Les bergers au Mont Saint-Michel

24 février 1967
04m 23s
Réf. 00705

Notice

Résumé :

Portrait de deux bergers de la baie du Mont Saint Michel. Ils évoquent leur vie quotidienne, entre le troupeau de moutons et leur cabane, les copains qu'ils vont voir et les sculptures qu'ils font, pour passer le temps mais aussi par passion.

Date de diffusion :
24 février 1967
Source :

Éclairage

La compagnie des polders de l'Ouest créée en 1856 reçoit en concession des domaines maritimes de 2 800 ha de part et d'autre du Couesnon, à condition qu'il soit canalisé en aval. La concession pour la construction d'un chenal est donnée en 1874.

Du côté breton, la conquête de la grève s'intensifie à partir de la fin des années 1850. En 1934, à la fin de la procédure, les terres gagnées représentent plus de 3000 hectares. Au niveau de la commune de Roz-sur-Couesnon, qui est la plus près du Mont-St-Michel et qui possède la plus grande superficie de terrains gagnés sur la mer, on distingue trois types de terres : les terres pauvres situées sur l'ancien cordon littoral, le Marais blanc (entre la terre et les polders) et les polders eux-mêmes qui vont jusqu'à la digue à flots.

La partie de la côte qui colonise la partie supérieure de l'estran (portion du littoral comprise entre les plus hautes et les plus basses mers) reçoit le nom « d' herbus » également appelés prés salés, lorsqu'ils sont pâturés par les moutons.

Cet univers est dangereux car lors des marées de fort coefficient, les herbus peuvent être brusquement envahis par la mer (il faut se rappeler l'ouragan du 16 octobre 1987...). Toutefois, c'est un lieu d'élevage privilégié car la pâture des herbes salées donne en effet un goût particulier à la viande des moutons . On y élève des races rustiques. Autrefois il s'agissait de la brebis à tête noire ; actuellement la bête la plus fréquente - « la grévine » - est petite, elle a également la tête noire mais est issue de croisements de races locales et anglaises. Du côté normand, « l'Avranchin », race rustique et prolifique qui résulte également de croisements, tente de s'imposer.

Le reportage s'arrête surtout sur le métier du berger. Autrefois, ces derniers partaient tous les jours d'hiver pour une longue marche à travers les herbus, sillonnés de ruisseaux qui sont chacun un danger pour les jeunes agneaux. Une cabane construite sur l'herbu leur servait d'abri. L'été, les moutons et le berger passaient traditionnellement la nuit dans les polders de façon à éviter la longue route.

Actuellement, les bergeries se sont modernisées mais les moutons vont toujours à l'herbu et le métier de bergers perdure du moins du côté breton. En effet seule la taille importante des exploitations et des élevages le permet car les petits fermes plus fréquentes du côté normand doivent s'occuper elles mêmes de leur bêtes.

Cette spécificité du Mont-St-Michel a permis de réfléchir à une demande d'AOC dès les années 90. Le cahier des charges repose sur l'alimentation de l'agneau (45 jours avec le lait de la mère) ; la durée du de pâturage sur les herbus, qui doit durer au moins 70 jours et le temps limité de finition en bergerie. Cet AOC, obtenu en 2010 n'a pas été sans poser problème, car des éleveurs dont les moutons vont sur les polders sans aller sur l'herbu revendiquent des bêtes de qualité mais n'ont pas le droit à l'appellation. Seuls 14 éleveurs, dix Normands et quatre Bretons, soit un cheptel de 5 000 brebis, en bénéficient début 2011.

Bibliographie :

"Les éleveurs de prés-salés en baie du Mont-Saint-Michel", Ar men, n°14.

Martine Cocaud

Transcription

(Musique)
Journaliste
Le pays du vent, des ciels lumineux ou bien violets et gris, le pays du sel, des sables trempés qui ne finissent qu'à la mer tiède, c'est là entre Cherrueix et le Mont Saint Michel le plus vaste terrain maritime de France. Huit fois par an, aux marées de plus de 100, la mer couvre tout. Seule vie, les moutons. 2500 sur 1000 hectares d'herbus et 19 bergers dans cette étendue. Quand ils disent "je monte aux moutons", cela veut dire "je vais les chercher vers la mer". Depuis les bergers d'Arcadie, un des plus vieux métiers du monde, un métier d'homme simple mais qui, comme personne, sont en contact avec la vie animale, la vie de la mer, les eaux, le soleil.
(Musique)
Jean Russel
Je m'appelle Jean Russel, je garde les moutons environ depuis 20 ans, mais avant je conduisais les tracteurs. Et puis d'ailleurs, je suis tombé comme infirme, je ne pouvais pas marcher beaucoup. Alors je ne pouvais plus mener un tracteur parce que quand fallait se servir des jambes pour débrayer, je n'avais plus la force dans mes jambes. Alors le patron il me dit "tu pourrais garder les moutons" et je me suis mis à garder les moutons et ça fait quand même 20 ans que je garde les moutons. Alors moi tous les jours comme ça je viens au pré salé, je monte mes moutons en haut. Je redescends en général à la cabane de mon copain pour passer mon temps. J'allume du feu et je me mets à lire des bouquins.
(Bruits)
Georges Emery
Je m'appelle Georges Emery, ça fait 13 ans que je garde les moutons. Je mène mes moutons au champ, je monte en haut, je redescends les moutons [inaudible] et puis je fais mon travail, je fais des Monts Saint Michel en sculpture et après je fais des bouteilles, Mont Saint Michel en bouteille, ça passe mon temps. Au soir, eh bien, je vais en haut, je monte avec les moutons, quelques fois je vais à la mer, et puis quelques fois je trouve bien des choses. Je m'en reviens avec, et puis je les amène à la cabane. Je m'en [inaudible] après avec le tracteur, moi et mon copain.
(Bruits)
Jean Russel
L'été, on est très heureux ici. On n'a rien à faire. Les moutons, on va les voir une fois par jour, si on a le temps comme on dit. Comme il fait très chaud, on aime mieux rester à l'ombre dans nos cabanes. Et quelque fois il nous prend une fantaisie, quand les moutons sont bien, qu'il fait très chaud, d'aller se promener en mobylette ou en vélo. Pas très loin, mais voir les copains plus loin, les... plus loin, là. Et on continue notre chemin toujours comme ça d'un côté à l'autre. C'est le seul travail des bergers. C'est l'hiver que c'est trop dur. L'hiver ici c'est monotone, il n'y a personne, on ne voit personne, personne. C'est monotone. On ne peut pas aller voir beaucoup les copains parce que il y a les moutons qui mettent bas. Mais l'été, on ne s'ennuie jamais parce qu'on se promène par le pré salé, on va voir la mer, on se promène.
(Bruits)
Georges Emery
Je ne m'ennuie pas trop parce que quand j'arrive à la cabane je fais de la sculpture, je fais des tableaux, je fais le Mont Saint Michel en sculpture, je fais bien des choses, le Mont Saint Michel en bouteille, pour passer le temps. Je ne peux pas rester à rien faire, il faut que je travaille. C'est plus fort que moi, il faut que je travaille, il n'y a rien à faire. Evidemment, je les vends. Il m'en est pas mal demandé. J'en ai à peu près au moins 40 bouteilles quand même, à faire, rien que des bouteilles. Alors des tableaux j'en ai encore plus à faire mais c'est la planche qui me manque, surtout le bois. Il m'en est demandé beaucoup... manque de bois.
(Bruits)
Journaliste
Quand on dessine bien sûr, ou bien quand on sculpte, quand on travaille le bois pour aider un peu les journées à s'en aller, on prends ce que l'on a sous les yeux. Ici il n'y a que le mont et les moutons. Mais le mont n'est jamais pareil.
(Musique)