Les dompteurs du cirque blanc

10 janvier 1973
07m 06s
Réf. 00030

Notice

Résumé :

Les dompteurs du cirque blanc, c'est 35 moniteurs de l'école de ski de Serre Chevalier dont le métier est présenté dans ce reportage. Comme l'explique Germain Cocco, directeur de l'école, la méthode d'apprentissage enseignée en France est très appréciée par les étrangers. Le double aspect entraînement/compétition est également important pour l'école de ski. Le reportage, par l'intermédiaire de Jules Melquiond, met en évidence les problèmes liés à la formation de moniteur de ski.

Type de média :
Date de diffusion :
10 janvier 1973
Source :

Éclairage

On parle dans les années 1970 de « l'âge d'or du ski ». Son terrain de jeu se nomme le cirque blanc, les moniteurs de ski y évoluent avec aisance. À la conquête des pentes, ces « seigneurs de la neige » (1), possèdent une science enviée et prodiguent un enseignement de qualité. Ce reportage du magazine Sports méditerranée diffusé le 10 janvier 1973 sur fond de musique entraînante (David Mc Williams « Days of Pearley Spencer » écrite en 1967), fait l'apologie de la technique et de la compétence des moniteurs de ski. Filmés dans la lumière, en pleine nature, ils transmettent une image d'efficacité et d'esthétisme et expriment un sentiment de plénitude et de liberté. « L'enseignement est entre de bonnes mains », rassure le journaliste.

La méthode du ski français est présentée comme la meilleure. Basée sur le virage aval qui a pris la suite du fameux christiania léger (2), elle puise ses sources dans les découvertes issues de la compétition. Émile Allais, champion du monde en 1937 à Chamonix, coopéra avec le capitaine de l'équipe de France Paul Gignoux pour mettre au point le christiania pur aval.

Avant-guerre, la Fédération Française de Ski a systématisé l'enseignement en une seule méthode. Les moniteurs du Ski Français ont été les premiers à réaliser l'unité de l'enseignement chez eux. Leur notoriété se trouve renforcée par la création de l'ENSA en 1943 (3). Créé le 13 novembre 1945, le SNMSF (4) favorise également leur reconnaissance avec pour objectifs d'organiser la profession de moniteur de ski, d'encourager le développement de l'activité en France, et d'enseigner la même méthode avec le même diplôme. Germain Cocco, interviewé dans le reportage, en est le deuxième président.

L'accession au diplôme de moniteur de ski est exigeante par le niveau technique demandé et la durée de la formation (5 ans). Tous passent par le même moule à l'ENSA, à Chamonix. Face à cette formation rigoureuse, Germain Cocco déplore le recours à des éducateurs sans diplôme pour encadrer des classes de neige alors en plein développement et initiant de nombreux jeunes, et ceci avec l'aval des inspecteurs d'académie.

La suprématie de la méthode française depuis les années 1930 est reconnue : championnats du monde à Portillo du Chili en 1966 où la France bat tous les records, Jeux Olympiques de Grenoble en 1968 avec la triple victoire de Jean-Claude Killy. Pourtant, des échecs de l'Équipe de France à Sapporo (Japon) en 1972 sont enregistrés. Avec seulement deux médailles, argent pour Danielle Debernard et bronze pour Florence Steurer, le ski français brille désormais par son absence aux places d'honneur (5).

Mais au journaliste qui se demande s'il y a osmose entre le ski d'enseignement et le ski de compétition, les démonstrations synchronisées des moniteurs dans la neige poudreuse répondent par l'affirmative de même que le discours sans équivoque de Germain Cocco, « cela n'altère en rien l'enseignement du ski ».

Grâce à de remarquables animateurs comme Gaston Cathiard, ancien directeur de l'École du Ski Français de Val d'Isère et président de l'association internationale des moniteurs de ski créée en 1971, la méthode se veut un modèle d'organisation pour les professionnels du monde entier. Des équipes de démonstrateurs sont envoyées à l'étranger dans le but de mettre en place un enseignement unifié. Seuls les Autrichiens se démarquent. Leur célèbre précurseur Hannes Schneider (1890-1955), créateur de la méthode de l'Arlberg (6), avait à son époque tracé une voie particulière.

Germain Cocco évoque les jeunes skieurs qui selon lui n'aiment pas le ski. Seraient-ils les précurseurs de nouvelles pratiques ? Le reportage, situé en 1973, se place à la charnière d'un changement de mentalité : l'effort que demande le ski alpin de compétition va être remplacé par le plaisir de la glisse sans contrainte. Dans un contexte de restrictions dues au choc pétrolier, il nous est offert un ballet enchanteur : l'art et la manière de dompter les éléments avant de dompter les élèves.

(1) Cités par l'écrivain moniteur guide Max Liotier.

(2) Le christiania léger, initié par un mouvement du haut du corps, et le virage aval dont l'impulsion part des jambes sont des éléments de techniques qui se sont succédés dans l'enseignement de la méthode française du ski.

(3) L'École Nationale de Ski et d'Alpinisme (ENSA) forme les professionnels aux métiers de la montagne et délivre les diplômes.

(4) Syndicat National des Moniteurs du Ski Français.

(5) Le milieu du ski explique ces « mauvais résultats » par ce qu'il a considéré comme la « décapitation » de l'Équipe de France, plusieurs leaders ayant été exclus.

(6) Hannes Schneider, Autrichien, professeur de ski alpin, codifie dans les années 1920 la méthode de l'Arlberg, basée sur le virage chasse-neige et le stem (ou stembogen).

Dorothée Fournier

Transcription

(Musique)
Journaliste
L’art et la manière de bien dompter l'élément avant de dompter les élèves, de bien glisser, de dessiner de savantes arabesques sur la neige, de sauter l’obstacle, bref, d’offrir un ballet enchanteur sur les pistes du cirque blanc aux noms non moins enchanteurs, le Grand Alpe, le Bois des Coqs, le Prorel. Voilà ce que nous proposent les 35 moniteurs de l’Ecole de ski de Serre Chevalier.
(Musique)
Journaliste
En voyant évoluer ces skieurs, on se rend bien compte que l’enseignement est entre de bonnes mains, si l’on peut dire. En tout cas, comme va nous le confirmer Monsieur Cocaux qui cumule les fonctions de Directeur de cette école et de Président du Syndicat National des Moniteurs Nationaux, la méthode française est très prisée à l’étranger.
(Musique)
M. Cocaux
Ben dernièrement, j’ai envoyé une équipe de démonstrateurs en Suède pour démontrer à des professionnels suédois ce qu’était l’enseignement du ski français. Que l’année dernière, nous sommes allés en, au Canada pendant un mois aussi pour faire la tournée des stations canadiennes avec une équipe de démonstrateurs et de moniteurs français ; et où notre enseignement a été, intéressait particulièrement tous ces professionnels des pays étrangers. Et que également, en ce qui concerne l’enseignement du ski, vous savez qu’il y a une association internationale des professionnels qui regroupe de nombreux pays ; et qu’au niveau de cette association, et bien, nous sommes en train de mettre en place une méthode d’enseignement unifiée et que déjà cette année, nous pouvons dire que l’enseignement est pratiquement unifié à l’exception des Autrichiens.
(Musique)
Journaliste
Mais il y a-t-il osmose entre le domaine de l’enseignement et celui de la compétition ?
(Musique)
M. Cocaux
Que d’un côté, on parle du ski de compétition et de l’autre côté de la valeur du ski d’enseignement. Mais effectivement, il y a un lien assez étroit, car les résultats d’une équipe de compétition déteignent toujours un petit peu sur l’enseignement du ski. Mais je dois dire que c’est la première saison depuis de nombreuses saisons où le ski français, disons, est un peu en perte de vitesse sur le plan compétitif ; et ça n’altère en rien, alors je dois le dire, vraiment, en rien l’enseignement du ski. Et sur le plan international, je n’ai pas peur de dire que l’enseignement du ski français est encore, actuellement, et j’espère pour de nombreuses années, le meilleur du monde.
(Musique)
Journaliste
L’enfant du pays, Jules Melquiond, qui a appartenu à cette équipe de France à l’apogée du succès, se sent concerné par ce double aspect, enseignement-compétition.
(Musique)
Jules Melquiond
Puis, les moniteurs peuvent apporter beaucoup parce que c’est quand même eux au départ qui commencent à, commencent à, à enseigner à tous ces jeunes champions. En ce qui concerne la descente, les clubs pourraient entretenir en permanence une piste de descente afin d’entraîner ces jeunes. Je sais bien que c’est très difficile d’entretenir dans une station une, en permanence une, une piste de descente, mais ça il le faudrait si on veut avoir de nouveau des, des descendeurs.
(Musique)
Journaliste
C’est vrai, si le ski français brille par son absence aux places d’honneur, la méthode d’enseignement française n’a pas perdu un pouce de terrain. Il est vrai que pour devenir moniteur national, le skieur doit subir avec succès des examens et des tests échelonnés sur cinq années. C’est précisément là où le bât blesse.
M. Cocaux
Voyez-vous, la profession de moniteur de ski et une profession qui est très réglementée. Nous avons des obligations, nous sommes obligés de passer tel examen pour entrer dans la profession, ensuite d’enseigner deux ans, puis de repasser tel examen à l’Ecole Nationale ; où, au bout de cinq semaines, on nous dit si nous sommes capables d’enseigner ou de ne pas enseigner, et ceci est délivré sous l’autorité du Secrétariat d’Etat Jeunesse, Sports et Loisirs. Puis, on trouve la chose surprenante, c’est que dans les vallées, dans les stations, et bien, il y a des centres d’enseignement, des sortes de foyers. Prenons l’exemple de foyers de fond, ou de classes de neige, où les inspecteurs d’académie, je dis bien les inspecteurs d’académie, qu’ils soient régionaux ou départementaux, et bien, donnent l’autorisation à tel ou tel gars d’enseigner dans ces classes de neige sans aucun du titre, sans aucun diplôme. Alors, d’un côté, des professionnels qui sont encadrés, réglementés, à qui on crée des obligations, par l’autorité de tutelle, en quelque sorte qui, de l’autre côté, se permet une anarchie complète. Alors de ce côté-là, c’est un très grave problème et pour nous, il est exclu que ça continue.
(Musique)
Journaliste
Le ski n’échappe pas à la règle. Comme dans toutes les autres disciplines sportives, il y a cette espèce de renoncement des jeunes dès qu’il s’agit de consentir quelques sacrifices pour réussir.
(Musique)
M. Cocaux
J’ai l’impression que depuis quelques années, on a quelques jeunes, et de plus en plus, on a l’impression qu’ils n’aiment pas le ski. J’ai connu les anciens, j’ai connu Jules Melquiond, j’en ai connu d’autres qui étaient dans la station, tel que Alain Blanchard. Ce sont des gars qui allaient faire du ski, ce que l’on appelle du ski sauvage, du ski en toute neige, du ski à travers les arbres, du ski à toute allure, en détente et en plaisir. Et je crois que c’est ça le vrai ski, et c’est ça qui forme, au niveau des jeunes, des futurs champions.
(Musique)