Vendée, l'Ile d'Yeu sous le choc

21 juillet 1994
03m 57s
Réf. 00131

Notice

Résumé :

Des marins de la Gabrielle sont accueillis à l'Ile d'Yeu. Ce thonier a été attaqué en mer durant les récents évènements opposant marins espagnols et français. Ce violent conflit paralyse l'activité des pêcheurs. Ils témoignent de leurs inquiétudes.

Type de média :
Date de diffusion :
22 juillet 1994
Date d'événement :
21 juillet 1994
Source :
FR3 (Collection: Thalassa )

Éclairage

L'éperonnage volontaire d'un navire de pêche en pleine mer et en temps de paix est exceptionnel. A la mi-juillet 1994, le thonier La Gabrielle de l'île d'Yeu est éperonné par des pêcheurs espagnols originaires de Galice pratiquant eux aussi la pêche au thon. Non contents de l'avoir éperonné, ils montent à bord avant de le remorquer et de le retenir en "otage" dans un port de Galice pour démontrer qu'il utilisait des filets maillants dérivants excédant la longueur réglementaire fixée par l'Union européenne. Après des échanges diplomatiques tendus entre la France et l'Espagne, le thonier est remis aux autorités françaises. En raison d'une importante voie d'eau, il est réparé avant de revenir en France sous escorte de la Marine française.

Pourquoi cet abordage ? Depuis le milieu des années quatre-vingt, les pêcheurs de l'île d'Yeu se sont spécialisés dans la pêche saisonnière du thon germon au filet maillant dérivant ; elle est pratiquée de juin à octobre. Cette pratique est plus rentable que la pratique traditionnelle à la ligne ou à la canne perpétuée par les pêcheurs basques et galiciens espagnols. Cette pêche a été abandonnée à l'île d'Yeu au début des années quatre-vingt.

En 1986, les techniciens de l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation des mers) ont réintroduit cette pêche en introduisant une nouvelle technique, celle du filet maillant dérivant (filet maintenu en surface par des flotteurs et au fond par des poids). Celui-ci jusqu'en 1991 avait une longueur de 5 km. Cette technique a suscité une double hostilité : celles des pêcheurs espagnols et celle de certaines associations écologistes comme Greenpeace. Les premiers pour des raisons économiques car ils craignent la concurrence et une baisse des cours sur le marché ; les seconds dénoncent un engin peu sélectif pouvant capturer des mammifères marins tels les dauphins. Ce que contestent les chercheurs qui considèrent que ce fait est rarissime.

Ce double lobbying porte l'affaire devant l'Union européenne ; le conseil des ministres européens de la pêche décide en 1991 de limiter la longueur des filets à 2,5 km. Les pêcheurs français obtiennent une dérogation jusqu'au 31 décembre 1993. Finalement cette technique de pêche est interdite par l'Union européenne depuis le 1er janvier 2002. L'action violente des pêcheurs espagnols vise à faire pression et à vérifier la longueur des filets utilisés par les thoniers français. La méthode extrêmement violente utilisée révèle la gravité de la menace économique qui pèse sur les pêcheurs. Artisans pour la plupart, ils ne peuvent faire face aux investissements que nécessitent un changement de technique de pêche, ce qui les condamne comme artisans indépendants. C'est de cela dont ont eu peur les pêcheurs espagnols. Et ils l'expriment par la violence.

Bibliographie :

- Christian Lequesne, L'Europe bleue, A quoi sert une politique communautaire de pêche, Presses de Science politique, 2001.

Jacqueline Sainclivier

Transcription

Bernard Dussol
Tension palpable hier après-midi sur le quai de la gare maritime de Port-Joinville, deux matelots de «La Gabrielle» reviennent à l'île d'Yeu par le ferry. La famille, les amis, d'autres marins sont venus les accueillir, ils parlent avec des mots qui évoquent un retour de guerre.
Cyrille
On a été agressé par une quantité d'Espagnols, quoi, de partout, je préfère, je veux jamais revoir ça. C'est vraiment, c'est ignoble ce qu'ils ont fait, c'est vraiment de la piraterie, purement et simplement.
Bernard Dussol
Les marins de «La Gabrielle» veulent témoigner, raconter, aucun ne le cache, ils ont eu peur, peur de mourir.
Henri Fradet
Tout de suite, je refuse de partir en mer et tous mes copains refusent de partir en mer, à par ça, parce qu'on est traumatisé, on a peur. J'ai jamais vu un bateau tapé dans un autre volontairement. Y a eu des accidents en mer, des fois mais c'était des accidents mais involontairement. Mais j'ai jamais vu taper dans des navires pour dire, on va les couler volontairement. J'ai jamais vu ça. Terrible !
Bernard Dussol
Vision incroyable à cette époque de l'année, Port-Joinville rempli de thoniers qui devraient être sur les zones de pêche. Un à un, ils reviennent du front, recouverts de stigmates. Le «Myosostis» a lui aussi terminé sa saison éperonné de plein fouet, le thonier ira se faire réparer au croisic.
Gérard Mollet
C'est un, c'est un Espagnol qui est venu à plein gaz dans l'eau. Il nous a buttés d'abord à travers de la passerelle, il a glissé tout le long et après, il a enfoncé toute la tente.
Bernard Dussol
A ce moment là, vous avez pensé à quoi vous.
Gérard Mollet
Je sais pas, à la peur quoi. On peut le dire de toute façon, y a pas de honte à le dire, tout le monde, tout le monde avait peur. On a eu la peur de notre vie, de toute façon.
Bernard Dussol
Ces filets qui suscitent la colère des Espagnols, les voici. Deux kilomètres et demi de longueur et pas plus et d'ailleurs impossible de tricher selon les pêcheurs de l'île d'Yeu puisque le filet de rechange est plombé au départ du bateau par la gendarmerie maritime.
Laurent Chauvet
Ce bateau, ces filets sont plombés, sont ici, y a 2 kilomètres 500 de roues de secours qui sont plombées et les 2 autres kilomètres 500 sont là-bas pour la pêche. Vous pouvez observer que que les parcs sont tous à moitié vides parce que l'année dernière, c'est des bateaux qui avaient à peu près 7 à 8 kilomètres, 7 à 8 hommes à bord, 7 à 8 kilomètres, on peut constater que les parcs sont vides.
(Silence)
Bernard Dussol
Sur les quais, on ne parle que de ça. Trois thoniers sont déjà en réparation sur le continent, inquiétude aussi pour les prochaines marées, les équipages ne veulent retourner en mer qu'avec la certitude d'être bien protégé par la Marine nationale.
Thierry Arnaud
Il faudrait d'abord bon des avisos, des escorteurs, au moins 3 ou 4... ... et qui ont l'ordre de tirer parce que, un bateau français qui se trouve en zone, dans les zones de pêche à bois, c'est un bien français, on doit le défendre. Si y a pas plus de protection qu'à l'heure actuelle, je ne retournerai pas pour mettre la vie de mes gars en danger et la vie du bateau.
Bernard Dussol
A situation de crise, réaction urgente, armateurs et responsables de la pêche réunis pour étudier les dossiers des marins les plus touchés.
Membre du Comité local des pêches
Les équipages sont, c'est peut-être pas trop le mot qui convient, on va dire traumatisés mais ont été choqués.
Pêcheur
Traumatisé, le mot n'est pas trop fort.
Membre du Comité local des pêches
Cette année et bien peut-être que pour la première fois, on va faire un gros effort.
Bernard Dussol
Puiser dans la caisse de ce cours du comité local des pêches, une aide financière aidera les équipages privés de bateau. La solidarité du milieu joue à fond, quant aux raisons profondes du conflit, il faudra bien les mettre en lumière rapidement.
Bernard Groisard
Il est vrai que l'Espagne va devoir assumer sa mutation. L'Espagne va devoir faire comme nous, se moderniser, elle va devoir payer un coût social très cher.
Bernard Dussol
L'île d'Yeu sous le choc, on souhaite ici que la leçon serve pour l'avenir, l'été 1994 restera dans tous les esprits. Déjà le thon commence à manquer à la criée de Port Joinville, seuls les touristes ne manquent pas, ils affluent chaque jour par milliers dans l'insouciance.