Citroën, les syndicats

18 février 2000
04m 45s
Réf. 00399

Notice

Résumé :

Depuis l'arrivée à la présidence de PSA de Jean Martin Folz, en 1998, les syndicats de toute mouvance peuvent s'exprimer librement au sein de l'entreprise Citroën. Les libertés syndicales sont ainsi respectées.

Date de diffusion :
18 février 2000
Source :
FR3 (Collection: 12-13 Ouest )
Personnalité(s) :

Éclairage

Quand Citroën décide de décentraliser son usine à la Janais, un des facteurs pris en considération par la direction de l'entreprise est la quasi absence d'histoire de lutte syndicale dans la région qui traditionnellement vote à droite. L'esprit paysan fait espérer aux dirigeants de faibles éventualités d'organisations ouvrières. Par ailleurs, les ouvriers issus de l'activité agricole, souvent propriétaires de leur logement à la campagne, continuent d'y habiter, de telle sorte que les regroupements d'ouvriers en ville peuvent être évités. La dispersion des ouvriers étant une des meilleures façons d'éviter les réunions, l'organisation des ouvriers, d'autant que la direction ne permet la diffusion du message syndical qu'à l'extérieur de l'usine. L'éloignement de Paris a aussi été un obstacle au développement de la lutte syndicale. Les actions syndicales de La Janais ont fatalement été isolées de celles menées dans les industries de la capitale.

La loi de 1946, oblige les entreprises de plus de dix salariés à avoir des délégués du personnel. A Rennes, à l'usine de la Barre-Thomas, des élections ont eu lieu en 1954. Mais quelques mois après les élections il ne restait plus un seul délégué du personnel. Il faudra attendre 10 ans pour que de nouvelles élections soient organisées. Pendant des années les militants communistes de l'usine se sont battus, dans le plus grand anonymat, pour ces élections du personnel. Par exemple, le journal L'Union Ouvrière était distribué aux portes de l'usine par des militants qui ne travaillaient pas à Citroën. Les élections des délégués de 1965 ressemblait a une nouvelle offensive des syndicats. Et en février 1966 a lieu un premier débrayage pour protester contre l'augmentation des cadences.

Mais, très vite, la direction contre-attaque par de la propagande (en 1966, elle diffuse un tract où il est écrit : "C'est Citroën qui vous fait vivre, pas les syndicats"), des pressions, puis des sanctions (des avertissements et des jours de mise à pied). Elle a aussi soutenu la présentation d'une nouvelle liste aux élections de 1966. Elle a pour nom "les Candidats Libres" et pour mot d'ordre : pas de politique, pas d'ordres venus de Paris. Ce mot d'ordre fait écho aux accusations portées par la direction contre les syndicats C.G.T. et C.F.D.T. L'intrusion des Candidats Libres dans le comité d'entreprise a favorisé les représailles à l'encontre des syndicalistes. Le 27 décembre 1967, par exemple, ils n'ont pas joué le jeu de la solidarité syndicale et ont voté le licenciement de Yannick Frémin.

Dans les années 1980, la politique anti-syndicale de Citroën continue. Le cas de Alain Lahotte est significatif.

Un changement s'opère seulement au cours des années 1990. Le 1er octobre 1997, Jean-Martin Folz devient PDG du groupe PSA. Sa politique sociale et environnementale est en rupture avec l'ère Calvet, le précédent PDG. Rapidement, avec Folz, les syndicats sont élevés au rang de partenaires sociaux.

Martine Cocaud

Transcription

(Bruits)
Journaliste
7 heures et demie devant les grilles de la Janais. A l'heure d'arrivée des premiers cadres, la CFDT distribue des tracts. Il y a encore un an, l'ambiance aurait été plus tendue. Comment ça se passait, avant, le matin, ce genre de distribution ?
Philippe Odye
Moyennement bien, avec les demandes de nom de la part des gardiens. Et puis voilà, quoi.
Journaliste
Vous en imprimez beaucoup des tracts, maintenant ?
Pierre Havet
6000, 6000 alors qu'il y a encore un an, on en faisait 2500. En fait, c'est une progression pharamineuse.
Journaliste
Plus de tracts simplement parce qu'aujourd'hui, tout le monde ou presque ose les prendre. La preuve que la nouvelle direction a décidé de changer les choses par petites touches. Aujourd'hui, une fois sa distribution terminée, Pierre Havet peut rentrer directement au local CFDT, presque une révolution.
(Silence)
Pierre Havet
Ici commence l'ancien parcours du combattant que devait faire le salarié pour aller jusqu'aux locaux syndicaux. Donc il fallait d'abord franchir la grille du gardiennage, là. Là, les gardiens sont toujours présents, en fait. Donc : « Notez les noms », etc. Bref, je vous en passe et des meilleures. Ensuite, il fallait, en fait, passer devant le responsable de la sécurité, le chef, en fait, ensuite le responsable du recrutement. Donc bien entendu, ce périple, le salarié n'osait pas le faire avant. En fait, c'est tout à fait normal, parce qu'il y avait en fait la pression, etc. Ensuite, il fallait passer devant les responsables du CE qui se situent dans le bâtiment en haut à gauche, là-bas. Et puis voilà. Donc il fallait déjà oser venir au moins jusqu'ici. Et puis après, ma foi, celui qui osait, c'était, on pouvait dire, un futur militant.
(Silence)
Pierre Havet
La première impulsion a été donnée par Folz lorsqu'il est arrivé en novembre 98. On était reçus organisation syndicale par organisation syndicale. 15 jours après sa prise de pouvoir, en fait, disons, on l'a rencontré dans son bureau. On était 7 par délégation. Et puis c'était clair, en fait. C'était clair. Il a dit : « Le passé, c'est le passé. Et puis maintenant, on va vivre au présent ».
Michel Bourdon
C'est vrai qu'on ne regrette pas l'ère Calvet ni l'ère Génovèse. Bon, a quand même affaire à monsieur Folz, monsieur Pompanon et monsieur [Rion] qui sont directeurs de l'entreprise de la Janais. qui travaillent, je dirais, plus intelligemment que leurs anciens collègues.
Auguste Génovèse
Syndicalement parlant, moi, j'ai toujours laissé faire ce qu'ils avaient à faire et dans les règles, conformément à la loi. Aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'on pourrait trouver de différent en disant : « C'est plus ouvert », etc. On ne les a jamais empêchés de faire leur travail et leur métier. Il n'y a pas de problème.
Journaliste
Manifestement, Alain Lahotte n'a pas les mêmes souvenirs. Ancien délégué CFDT, aujourd'hui cadre supérieur, il s'est lancé dans le syndicalisme au début des années 80.
Alain Lahotte
Il y a eu un débrayage sur les bords de la ligne montage. Et très rapidement, des gens qu'on appelait, à l'époque, les tontons flingueurs, dans l'entreprise, intervenaient physiquement sur les personnes pour isoler les meneurs, avec pas mal de brutalité à la clé. A l'époque, le syndicat s'appelait la CFT. Maintenant, il s'appelle la CSL. A l'époque, on avait des méthodes plus militaires que syndicalistes. Et ça, je ne l'ai pas trop supporté puisque c'était contraire à ma culture et à mes opinions. Et donc j'ai décidé de m'engager tout simplement. Et aux élections de 82, de septembre, donc qui ont suivi les débrayages, je me suis présenté aux élections. J'ai subi des pressions : coups de téléphone anonymes, cambriolage, destruction de véhicule. Enfin, bon, je me suis retrouvé dans un placard pratiquement, dans un poste où je n'avais aucun travail à assumer et pendant pratiquement 2 ans.
(Silence)
Journaliste
Ces pressions, tous les syndicalistes les connaissent, mais le cas Lahotte gêne particulièrement parce qu'il n'est pas ouvrier. Les scores de la CSL sont particulièrement élevés chez les cadres, au point que les élections de 82 sont surveillées par l'inspection du travail. Mais ce n'est qu'en 99 qu'un rapport soulignera la nécessité d'être adhérent au CSL pour passer cadre, et dénoncera les avantages du syndicat maison : emplois fictifs, détournement de budget, locaux supplémentaires.
Serge Halouze
Bon, c'est vrai qu'il y avait peut-être, il y a 10 ans, un petit peu d'ingérence dans certains endroits où on n'aurait pas dû. C'est un fait. Tout à fait. Mais autrement, il ne faut pas parler d'avantages. Ce n'est quand même pas quelque chose qui est... La preuve : il n'y a pas eu de suite.
Journaliste
Il y a 3 semaines, l'usine de La Barre-Thomas passait sous contrôle italien, la CSL s'est sabordée. Mais à la Janais, elle reste majoritaire. Les premières élections de l'ère Folz n'auront lieu qu'en septembre.
(Silence)
Michel Bourdon
Les salariés de Citroën ont du mal à percevoir ce moment de liberté qui s'ouvre aujourd'hui par l'ère de monsieur Folz.
Pierre Havet
Vous savez, si on vous tape sur la tête pendant 20 ans, vous mettrez peut-être 20 ans pour vous en remettre.