Les quotas laitiers

12 novembre 1986
02m 07s
Réf. 00025

Notice

Résumé :
Gilbert Vendée, producteur de lait à Treize Vents, reverse ses excédents de lait aux veaux depuis l'instauration des quotas laitiers, démarche risquée du point de vue sanitaire mais qui lui permet de ne pas jeter. Alors que la Commission européenne envisage une nouvelle taxe pour faire baisser la production, il se dit inquiet de la pérennité des exploitations laitières dans son département.
Date de diffusion :
12 novembre 1986
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Éclairage

La modernisation des exploitations laitières, le recours à des techniques de production intensives à partir de la mise en œuvre de la Politique agricole commune en 1962 ainsi que la création de l’Organisation commune de marché du lait et des produits laitiers en 1968 débouchent très vite sur une crise de surproduction qui s’accompagne d’une chute des prix du lait et de ses dérivés au niveau international. L’apparition de « montagnes de beurre » et de « mers de lait » dans l’Europe communautaire résulte de cette course à la production qui est de surcroît encouragée par la fixation de prix à la production plus élevés qu’au niveau mondial par les ministres européens de l’agriculture au cours des traditionnels marathons agricoles. Cette politique de prix rémunérateurs pour les producteurs laitiers résulte de la volonté des gouvernements de la CEE de favoriser le maintien d’une agriculture familiale prospère pour des raisons d’aménagement du territoire et des soucis électoralistes du fait du poids des agriculteurs dans le vote en milieu rural.
Il résulte de cette politique d’aide à l’agriculture, que plus le niveau de prix au sein de l’Europe agricole dépasse les cours mondiaux, plus les Etats doivent contribuer à abonder le budget de la PAC afin de payer les prix de stockage des produits laitiers invendus et de permettre à la Commission européenne de reverser aux agriculteurs la différence entre le prix mondial pratiqué à l’export et le prix plus élevé garanti au sein des Six.
Face à la crise de surproduction, les gouvernements français et canadien sont conduits à imaginer en 1970 un mécanisme de droits à produire ou quotas laitiers qui sont attribués à chaque producteur laitier et qui doivent être respectés sous peine de sanctions financières et de refus d’octroi d’éventuelles aides à la modernisation des installations par exemple. Si le mécanisme canadien vise à jouer sur la réduction de la production pour faire remonter les prix, les raisons de l’adoption des quotas laitiers par la France sont plus complexes. En effet, en tant que premiers exportateurs de lait de l’Europe communautaire, les producteurs laitiers français sont les principaux bénéficiaires de l’enveloppe reversée par la PAC ; l’adoption des quotas par la France vise à montrer aux autres Etats membres que la France encourage la modernisation de son agriculture en décourageant la poursuite de la production dans de trop petites structures.
Parallèlement aux quotas laitiers, les premiers montants compensatoires monétaires (MCM) sont instaurés en 1969. Ces derniers permettent de couvrir les effets de change entre les devises des Six en matière agricole au moment où le système de changes fixes en vigueur depuis Bretton Woods en 1944 commence à se fissurer. Les MCM jouent comme une taxe sur les exportations de produits à monnaie dépréciée (MCM négatif) et comme une subvention aux exportations des pays de la CEE à monnaie forte (MCM positif). Ce mécanisme va pénaliser la France car le Franc français connaît une première dévaluation en 1969, tandis que le Florin, le Deutsche-Mark et le Franc belgo-luxembourgeois seront plusieurs fois réévalués au cours des décennies 1970 et 1980.
En 1984, dans le contexte de la négociation en vue de l’Acte unique européen, des négociations d’adhésion de l’Espagne et du Portugal, les quotas laitiers sont généralisés à l’ensemble de la communauté européenne. Cette généralisation est soutenue par la France afin de limiter la possibilité de développement de la production de concurrents intra-communautaires comme les producteurs laitiers britanniques qui ont fortement accru leur production depuis l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE en 1973. De plus, le budget de la PAC qui n’est pas extensible à l’infini va devoir financer le soutien à d’autres productions que le lait, comme la viticulture ou les primeurs français ou italiens dont on sait qu’ils vont souffrir de la concurrence espagnole et portugaise. Les producteurs laitiers français craignent à juste titre que leurs droits à produire soient amputés et c’est l’objet du reportage tourné en Vendée en 1986.
La libéralisation de l’Europe communautaire va s’accélérer au début de la décennie 1990 avec une première refonte de la PAC en 1992 sur fond d’adoption du traité de Maastricht et d’ambition d’intégrer à terme les anciennes démocraties populaires d’Europe centrale et orientale. Pourtant, le secteur laitier n’est pas concerné par la réforme de la PAC qui tend pour les autres productions à faire converger les prix européens avec les cours mondiaux. Une nouvelle réforme de la politique agricole commune adoptée en 1999 pose la question du maintien des quotas dont le principe du démantèlement par étape est retenu en 2003 puis 2008 avec comme conséquence une disparition complète le 1er avril 2015.
Eric Kocher-Marboeuf

Transcription

Présentateur
Autre sujet de tension, les excédents laitiers. Pour réduire la marée blanche, le Parlement Européen vient de proposer une surtaxe de 5% en plus des 3% déjà prévus, contre ces dépassements de quotas laitiers. D’où une protestation immédiate des producteurs de l’ouest, un exemple choisi en Vendée, toujours Evelyne Garcia-Jousset.
Evelyne Garcia-Jousset
Gilbert Vendée a 32 ans, il est exploitant agricole depuis près de 10 ans. Avec 55 vaches qui, chacune, lui donne 6000 litres de lait, il devrait produire 330000 litres par an. Le quota de 3% institué en 1983 l’oblige à produire réellement 318000 litres. Conséquence, des excédents avec lesquels il a choisi de nourrir son élevage de veaux. Une solution onéreuse et risquée, le manque d’homogénéité de ce lait pouvant entraîner des diarrhées et une forte mortalité, 10% environ. Mais Gilbert Vendée a préféré cela au gâchis. L’accroissement de 5% de ce quota signifierait pour lui la perte de trois vaches ou mieux, 35000 Francs, c’est-à-dire le bénéfice d’une année.
Gilbert Vendée
Si on veut en venir à ça, je pense que la commission quand même, elle, si elle réduit, c’est surtout pour elle, pour son déficit budgétaire. Mais elle ne pense pas tellement aux agriculteurs derrière, quoi, et même aux entreprises qui ont fait des investissements, c’est quand même grave, quoi. Et on sait très bien que les charges, elles, ne diminueront pas. Alors que le lait, lui, il va diminuer et si encore, on pouvait espérer une augmentation du prix, mais je pense qu’il ne faut pas se voiler la face. Si la commission a décidé de réduire au niveau du produit brut, c’est bien que elle ne peut pas faire autrement !
Evelyne Garcia-Jousset
Pour Gilbert Vendée comme pour les 6000 producteurs livreurs de lait de ce département, c’est l’angoisse. L’angoisse pour certains jeunes de ne pouvoir assumer les remboursements de leur installation. L’angoisse aussi pour les laiteries, elles sont cinq en Vendée, qui ont investi dans du matériel de transformation et qui, devant une baisse de production, devraient être obligées de restructurer la profession, voire licencier.