqu’à Singapour. Il y a là un surgissement de nouveaux pays concurrents qui prennent une large part de la production et la vente. Bon, tout ça, on ne va pas s’attarder là-dessus, bien que ce soit fort utile à savoir. Qu’est-ce qu’on va faire en 83, c’est votre question. D’abord, on a essayé de panser les plaies, on s’est trouvé dans cette situation, comme ça. Vous savez, il y a 34 millions de chômeurs dans les pays industriels, 34 millions de chômeurs dont 15 millions de jeunes, comme ce garçon. Ce n’est donc pas un problème spécifiquement français, mais enfin, il faut que la France, là, nous, le gouvernement se mette à l’ouvrage. Alors, on a pansé des plaies, les contrats de solidarité ont quand même obtenu de bons résultats, la formation des jeunes gens de 16 à 18 ans permet de leur offrir des possibilités de métier. Mais autre part, les aménagements de temps de travail, et d’autre part un certain nombre de plans qu’on a un peu oubliés et qui sont pourtant très importants. Le plan textile, le plan sidérurgie ont permis de corriger le tir, de, j’ai dit, de panser la plaie, mais pas de la guérir. Il faut donc tenter de guérir le mal et pour cela, il n’y a que deux réponses, la production, la formation. Si on ne produit pas davantage et d’une façon plus ajustée aux besoins de la consommation et aux capacités de la concurrence, on en restera dans cette situation. Mais pour pouvoir produire comme cela, il faut aussi que les jeunes soient formés. C’est pour ça que l’autre jour, c’était avant-hier, j’ai dit qu’il fallait absolument passer de la formation professionnelle des 16 à 18 à celle des 18 à 25 ans. Effort colossal mais effort nécessaire et qui est tout à fait possible, car si les jeunes gens disposent d’une formation adaptée aux besoins de la société moderne, ils trouveront du travail. On aperçoit déjà un certain décalage entre la masse des demandeurs d’emplois, elle est d'environ 2 millions en France et un peu, presque un peu moins de la moitié de jeunes, tout simplement, ce qui est considérable ! Et en même temps, il y a des demandes d’emplois qui ne sont pas satisfaites, il faut donc ajuster l’offre et la demande. Alors, j’en aurai fini avec cela en vous disant que oui, ce jeune homme peut trouver en 1983 une situation, comme beaucoup d’autres, bien entendu, si nous savons et nous saurons, dans les mois qui viennent, réadapter les formations possibles. Il est certainement capable de faire beaucoup de choses, peut-être autre chose que le métier que jusqu’alors, il a effectué. Il faut donc le mettre en disposition de pouvoir, en l’espace de six mois, d’abord utiliser son temps pour apprendre autre chose et pour que cet autre chose débouche sur un contrat de travail. Voilà ce que je peux vous dire ex abrupto dans ce domaine. Mais c’est possible l’histoire des 18 à 25 ans, sans quoi, je n’en aurais pas parlé !