Beneteau reprend Jeanneau

27 décembre 1995
02m 14s
Réf. 00225

Notice

Résumé :
Alors que les salariés et le comité d'entreprise ont opté pour d'autres choix, le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon a désigné Bénéteau pour reprendre Jeanneau. Si la PDG de Bénéteau est satisfaite, c'est la déception pour les autres repreneurs en lice tandis que les syndicats, eux, évoquent la nécessaire collaboration des entités syndicales.
Date de diffusion :
27 décembre 1995
Source :

Éclairage

En 1995, les difficultés du chantier Jeanneau offrent à Bénéteau, son frère ennemi de la construction navale de plaisance en Vendée depuis presque quarante ans, une victoire mais aussi un nouveau défi industriel. Héritière d’une dynastie de charpentiers de marine, Annette Bénéteau (épouse Roux) dirige encore aujourd’hui l’entreprise Bénéteau où elle est entrée en 1964 avec son frère André. Son caractère bien trempé, cette chef d’entreprise affirme souvent l’avoir hérité de Benjamin Bénéteau (1859-1928), son grand père. Ce fut le pionnier de la motorisation avec la construction du Le Nul s’y frotte et du Vainqueur des Jaloux, en 1912, dans son chantier installé à Croix-de-Vie dès 1884. Cet homme était du bocage, et c’est son adoption par un oncle matelot qui fit de lui un charpentier de marine, au terme de son service militaire à l’arsenal de Rochefort. Prise de risque, attaches rurales et maritimes, l’histoire de Benjamin est un résumé commode des ingrédients qui ont fait le succès de Bénéteau.
Après avoir participé à la reconstruction de la flotte de pêche vendéenne après-guerre, l’entreprise connut un profond renouvellement sous l’impulsion d’une 3e génération. Dans les années 1960, Annette et André, les petits enfants de Benjamin, optèrent pour la technologie des résines synthétiques et pour le marché de la plaisance. A partir des salons nautiques de Lorient et Paris (1963-1964), les chantiers de Croix-de-Vie lancèrent des séries de vedettes dites « pêche promenade » produites à parité avec de petits voiliers de 10 à 12 mètres. De son côté, Henri Jeanneau, passionné de motonautisme, après d’humbles débuts dans le garage, reconverti en chantier, de la quincaillerie familiale des Herbiers (1957) avait lancé coup sur coup le Mirage (1961) et l’Alizé (1964), deux lignes de voiliers vite devenus très populaires.
Au cours de la décennie 1990, les affaires de la plaisance mondiale marquent le pas. La récession aux Etats-Unis s’étend à l’ensemble des partenaires économiques, car le marché de la plaisance est mondialisé. Annette Roux doit licencier 191 salariés mais Bénéteau relève la tête en se diversifiant avec la mise en route d’unités de fabrication de mobil-homes (marque Idéal Résidence Mobile). Côté Jeanneau, la crise frappe aussi et la diversification vers la production de voiturettes (marque Microcar) ne permet pas de traverser la crise. Après le licenciement de la moitié des salariés, et une délocalisation ratée en Pologne, l’entreprise est mise en redressement judiciaire le 2 novembre 1995.
Sur les trois candidats en lisse, deux proposent un plan de reprise partielle : le Rochelais Dufour n’est intéressé que par la branche voile, Zodiac propose de ne reprendre que la branche motonautisme. Le 27 décembre 1995, c’est finalement le Vendéen Bénéteau qui l’emporte. Annette Roux a alors le triomphe modeste, car elle a dû promettre la sauvegarde de l’emploi, le maintien de la marque concurrente et de son réseau. Elle est très attendue par les salariés qui expriment leur satisfaction et leur vigilance, mais aussi par ses concurrents assez dubitatifs sur la viabilité de la solution retenue. Comme elle le pronostiquait, ce rapprochement a permis l’émergence d’une entreprise de stature internationale, débarrassée du gaspillage d’énergie résultant de la concurrence fratricide des deux marques. Les objectifs annoncés ont finalement été tenus sans doute aussi parce que la culture des deux groupes était la même, entre innovation et ancrage territorial sur le littoral et dans le bocage vendéen. L’association des deux marques, qui subsistent encore séparément, a abouti à doter la Vendée du leader mondial du marché de la plaisance.
Thierry Sauzeau

Transcription

Présentateur
On peut donc dire ce soir que c’est une énorme surprise. Les salariés avaient choisi Zodiac, le comité d’entreprise lui aurait préféré Dufour. Eh bien finalement, le tribunal de commerce a mis tout le monde d’accord. Le nouveau patron des chantiers Jeanneau s’appelle donc Bénéteau le principal concurrent, et devient ainsi le plus grand chantier du monde dans l’industrie de la plaisance. Visiblement sur ce dossier, le tribunal a joué à fond la carte vendéenne. A La Roche-sur-Yon, voici les premières réactions recueillies par Anne Caruel et Catherine Sani.
Journaliste
Personne ne s’y attendait, le concurrent vendéen a donc été préféré aux autres grands favoris, Dufour et Zodiac. Plusieurs éléments conjugués ont joué en faveur de Bénéteau. Selon le tribunal, le professionnalisme, les synergies que les entreprises peuvent développer ; le maintien sur le site des Herbiers au moins pendant cinq ans, et la garantie de l’emploi ensuite pendant trois ans.
Annette Roux
Quelque part, je suis contente parce que je crois que tout le monde avait besoin de paix. C’était devenu vraiment agaçant cette confrontation entre les entreprises, surtout dans une époque où les marchés sont mondiaux, où la concurrence est mondiale. Et quelque part, c’était du gaspillage. Donc, je pense qu’il faut arrêter, arrêter ça, donc ça, ça me donne beaucoup de plaisir. Et puis et puis voilà, et puis le sentiment que ben, demain, demain, on aura beaucoup de travail et que l’année 96 va être très chargée.
Journaliste
Grosse déception chez les autres favoris qui croyaient bien sûr en leur chance.
Olivier Poncin
La surprise, mais je crois qu’il faut être beau joueur. Le chantier Bénéteau donc a semble-t-il davantage convaincu que les autres, et donc on peut leur souhaiter bonne chance ainsi qu’à l’entreprise. C’est tout ce qu’on peut souhaiter.
Jean-Louis Gérondeau
Je pense que Bénéteau fera le maximum. Ça ne va pas être une affaire facile pour Bénéteau. Bon, c’est clair que le fait d’avoir un petit handicap au niveau du personnel est quelque chose qu’il va falloir qu’ils combattent et puis ils vont avoir pas mal d’endettement.
Journaliste
Quelques salariés avaient tenu à faire le déplacement. Le suspens n’avait que trop duré. On veut oublier les querelles du passé.
Henri Trichereau
Après l’effet de surprise, je crois qu’il va falloir réfléchir à une stratégie syndicale commune entre nos syndicats CGT de chez Bénéteau et nous-mêmes ; pour défendre l’entreprise, les acquis sociaux et le réseau commercial.
Thierry Cousseau
C’est vrai que c’est des gens du métier, s’ils appliquent bien le plan prévu, que chaque constructeur garde son identité et ses bateaux ; ben, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas travailler avec eux.