La double activité des saisonniers à Samoëns

30 mars 1965
05m 26s
Réf. 00089

Notice

Résumé :

Reportage dans la station de Samoëns sur la double activité des saisonniers que sont les moniteurs de ski ou les barmans durant la saison d'hiver. L'été, ils exercent un autre métier comme menuisier, éducateur, agriculteur ou maçon. Le reportage est effectué dans la station de Samoëns, en Haute-Savoie où divers saisonniers présentent leurs deux métiers et leurs préférences.

Date de diffusion :
30 mars 1965
Source :

Éclairage

Alors que l'hiver tire à sa fin, l'enneigement encore bien marqué permet le prolongement de la saison dans une station située à 1600 m d'altitude, Samoëns : une commune de la haute vallée du Giffre, dominant la vallée de Cluses et voisine de Morzine (Haute Savoie). La télévision régionale consacre un reportage à ce que l'on présente comme une innovation associée au tourisme : la double activité saisonnière des habitants des hautes vallées. Dans l'esprit des reporters, Samoëns sert d'exemple emblématique pour aborder les transformations du travail que le tourisme hivernal comme estival ont générées. Dans les années 60, les stations de ski se développent rapidement en profitant de cette période de modernisation et de croissance économique. C'est aussi celle de l'enrichissement relatif des classes moyennes, nouvelle clientèle ciblée. C'est le cas de Samoëns, village traditionnel, connu pour ses tailleurs de pierre ayant migré en Europe jusqu'au 19ème siècle et situé à 750 m d'altitude. Choisissant d'être une station-village avec un mode de développement harmonieux à partir du village ancien, la commune installe sur l'emplacement des alpages, entre 1600 et 2300 m d'altitude, tous les équipements nécessaires à la pratique du ski alpin. Par l'interview de quelques uns des acteurs de la montagne, le reportage choisit d'aborder successivement les nouveaux métiers afférant à la pratique du ski alpin et les différentes situations de pluriactivité qui en marquent la diversité.

Après un rapide panoramique sur les sommets environnants des Préalpes du Giffre, les premières images montrent les pistes, faiblement pentues. Ces vastes champ de neige sont bien adaptés à une clientèle de skieurs débutants qui, sous la conduite d'un moniteur, apprennent la technique du « chasse-neige », étape de base, avant de d'acquérir le « stem » puis le « virage parallèle » : ces étapes sont celles de l'époque que l'on pratique avec des skis longs et le plus souvent encore en bois. Le moniteur interviewé, arbore sur son pull rouge de moniteur de l'ESF son insigne, vraisemblablement celle de son Chamois d'or, marque de sa compétence. Il encadre ce jour-là les enfants d'une classe de neige de la région parisienne du Pré Saint Gervais : c'est en effet la saison pour ces séjours destinés à faire acquérir aux élèves urbains des pratiques nouvelles : un dispositif alors en plein développement. Suit la « jardinière des neiges » qui s'occupe du pré-ski et à cette époque des enfants de 4 à 9 ans. Ce sont ensuite le perchman puis le ski man saisi dans son atelier en train de farter des skis. Le médecin n'est pas oublié et l'on finit par le barman du restaurant d'altitude. Tous sont filmés en situation avec la tenue qui les identifie. Par les questions, le commentaire, comme par la manière de les filmer, le reportage souligne une hiérarchie des métiers, plus ceux de l'hiver que de l'été qui semble rejaillir sur la considération sociale qui leur est attribuée. Ainsi le moniteur présenté par cette formule « à tout seigneur tout honneur », ne peut rivaliser qu'avec le médecin en costume urbain de notable, filmé en intérieur. La « jardinière » n'est pas encore assimilée au corps de moniteurs, portant un anorak qui ne la distingue pas des autres skieurs. Quant au perchman, il a la tenue du travailleur manuel qui doit réparer les perches, même s'il indique qu'il ne se contente pas d'être un ouvrier des remontées mécaniques mais qu'il distribue aussi les forfaits. C'est le seul auquel la journaliste s'adresse en le hélant par son prénom (Léon), voulant sans doute imiter les pratiques locales ! C'est pourtant visiblement la plus âgée des personnes interviewées. Ainsi on voit défiler une série de métiers associés, parfois complémentaires et parfois très éloignés : moniteur et fabricant de chalet « savoyard » (pour ne pas dire menuisier), jardinière-éducatrice, perchman et agriculteur, skiman et maçon ; enfin le vrai saisonnier au sens pris à partir de cette date est le barman ; au long des deux saisons, il garde la même activité : Samoëns l'hiver, Megève l'été, et non une station du littoral comme on pourrait s'y attendre. Tous disent préférer la saison d'hiver, sans donner véritablement les raisons, sauf le barman, qui trouve la clientèle plus intéressante financièrement (il est pourtant à Megève en été). Tous disent apprécier cette activité économique pas aussi nouvelle que ce que le reportage semble vouloir montrer et induire dans les réponses. A noter, signe de l'époque, que le moniteur s'adresse à ses élèves en les vouvoyant.

Depuis, la station de Samoëns s'est développée, intégrée qu'elle est au domaine skiable du Grand Massif, qui comprend notamment Flaine, Les Carroz d'Arâches.

Pour aller plus loin :

- Balseinte Raymond (1958) Les stations de sport d'hiver en France. In : revue de géographie alpine, p.129-180.

- Carrier Nicolas (2001) La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Âge. Editions L'Harmattan,‎ 620p.

- Gérôme Colette (2004) Histoire de Samoëns : Sept montagnes et des siècles, les Marches, la Fontaine de Siloé. Collection « Les Savoisiennes »,‎ 253 p.

- Granet-Abisset Anne Marie (2014) Tourisme et pluriactivité : les « nouveaux » saisonniers des stations alpines depuis les années 1960. In : le tourisme comme facteur de transformations économiques, techniques et sociales : une approche comparative (19e-20e siècle). Lausanne : éditions APHIL, p.257-274.

- Voir une autre série qui aborde ces mêmes questions et à la même époque pour la station d'Albiez en Maurienne : Krier Jacques (1973) Mais où sont les neiges d'antan. In : A la découverte des Français. Disponible sur http://www.ina.fr/video/CPF86600770.

- « La fabuleuse histoire des sports d'hiver », dans Chroniques d'en haut.

Anne-Marie Granet-Abisset

Transcription

Sylvaine Blein
Ils sont très nombreux en montagne ceux qui exercent une double profession. Les stations de sports d’hiver, Samoëns les Saix par exemple, ont besoin d’eux pour les occupations les plus diverses afin de rendre agréables vos vacances de neige. L’été, ils font autre chose, mais quoi, et que préfèrent-ils ? A tout seigneur, tout honneur, le moniteur de ski.
Paul Pinaud
Bon, alors les enfants, vous allez me faire un chasse-neige freinage, venir jusqu’ici et vous tournez là-bas sur la gauche hein. Alors le premier, on y va, mettez-vous en piste. Oui, allez-y, regardez devant vous et tournez sur votre gauche, voilà, continuez. Alors, je suis moniteur ici dans la station de Samoëns, j’enseigne le ski pour, l’après-midi à une classe de neige de Pré-Saint-Gervais, ici. C’est un, un travail qui est quand même très agréable au point de vue d’enseignement. On a souvent de très bons résultats. Euh, moi l’été, je travaille dans la construction de petits chalets savoyards avec une entreprise de menuiserie. C’est un travail qui, un travail quand même d’équipe, mais pour nous, c’est moins intéressant, on a moins de, beaucoup moins de satisfaction qu’au point de vue ski.
Sylvaine Blein
Avant de parvenir au stade des cours collectifs, les plus petits passent par les conseils de la Jardinière des neiges.
Marguerite Szekely
Le métier de Jardinière de neige consiste en une garderie d’enfants sur ski. Des enfants de 4 à 9 ans auxquels on fait une initiation pour des futurs cours de ski. L’été, je fais monitrice d’adolescents, qui est un métier complémentaire, qui semble un peu du même domaine, mais nettement, je préfère la saison d’hiver.
Sylvaine Blein
Au fil des années, le modernisme a envahi la montagne et ce cultivateur travaille maintenant au téléski. Léon, depuis que Samoëns est devenu une station de ski, vous avez abandonné la culture pendant l’hiver ?
Léon Delesmillières
Oui, j’ai abandonné la culture pendant l’hiver.
Sylvaine Blein
Et que faites-vous ?
Léon Delesmillières
Je travaille au téléski.
Sylvaine Blein
C’est-à-dire, vous tendez les perches ?
Léon Delesmillières
Je tends les perches au téléski, je vends les cartes.
Sylvaine Blein
Samoëns a bien changé depuis 20 ans, dit-on dans le pays, vous l’avez connu aussi avant ?
Léon Delesmillières
J’ai connu Samoëns depuis très longtemps, depuis 50 ans que, j’ai 50 ans, alors, vous voyez.
Sylvaine Blein
Qui est-ce qui est plus joli maintenant ?
Léon Delesmillières
Samoëns est plus joli maintenant que à l’époque.
Sylvaine Blein
Vous ne regrettez pas cette transformation ?
Léon Delesmillières
Non, pas du tout !
Sylvaine Blein
Prêts aux joies de la descente, attention aux obstacles qui endommageront vos skis. Vous aussi, Monsieur, vous exercez une profession saisonnière, qu’est-ce que vous faites ?
Emile Castella
Je suis maçon, de mon métier.
Sylvaine Blein
Pendant l’hiver, vous n’êtes pas maçon.
Emile Castella
Evidemment non, lorsque, dès qu’il fait, disons, une température avoisinant, autour de moins cinq ou moins dix degrés, le ciment gèle et par conséquent, ça nous est impossible des travaux. Alors, c’est une raison pour laquelle j’ai adopté cette profession, disons, ça fait depuis 13 ans que je l’ai.
Sylvaine Blein
Et quelle est cette profession, vous réparez des skis ?
Emile Castella
Cette profession, la, enfin, disons dans un ensemble, comporte tout ce qui touche le domaine du ski.
Sylvaine Blein
Location,
Emile Castella
C’est-à-dire de la location, de la réparation, voire tout le genre de réparations qui peut ici survenir à moins d’une grosse casse effectuée sur le matériel. Mais sinon je m’occupe pratiquement, uniquement de cela.
Sylvaine Blein
Est-ce un métier agréable ou préférez-vous la maçonnerie ?
Emile Castella
Ben, c’est-à-dire que c’est une profession qui, l’été, j’aime bien mon métier de maçon, mais l’hiver j’aime beaucoup ce métier de ski man.
Sylvaine Blein
Certains brisent leurs matériels, d’autres, plus rares heureusement, ont des accidents corporels.
Raymond Veirat
Alors l’hiver, l’hiver, mon travail est augmenté par la, les quelques accidents de ski que nous avons dans la station. Ces accidents sont des fractures ou bien des luxations. C’est surtout des entorses et c’est souvent aussi des blessures par coupures, des coupures par carre. Mais ces accidents sont beaucoup moins fréquents qu’autrefois parce que nos pistes sont très améliorées, sont bien damées, sont très préparées ; parce que nous skieurs prennent des leçons de ski, n’est ce pas, et acquièrent rapidement des notions intéressantes qui leur évitent des chutes ; et puis, parce que le matériel de skieur, maintenant, évite aussi toutes ces torsions que nous avions autrefois hein, et qui provoquaient des fractures très graves.
Sylvaine Blein
Après tant d’émotions, on nous pardonnera volontiers à un petit tour au bar, le temps de se réconforter. Barman !
Inconnu
Voilà Madame, bonjour Mesdames.
Sylvaine Blein
Bonjour, vous exercez votre métier depuis combien de temps ?
Inconnu
Environ trois ans.
Sylvaine Blein
Pendant l’été qu’est-ce que vous faites ?
Inconnu
Je travaille en station également.
Sylvaine Blein
Vous êtes aussi barman.
Inconnu
A Megève, barman à Megève.
Sylvaine Blein
A Megève, quelle saison vous préférez ?
Inconnu
La saison d’hiver.
Sylvaine Blein
Pourquoi ?
Inconnu
C’est plus rentable.
Sylvaine Blein
Oui ?
Inconnu
Oui euh…, les clients sont meilleurs.
Sylvaine Blein
Ils sont très différents ?
Inconnu
Oui, ils sont différents, parce que la clientèle d’hiver que nous avons ici, va sur la côte l’été, voilà.
Sylvaine Blein
Bien, et bien, je ne sais pas ce que vos clients d’hiver boivent, pour moi ce sera un thé s’il vous plaît.
Inconnu
Un thé, Madame ? Un thé également. Alors deux thés, merci.