Entretien avec René Pleven sur les manifestations en Bretagne

08 mai 1968
03m 50s
Réf. 00551

Notice

Résumé :

Au soir des manifestations rassemblant ouvriers et paysans dans les neuf départements de l'Ouest, René Pleven (ancien président du Conseil, député PDR de Dinan) donne son interprétation de la crise que traverse alors la Bretagne.

Type de média :
Date de diffusion :
08 mai 1968
Personnalité(s) :

Éclairage

Cet entretien radiophonique fait suite aux importantes manifestations bretonnes qui se déroulèrent à Rennes le 8 mai 1968 quand des milliers de Bretons défilèrent avec un slogan commun "La Bretagne veut vivre". Marins, paysans, ouvriers ont anticipé de quelques jours le mouvement de mai pour rappeler que la péninsule bretonne profitait mal du développement économique général.

René Pleven est alors président du Conseil Général des Côtes-du-Nord (de mai 1949 à 1976) et président de la CODER (Commission de Développement et d'Expansion Régionale) de Bretagne (1964 à 1972), organisme qui sera une des pierres angulaires de la régionalisation. René Pleven a également été président du CELIB (Comité d'Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons), groupe de pression breton qui a prôné le développement, la modernisation et l'industrialisation d'une des régions françaises restée le plus à l'écart de l'essor économique du XXe siècle. Les propos que Pléven a déjà exposé dans un ouvrage, Avenir de la Bretagne, écrit avec Martray en 1961, et qu'il répète à nouveau dans cet interview - constat du retard breton, nécessité d'appuyer le développement sur les forces politiques régionales - rappellent d'ailleurs les thèses du CELIB et de la CODER.

Biographie de René Pleven

René Pleven, né à Rennes en 1901, est une grande figure politique bretonne du XXe siècle. "Bleu de Bretagne", catholique mais non clérical, issu d'une famille militaire, René Pleven devient un industriel en 1929 en occupant la fonction de directeur général pour l'Europe de l'Automatic Telephone Company. Cette expérience lui vaut de devenir en 1940 le principal collaborateur de Jean Monnet à la tête du Comité d'organisation des achats d'armement. Rallié au général de Gaulle après l'appel du 18 juin, c'est durant la Seconde Guerre qu'il fait l'apprentissage des responsabilités gouvernementales : il ordonne les finances de la France Libre, et jette les bases de son administration. En décembre 1944, il devient ministre des finances du Gouvernement Provisoire de la République Française. Il s'oppose alors à Pierre Mendès France sur la politique financière à mener, qu'il ne veut pas trop dirigiste. Le général tranche en sa faveur. En 1945, il se fait élire député des Côtes-du-Nord sous le sigle UDSR, parti qu'il a contribué à fonder en juin 1945. Il conserve ce poste jusqu'en 1973 avec une courte interruption sous la seconde Assemblée constituante.

En 1946 il démissionne du gouvernement et entre dans l'opposition. A la tête de l'UDSR en 1947, Pleven se sépare de De Gaulle en 1948 car ils sont en désaccord sur la constitution de la quatrième République. Pour Pleven il faut l'amender et non la supprimer. En 1950, Pleven, président du conseil (du 12 juillet 1950 au 28 février 1951), forme un nouveau gouvernement alors que la guerre de Corée éclate. Cette crise internationale pèse sur ses décisions. Pleven propose la création d'une Communauté européenne de défense à laquelle participerait la RFA. Un projet qui échoue cependant. Il tente une réforme de la loi électorale qui n'aboutit pas et démissionne le 28 février 1951. Il reforme un gouvernement en août 1951 qui est renversé en janvier 1952. Ministre de la défense de 1952 à 1954, en pleine guerre d'Indochine, il est en poste lors de la défaite de Diên Biên Phu. L'arrivée de Mendès-France au pouvoir signifie pour lui la traversée du désert.

Rappelé en 57 et en 58, il vote l'investiture du gouvernement du général de Gaulle et approuve la Ve République, ce qui l'oblige à quitter l'UDSR alors dirigée par François Mitterrand. Favorable à la politique algérienne du Général, favorable à l'entrée de la Grande Bretagne dans la CEE, il est inquiet devant la personnalisation du pouvoir. De retour sur le devant de la scène en 1969, il est battu aux législatives de 1973 et démissionne du gouvernement.

Européen fervent, il annonce en 1992 qu'il votera oui au traité de Maastricht et s'éteint un an après.

Bibliographie

Eric Duhamel, "Pleven René", dans Jean-François Sirinelli (dir), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, Paris, PUF, 2003, p 950-955.

Christian Bougeard, René Pleven. Un Français libre en politique, Rennes, PUR, coll. "Histoire", 1994.

Martine Cocaud

Transcription

Journaliste
Autre problème d'intérêt national, celui de la Bretagne. Neuf départements de l'Ouest ont fait de ce 8 mai une importante journée d'action revendicative. Ouvriers et paysans ont manifesté pour la défense de l'emploi. Quelles sont les raisons du malaise ? Quelles solutions faut-il préconiser ? Suzanne Gaultier et Michel Marteau ont demandé leur opinion à plusieurs parlementaires bretons, et tout d'abord à M. René Pleven, ancien président du Conseil, député de Dinan, PDM.
Suzanne Gaultier
Monsieur le président, des événements se déroulent à l'heure actuelle en Bretagne. On peut donc dire que la Bretagne bouge. Quelles sont, selon vous, les raisons de cette agitation ?
René Pleven
Il y en a de nombreuses, mais vous vous demandez pourquoi, aujourd'hui, cette crise de confiance que traverse une importante partie de la population bretonne, en particulier celle qui vit le plus à l'ouest de la presqu'île bretonne ? A mon avis, les trois motifs essentiels sont les suivants. D'abord, les résultats du recensement, qui ne sont encore que partiels, mais traduisent une stagnation démographique d'ensemble et le dépérissement des régions les plus rurales et l'accélération, dans certains cas, de l'exode. Deuxièmement, les pertes et l'équilibre précaire de nombreuses exploitations agricoles, en raison de la baisse de tous les produits de l'élevage depuis l'année dernière, sans d'ailleurs que cette baisse se soit du tout reflétée dans les prix à la consommation. Enfin, et par-dessus tout, l'importance du sous-emploi. Le nombre des demandes d'emploi non satisfaites est un accroissement sensible sur celui de l'an dernier, et 31% des demandes concernent des jeunes de moins de 25 ans.
Suzanne Gaultier
Quelles sont selon vous, M. le président, les solutions qu'il convient d'apporter à ce problème ?
René Pleven
Les mesures qui ont été récemment annoncées par le gouvernement, et dont certaines sont importantes, telle l'augmentation de l'indemnité viagère de départ, tel l'accroissement des crédits pour les routes nationales, n'ont pas eu l'effet psychologique attendu du gouvernement, parce qu'elles ont été décidées en vase clos, à Paris, sans participation des organismes régionaux ou des assemblées élues. D'ailleurs, à mon sens, à la crise bretonne, il faut maintenant chercher des solutions globales. Qu'est-ce que je veux dire par là ? C'est que, sensibilisée, la Bretagne perçoit souvent les problèmes plus vite que les autres régions. Et en réalité, les manifestations d'aujourd'hui mettent en cause toute la politique d'aménagement du territoire et d'industrialisation du pays. Le dynamisme insuffisant de cette politique ne lui permet pas de porter la prospérité aux quatre coins de la France. En concentrant la population sur quelques grandes villes, et en particulier Paris et sa région, on y concentre la prospérité. C'est ce qui doit cesser. Et faute d'avoir fait assez largement la décentralisation économique, on fait naître le problème d'une certaine décentralisation politique. L'emploi est actuellement la préoccupation qui domine tous les foyers bretons, inquiets pour les jeunes. Une solution ne sera pas trouvée par les bureaux parisiens travaillant seuls dans l'isolement ; il faut la participation de tout ce qui est représentatif dans la région bretonne.