La reine de l'hameçon

27 mars 1976
04m 39s
Réf. 00201

Notice

Résumé :
Lucienne Rouvel a fait fortune aux Sables d'Olonne sur une idée simple: monter des hameçons sur des lignes de nylon et en multiplier les points de vente. Grâce à une main d'oeuvre vendéenne disponible, peu coûteuse et grâce aux machines créées par son mari, elle est désormais n°1 en France et en Europe et elle exporte dans le monde entier.
Date de diffusion :
27 mars 1976
Source :
TF1 (Collection: IT1 13H )

Éclairage

Au-delà se son côté anecdotique qui peut rétrospectivement prêter à sourire, le parcours extraordinaire de Lucienne Rouvel aux Sables d’Olonne fournit un bon résumé de la Vendée littorale contemporaine. Le poncif « entre tradition et modernité » doit être ici revisité, à la faveur des étapes qui ont mené cette titulaire du certificat d’études, née en 1927, de l’exercice du métier de modiste au statut de chef d’entreprise et de notable dans sa ville. Il faut aussi souligner le côté entreprenant de cette femme de 49 ans en 1976, « patronne » ainsi qu’elle se définissait elle-même, ce qui n’est pas un cas unique en Vendée, si l’on songe à la figure d’Annette Roux, directrice des chantiers Bénéteau.
A la base de l’histoire de Lucienne, il y a une ville-port, Les Sables d’Olonne, avec son patrimoine et son caractère. La pêche domine l’image de la cité, qu’elle se pratique au filet (c’est le cas pour le thon et l’anchois) ou bien à l’aide de lignes. Cette seconde activité réunit professionnels et amateurs, en mer ou en rivière, et nécessite un matériel de base, l’hameçon. Lucienne la Sablaise doit avoir en mémoire les lignes confectionnées sur les quais ou dans les rues du quartier de La Chaume, par les pêcheurs et leurs femmes. Quand elle était petite fille, les aînées conservaient l’usage du costume traditionnel avec sa coiffe en dentelle, telles qu’on les découvre sur les cartes postales anciennes de nos collectionneurs. Devenue couturière et modiste, experte en confection, elle épouse Gérard, fils d’un marchand d’articles de pêche. La technicité requise pour monter un hameçon sur un bas de ligne, à l’aide d’un nœud particulier, la frette, ne lui échappe sans doute pas. Elle a l’idée d’offrir aux utilisateurs la commodité d’un hameçon monté, opération que la révolution du nylon facilite alors. L’idée est simple, elle est pourtant inédite.
Au cœur des années 1970, les travailleurs de la métallurgie (tourneurs, fraiseurs, ajusteurs) n’ont pas encore été balayés par la robotisation et Gérard Louvel allie à sa formation une inventivité qui donne bientôt corps à l’idée de son épouse. L’atelier des Rouvel résonne des bruits des machines qui montent leurs premiers hameçons, d’abord à destination du commerce familial. Le succès décide Lucienne à prospecter le marché local, avant de gravir les échelons jusqu’à atteindre le marché international, l’Europe et les anciennes colonies, sur les côtes desquelles les pêcheurs sablais poursuivent le thon. Lucienne est un manager doublé d’une remarquable communicante. Sur les stands des foires expositions et des salons, elle revêt le costume des Sablaises, et inscrit ainsi son produit extrêmement innovant dans le patrimoine historique du port de pêche. Pour faire face à la demande, elle reproduit le système de production des pêcheurs traditionnels, confiant à 60 ouvrières à domicile, le soin du montage du produit.
Moderne, elle s’appuie sur les avantages comparatifs que lui offre une Vendée littorale encore rurale, pour faire travailler à la tâche une main d’œuvre peu qualifiée – donc peu chère – qu’elle se dispense de réunir dans des ateliers. La solution du travail à domicile, culturelle, est ainsi mise à profit pour occuper les temps creux d’une pluriactivité qui laisse ses ouvrières désœuvrées quand leurs autres activités tournent au ralenti (agriculture, pêche, commerce, artisanat). Lucienne Rouvel est aussi un investisseur avisé qui place ses bénéfices dans l’immobilier local où, à la tête d’un patrimoine locatif important, elle profite de la croissance de l’économie balnéaire. Même si l’activité a depuis quitté Les Sables, des entreprises du secteur continuent d’exploiter brevets et inventions déposées par les Rouvel, un couple de Sablais très entreprenants.
Thierry Sauzeau

Transcription

Présentateur
Il y a vraiment des aventures et des ascensions qui méritent une attention particulière. La carrière de Lucienne Rouvel est de celle-là. A 49 ans, Lucienne Rouvel est en effet à ranger dans le petit nombre de ceux que l’on appelle les conquérants. Originaire d’un milieu modeste, puis modiste, Lucienne Rouvel épouse à 23 ans le fils d’un marchand d’articles de pêche. Un jour, le déclic se produit. A partir de machines presque artisanales mais ingénieuses inventées par son mari, elle décide de développer la production de hameçons montés. Les pêcheurs comprendront aisément, pour les autres, j’indique qu’il s’agit simplement, mais il fallait y penser, d’assembler les hameçons et les lignes de nylon. A partir de cette idée, la réussite est fulgurante avec une entreprise de 20 employés, Lucienne Rouvel, qui est installée aux Sables-d’Olonne va connaître rapidement la griserie de la réussite. Un reportage de Jacques Collet.
bruit
(bruit)
Jacques Collet
Dans ce magasin d’articles de pêche des Sables-d’Olonne, cette femme a découvert un moyen inattendu de faire fortune. Vendéenne, 49 ans, Lucienne Rouvel a eu l’idée d’exploiter un geste tout simple. Depuis toujours, dans la boutique de ses beaux-parents, on assemblait à la main, pour faire plaisir aux pêcheurs, les fils de nylon et les hameçons que d’habitude, on vend séparément. Deuxième idée géniale, elle décide d’élargir ses ventes à d’autres détaillants. Le surplus de travail qui en résulte est alors confié à une soixantaine de travailleuses à domicile. Ça n’a l’air de rien, ça n’avait pourtant jamais été fait.
Lucienne Rouvel
Ma première année d’exercice, j’ai fait en Francs anciens 170000 Francs de chiffre d’affaire.
Jacques Collet
Vous en êtes maintenant à ?
Lucienne Rouvel
A, en Francs anciens toujours, 500 millions.
Jacques Collet
500 millions d’anciens Francs, un demi milliard ?
Lucienne Rouvel
Exactement, le demi milliard.
Jacques Collet
Pourtant, sans l’ingéniosité de son mari, la formidable expansion de l’entreprise Rouvel n’aurait jamais été possible. Car Monsieur Rouvel a littéralement inventé de toutes pièces et réalisé les machines qui fabriquent les emballages d’hameçons. Mais ce n’est pas tout, il y a six ans, Lucienne Rouvel a donné trois mois à son époux, qui ne connaissait rien à l’imprimerie, pour qu’il intègre à l’entreprise un atelier de typographie. Il a, une fois de plus, répondu à cette attente et depuis, les pochettes de hameçons sont vendues partout, imprimées aux noms des revendeurs.
Gérald Rouvel
La direction proprement dite est laissée, au point de vue responsabilité, entièrement dans les mains de ma femme. Je, je lui donne des conseils, parce que malgré tout, on vit ensemble, mais c’est elle qui prend les décisions et qui conduit le bateau. Je ne suis pas déshonoré pour ça, je suis un homme complet, hein !
Jacques Collet
Première en France, première en Europe, cela n’a pas suffi à Lucienne Rouvel. Quelques cours d’exportation à la chambre de commerce de Nantes, un intensif démarchage publicitaire à l’étranger, et surtout là encore, une idée. Lucienne Rouvel se rend elle-même dans les foires internationales dans sa tenue folklorique de Sablaise. Contre toute attente, cette attitude à un effet direct sur ses clients du Canada, de Nouvelle-Zélande ou du Mexique.
Lucienne Rouvel
Ce n’est pas exactement la principale raison, tout de même, mais enfin, je pense que il y a un certain accueil, il y a une certaine attirance qui fait que les clients viennent par curiosité et au fond, une fois qu’ils sont attirés, c’est à moi de ferrer.
Jacques Collet
Combien gagne votre personnel en moyenne ?
Lucienne Rouvel
Eh bien, elle varie du SMIG à plus 30 ou 40%.
Jacques Collet
Puis-je vous demander quel était votre salaire lorsque vous êtes entrée dans cette maison ?
Marie-Hélène
Oh, ben là, on ne gagnait pas cher, c’était 28, 28, 30, ça ne dépassait pas.
Jacques Collet
Vous voulez dire 280 Francs ou 300 Francs.
Marie-Hélène
Voilà, c’est tout.
Jacques Collet
Et au bout de 12 ans de maison, est-ce que je peux savoir combien vous gagnez, Madame ?
Marie-Hélène
160 actuellement.
Jacques Collet
1600 Francs ?
Marie-Hélène
Voilà, c’est ça.
Lucienne Rouvel
Je pense que c’est un salaire honnête, mais enfin, nul salaire n’est honnête, hein ! Nul salaire n’est honnête.
bruit
(bruit)
Jacques Collet
Evidemment, le boum de l’entreprise Rouvel est dû à la poigne de fer de sa patronne, comme elle dit, mais aussi à la situation de l’emploi qui, en Vendée, lui assure une main d’oeuvre peu coûteuse et surtout disponible suivant les saisons.
bruit
(bruit)
Jacques Collet
L’humble modiste de ses débuts est bien loin, son principal mérite tient davantage à son sens aigu du commerce, bien plus qu’à sa formation.
Lucienne Rouvel
Ma formation est très simple, très primaire. Très primaire, j’ai un certificat d’étude. J’ai quand même quelques, pas nouvelles mais quand même quelques précisions…
Jacques Collet
Des origines modestes, une réussite exceptionnelle, cela vaut aujourd’hui à ce chef d’entreprise peu commun de faire figure de notable aux Sables-d’Olonne. Alors, si on la retrouve ici, dans le cadre chinois d’un club féminin, le Zonta, c’est parce que elle se prête, elle aussi, aux mondanités locales.