Cordée d'alpinistes

1890
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Réf. 01006

Notice

Résumé :

Cette gravure provient du fonds iconographique du Musée dauphinois.

Type de média :
Date de diffusion :
1890

Éclairage

En cette fin du 19ème siècle, les représentations de la montagne ont changé depuis que l'alpinisme a fait de ces espaces ignorés autant que redoutés, des terres à conquérir. C'est sous la forme de monstres diaboliques ou inquiétants que les estampes et autres gravures représentaient les « monts affreux » au 17ème siècle et jusqu'à la fin du 18ème siècle. A partir de cette période, notamment celle de la conquête du mont Blanc (1786), leur image s'inverse pour en faire progressivement des « monts sublimes ». Les procédés photographiques gagnant en technicité, mobilité et légèreté, permettent de commencer à fixer les exploits des « conquérants de l'inutile » comme le dira un siècle plus tard (1961) Lionel Terray, ce qui sera surtout vrai au début du 20ème siècle. Pour autant les estampes et autres gravures n'ont pas disparu des représentations de la montagne. Jusque dans les années 1890, elles restent particulièrement présentes comme illustration des ouvrages sur la montagne et l'alpinisme. Ceux-ci se multiplient en même temps que l'engouement pour cette nouvelle activité gagne des couches plus importantes de la bourgeoisie, acquise aux pratiques sportives qui éclipsent le voyage et les observations scientifiques.

Henry George Willink, (1851-1938) l'artiste réalisateur de cette estampe, incarne pleinement cette catégorie sociale (souvent juristes ou avocats) et cette génération d'Anglais qui ont construit la montagne, touristique autant que sportive et alpiniste, la pratiquant et médiatisant dans des ouvrages spécialisés comme dans la presse (1), leurs exploits et leurs découvertes. Anglais, formé à Brasenose, un des collèges fondateurs de l'université d'Oxford, il devient juriste tout en s'adonnant à l'alpinisme, une pratique qu'il a découverte jeune avec son père, parcourant les sommets alpins et les montagnes écossaises. Moins connu en France que son condisciple William Auguste Coolidge, passé dans les mêmes années à Oxford, ses talents d'artiste amateur sont sollicités pour illustrer un des fameux ouvrages sur l'alpinisme (Badminton Library), édité sous la direction de Clinton Dent avec un certain nombre de contributions écrites dont celles de H.G. Willink et de Sir Frederik Pollock, davantage connu comme juriste que comme alpiniste.

Une de ses illustrations les plus connues est celle du Wilderwurm Gletscher, autrement dit le glacier dévorant les hommes dans la vallée de Chamonix (1892) : une représentation dans la droite ligne des gravures du 18ème siècle.

Ici, la représentation d'une cordée d'alpinistes, prise dans la tourmente, s'inscrit dans cette même veine, ou plus encore dans celle de Gustave Doré pour l'ascension du Cervin (1865), mêlant la précision et le réalisme des personnages et des attitudes au monde fantastique de la montagne maléfique. L'opposition entre le cadre de l'ascension et les alpinistes est assez saisissante. La montagne englacée semble incarnée – en transparence on peut apercevoir une énorme tête animale à l'arrière-plan – et les plis des rochers supportant la corniche au centre de l'estampe, dessinent des figures inquiétantes. Il en va de même du mouvement qui innerve l'ensemble de l'image. C'est la violence de la tempête qui s'abat sur cette paroi, soulevant la neige, semblant entraîner des pans de neige et de glace eux aussi figurés comme des monstres, installant cette cordée dans une adversité que les attitudes réalistes des alpinistes traduisent : ainsi le guide, premier de cordée est obligé de se retourner et de se pencher, abritant sa tête dans une sorte de cagoule, en même temps qu'il surveille le reste de l'équipe. Le second tient son chapeau, en même temps qu'il s'appuie sur son piolet pour résister à la bourrasque alors qu'il progresse sur une corniche qui surplombe un a-pic vertigineux où le mouvement semble l'entraîner. La corde elle-même est emportée dans ce tourbillon. Le salut momentané vient des deux derniers de la cordée mieux abrités assurant leurs compagnons d'équipée, progressant lentement dans un passage profondément enneigé.

La facture de l'estampe est de belle qualité, qui rend compte d'une situation classique pour les alpinistes. Elle traduit par la précision du dessin et des attitudes la connaissance de l'artiste dans le domaine évoqué : expérience de l'alpinisme comme expérience de la montagne qui reste un monde dangereux, redouté autant que fascinant et passionnant pour ceux qui le pratiquent. Toutes ces gravures ont contribué à construire l'épopée de l'alpinisme, sport d'élite au 19ème face aux excursionnistes et autres touristes parcourant les sentiers, les cols ou restant dans les vallées.

(1) Un de ceux particulièrement actifs en ce domaine est Whymper qui donne le récit de son ascension tragique au Cervin en 1865 au Times.

Pour aller plus loin :

- Blanchard Jean Blanchard, Garin Léo (2007) Voyage au cœur des Alpes ; deux siècles de gravures anciennes du Mont-Blanc au Cervin. Glénat.

- Giudici Nicolas (2000) La philosophie du Mont-Blanc. Grasset.

- Joutard Philippe (1986) L'invention du Mont-Blanc. Gallimard.

- Joutard Philippe (1998) Le sentiment de la montagne, Glénat, Éditions RMN.

- Perret Jacques (1997) Guide des livres sur la montagne et l'alpinisme. Éditions de Belledonne, 2 volumes.

Anne-Marie Granet-Abisset