François Mitterrand est interviewé sur la crise sino-soviétique de 1963

12 juillet 1963
03m 59s
Réf. 00262

Notice

Résumé :
François Mitterrand, député de la Nièvre et leader de l’UDSR, est invité par la Radio Télévision Française à parler du conflit sino-soviétique en cours ; il est en effet un des rares Français ayant pu se rendre en Chine populaire depuis la révolution de 1949, et surtout, depuis la rupture des relations franco-chinoises en 1953.
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Date de diffusion :
12 juillet 1963
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Éclairage

Si François Mitterrand, alors député de la Nièvre et leader de l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) fait partie de ses experts mobilisés par la Radio Télévision Française en 1963 sur le conflit sino-soviétique, c’est qu’il fait effectivement partie des rares Français ayant pu se rendre en Chine populaire depuis la révolution de 1949, et surtout, depuis la rupture des relations franco-chinoises en 1953.

Ce voyage, effectué pour sa part en 1961, est alors le privilège de rares personnalités invitées par l’Institut du peuple chinois pour les Affaires étrangères comme le furent les intellectuels Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, ou les hommes politiques Edgar Faure et Pierre Mendès France. François Mitterrand en rapporte d’ailleurs un témoignage de première main, publié en cinq articles dans L’Express entre février et avril 1961, puis dans l’ouvrage La Chine au défi.

Lors de son voyage, le principal sujet d’actualité est la famine provoquée par les réformes agraires du « Grand Bond en avant » lancé en 1958. Dans cette émission, il est appelé à se prononcer sur les relations sino-soviétiques, conflictuelles depuis toujours mais qui se dégradent sans cesse depuis 1959. Fin juin 1963, la polémique s’est détériorée sur le plan idéologique, Khrouchtchev allant jusqu’à déclarer : " Les dirigeants du parti communiste chinois ont aggravé jusqu'à la limite leurs divergences avec le parti communiste de l'Union soviétique et le mouvement communiste international tout entier. » Des discussions d'ouvrent alors avec l’arrivée le 5 juillet d’une délégation chinoise à Moscou.

Au moment de cette émission radio, le 12 juillet, les discussions sont tendues, mais encore ouvertes. François Mitterrand développe un propos prudent, opposant dans une structure très duale l’URSS à la Chine, mais concluant qu’il ne croit à pas à la rupture. Celle-ci a cependant lieu quelques jours plus tard.
Judith Bonnin

Transcription

Présentateur
Aucun observateur occidental non communiste n’est allé en Chine Populaire depuis plusieurs années et pourtant, diverses personnalités, des hommes politiques, des journalistes, des économistes, des techniciens appartenant à différentes disciplines, sont allés à Pékin depuis le début de l’ère communiste chinoise. Tous ces gens ont observé comment fonctionnait le régime. Certains ont même envisagé depuis longtemps déjà l’éventualité d’une rupture entre Moscou et Pékin. Il est donc intéressant de savoir ce que ces différentes personnalités, ces différents spécialistes, pensent de la crise actuelle et pensent surtout de ces développements possibles. Nous avons donc entrepris une enquête auprès de ces différentes personnalités qui sont allées récemment en Chine Populaire et nous leur avons demandé, que pensez-vous du conflit actuel entre Pékin et Moscou. Quelles en sont à votre avis les raisons ? Vous pourrez donc entendre, à partir de ce soir et dans les prochains jours, les réponses de ces différents spécialistes, de ces différentes personnalités politiques et nous allons commencer cette série d’interviews par deux personnalités qui se situent aux deux extrémités de l’opinion, à Gauche Monsieur François Mitterrand, à Droite Monsieur Fabre-Luce. Écoutons d’abord la réponse du Sénateur de la Nièvre, Monsieur Mitterrand, leader de l’UDSR, non plus sénateur, mais député, excusez-moi, à qui comme aux autres personnalités interrogées, nous avons demandé, que pensez-vous du conflit Moscou-Pékin ? Quelles en sont, à votre avis, les raisons ?
François Mitterrand
La rivalité sino-soviétique est dans la nature des choses. En Russie, la révolution aura bientôt 50 ans d’âge, en Chine, elle n’a que 14 ans. La Russie est l’un des grands vainqueurs de la guerre mondiale et l’un des deux meneurs du monde, la Chine a été déchirée pendant 30 ans par la guerre civile et est écartée des assemblées internationales. La Russie n’a plus de revendication territoriale, la Chine regarde du côté de Formose. La Russie peut avoir intérêt à fixer pour longtemps la situation internationale telle qu’elle est aujourd’hui. Si la situation internationale est fixée pour longtemps, la Chine, dont les revendications territoriales et les aspirations idéologiques n’auront pas été satisfaites, s’estimera perdante. D’où cette conséquence, la Russie va vers la coexistence pacifique et la Chine vers la guerre froide. Bref, le communisme soviétique peut avoir confiance dans la force de contagion lente du communisme. Il peut s’arrêter en chemin en espérant repartir bientôt, tandis que le communisme chinois est un communisme révolutionnaire qui ne peut pas s’arrêter en chemin. Si je voulais prendre une image, je dirais que l’arme absolue de la Russie, c’est la bombe atomique. Grâce à la bombe atomique, elle peut ne pas se cantonner dans la guerre froide. Tandis que l’arme absolue de la Chine, c’est la révolution et la révolution suppose la guerre froide. Vous me diriez, alors, ce conflit va donc vers la rupture. Et pourtant je n’y crois pas. Si sans doute, chacun va rentrer chez soi, les communiqués mutuels seront insolents, l’un et l’autre se dénonceront comme deux églises issues de la même croyance. Mais si l’Occident devait penser que de cette rupture idéologique pouvait sortir la rupture du bloc communiste à travers le monde, alors je dirais que ce serait une espérance imprudente.
Présentateur
Donc vous l’avez entendu, Monsieur François Mitterrand ne croit pas, pour sa part, à une véritable rupture entre le communisme de Pékin et le communisme de Moscou.