Jean Yole

10 mars 1973
08m 35s
Réf. 00127

Notice

Résumé :
Jean Yole était le romancier de la Vendée. Pendant très longtemps, il a habité au logis de La Noue à Vendrennes où Pierre Jakez Hélias rencontre son épouse, Marie-Joseph Boisde. En alternance avec la lecture de quelques extraits d'oeuvres, elle parle de son mari défunt, de la Vendée et des marais où il a pratiqué la médecine.
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Date de diffusion :
10 mars 1973
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Éclairage

Léopold Robert (1878-1956) est l’un des écrivains et homme politique marquant dans la première moitié du XXe siècle. Ce médecin longtemps en pratique dans le Marais, se fait connaître en littérature en prenant le pseudonyme de Jean Yole en s’inspirant de la barque qui permet de se déplacer dans le « marais », cette partie qui, au nord-ouest du département a gardé l’enchevêtrement des champs et des canaux. Alternant romans et œuvres de fiction (Les arrivants, Les démarqués, Le capitaine de paroisse) avec des essais politiques (Le malaise paysan), il développe une réflexion à vocation universelle à partir de l’exemple vendéen. Cette volonté d’action se traduit dans ses engagements publics, maire de Vendrennes, puis sénateur de Vendée et un temps membre du Conseil national de l’Etat français en 1941. Il prendra ensuite ses distances avec la politique collaborationniste, ce qu’il traduira dans le livre Le banc vert. Déclaré inéligible en 1946, il demeure l’une des illustrations des lettres vendéennes, comme en témoigne la phrase « La tradition c’est le pied mère, le progrès c’est le greffon » qui est apposée sur la Chapelle du Mont des Alouettes, près des Herbiers avec son effigie. Son inhumation a été considérée comme l’une des dernières manifestations de l’esprit vendéen, avec la procession des métayers conduisant leurs bœufs.

Transcription

Journaliste
Jean Yole, c’est un nom en Vendée !
Intervenant 1
C’est un monument, un monument public. Et comme tous les monuments publics, trop connu et toujours à connaître.
Journaliste
Louis Chevalier, il faut parler de la signification et de l’importance historique vendéenne et française de l’oeuvre de Jean Yole, de la signification et de l’importance historique de son existence, de l’inoubliable personnage qu’il fut.
Marie-Joseph Boisdé
C’était, euh, un méditatif foncièrement mais c’était un actif, c’était un actif, il n’est que de voir, enfin, se donnant au sport. Par exemple, la yole, la conduite de la yole qui était, qui était une, enfin, qui était vraiment un sport. Mais surtout le saut, le saut à l’automne et au printemps, quand il fallait sauter des fossés pour, pour s’épargner quelquefois trois ou quatre kilomètres pour arriver à une maison qui, à vol d’oiseau était à 2 ou 300 mètres ; mais où il aurait fallu plusieurs kilomètres s’il fallait, s’il avait fallu faire par les chintres ; les chintres, c’est-à-dire les chemins des marais, s’il avait fallu faire le, prendre le contour.
Journaliste
Il était très, très, très fortement implanté dans ce pays, il connaissait parfaitement les gens et il connaissait aussi leurs problèmes !
Marie-Joseph Boisdé
Ah, oui, ah, mais absolument, et justement, il s’est soucié de ça. Le problème, comment dirais-je, le côté, le côté économique, mais a, enfin, a joué beaucoup, a joué beaucoup.
Journaliste
Les, Les Arrivants, par exemple, c’est, c’est une partie de la, de l’histoire de cette Vendée, qu’il connaissait bien.
Marie-Joseph Boisdé
Oui, c’est à ce moment-là, il était très, on pouvait penser à ça parce que ça se présentait, ça s’offrait.
Journaliste
Jeanne Mercier, lorsque nous prenons du recul pour interroger l’oeuvre de Jean Yole, ce que nous entendons d’abord à travers la variété savoureuse de ses thèmes, de ses descriptions et de ses analyses, c’est le romancier de la Vendée. C’est l’observateur lucide et fervent de sa province. Mais si notre attention se fait plus profonde, plus intime, alors se dévoile le timbre essentiel de cet oeuvre, qui n’est, me semble-t-il, ni de régionalisme, ni d’actualité mais d’humanité tout court ; et pour ainsi dire, de poésie. Jean Yole fut un grand amoureux de la vie. Il avait une façon entière, généreuse et puissante d’exister. Il vibre à l’unisson de cet élan cosmique qui soulève le monde et fait la pérennité des vivants. Madame Robert, Jean Yole, nous sommes ici à Vendrennes, au Logis de la Noue, c’est la maison que Jean Yole a habité pendant très longtemps.
Marie-Joseph Boisdé
Très longtemps, très longtemps. Nous, oh, à l’heure de notre mariage, déjà mes parents habitait la Noue, mon père avait acquis la Noue à la fin du siècle dernier, en 90, enfin, à la fin du siècle. Ah, notre mariage a eu lieu à Vendrennes, n’est-ce pas, et nous avons, nous sommes donc partis en 1906. Nous sommes donc partis à Soullans, où il a connu une médecine, alors très difficile. Alors, il a connu le marais, il a pratiqué la médecine au moment du grand marais, au moment où les hivers rendaient absolument le marais impénétrable. Et du côté de son ascendance maternelle, il avait à la Gabornière du Perrier une paroisse, une commune qu’il mettait au-dessus de tout.
Journaliste
Le village français me paraît, pour se recueillir, un lieu de choix. Le village détient une sagesse dont on a dédaigné de tirer profit. Les civilisations les plus brillantes peuvent disparaître sans laisser de trace, des cités fameuses restent ensevelies comme de simples défuntes dont on a oublié le nom et négligé les tombes. Du soc de sa charrue, le paysan déterre des statues de dieux morts qu’il ne connaît pas. Le village, lui, mal entretenu, souvent radoubé avec des moyens de fortune, le village, lui, demeure. Rasé, brûlé, les exigences du lieu le font renaître de ses cendres, il aura la vie de la terre. Il durera aussi longtemps que le fruit et la source, aussi longtemps que la faim et la soif de l’homme. Le village est le plus vieil observatoire du monde, en définitive, tout se juge d’un champ. La Vendée de Jean Yole, qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui, d’après vous ?
Marie-Joseph Boisdé
Hélas, justement, alors, Jean Yole a écrit sa Vendée, au moment où il l’a écrite, elle était telle en bordure du passé. Mais alors, hélas, depuis la guerre, on se rend compte qu’avec les érosions, avec les choses, mais il y a eu d’autres, il y a d’autres érosions qui se font au moral, comme dans la nature, n’est-ce pas ? Mais alors, une érosion d’âme et de coeur, c’est encore bien plus…
Intervenant
Je crois que il y a des erreurs qu’il faut éviter quand on parle de Jean Yole. On le confine trop souvent à l’intérieur de la Vendée. Certes, on ne peut pas comprendre Jean Yole si on ne le situe pas dans son département, dans son lieu natal. Mais on risque de ne rien comprendre si on le restreint à cette zone.
Marie-Joseph Boisdé
Quand il définit la terre, par exemple, la terre source de tout, eh bien, il met d’abord la terre source de paix. Au fond, si, si le, si la façon dont il comprenait la terre était celle qui existe, n’est-ce pas, ben, la guerre, la guerre n’existerait pas, la guerre. Et ce qui n’empêche pas, ce qui n’empêche pas que il était tout à fait désireux de voir les terriens améliorer leur sort. Leur sort, et le fameux mot qu’il a dit dans Le Malaise Paysan : "Dans chaque livre de pain, il y a une aumône paysanne". Quelle phrase fière, à la fois qui est, comment dirais-je, si on pouvait employer le mot qui traduit des rancoeurs. "Dans chaque livre de pain, il y a une aumône paysanne" : quelle leçon ça donne à des citadins, et quelle leçon ça donne à ceux de la terre aussi, n’est-ce pas ?
Journaliste
C’est le rôle de chaque génération de recueillir ce que la tradition détient de sages leçons, d’énergies accordées, pour en ensemencer les réalités futures. La tradition, c’est le pied-mère, le progrès, c’est le greffon. Et si le greffon ajoute à la saveur des fruits, la résistance tient avant tout à la vigueur des racines.
musique
(musique)
Intervenant
C’était un homme qui, par sa notion même du lieu avait le sens de l’univers. Et ce sens, il l’exprimait par une langue dont le charnu, dont la saveur, dont l’adéquation parfaite entre les personnages qu’il décrit, les lieux qu’il montre et ce qu’il sait de ces lieux et de ces personnages, cette adéquation est parfaite.
Journaliste
On a pu dire que le thème centrale de l’oeuvre de Jean Yole était le lieu, qu’est-ce qu’on entend par là, Madame, qu’est-ce que c’était le lieu, pour lui ?
Marie-Joseph Boisdé
Je crois que le mot dont il l’a défini pourrait être une réponse, notre maître et notre ami le lieu. Quelque chose, un état, notre maître dont on est dépendant.
Journaliste
A la recherche de ses refuges, l’homme a donc découvert la terre maternelle. En regardant de près sur la carte des lieux abandonnés, il voit apparaître d’anciens dessins qui ont tracé les premières lignes, la province. Car la province est vivante, c’est la grande différence avec le département qui, lui, a réglé son sort une fois pour toutes, bien résolu à ne pas y revenir. Car en vérité, la province ne se délimite pas d’abord, elle s’enfante. Délimiter une province, une région, c’est bâtir son cadre géographique, j’allais dire, son berceau. Ce qui importe, c’est de remettre dans ce berceau les nouveaux-nés au beau sang héréditaire qui feront chanter les mères et l’osier, son âme. L’âme, en l’occurrence, c’est cet esprit qui préside à tout, aux humbles marchés de nos foires, à l’élaboration de l'oeuvre d’un artisan, au mode de faîtage de nos toits, au tracé d’une route nouvelle ; qui corrigera, tout en en gardant les servitudes, les caprices apparents du vieux chemin des charrettes et des troupeaux aussi bien qu’un certain comportement devant l’épreuve et la joie.