Robe blanche et cravate rouge

09 juin 1975
09m 08s
Réf. 00754

Notice

Résumé :

Extrait du film de Victoria Llanso et Jean Barral. La communion solennelle d'une jeune fille est l'occasion de partager la vie quotidienne d'une famille ouvrière du Sud-Finistère, entre les communes de Trégunc et Concarneau.

Type de média :
Date de diffusion :
09 juin 1975
Source :
A2 (Collection: Vivre ensemble )

Éclairage

Ce superbe film, diffusé en 1975 et réalisé par Jean Barral, est très représentatif d'une époque tant par sa forme que par son contenu. Il est aussi représentatif de la volonté d'ouverture de la télévision de l'époque qui a produit ce documentaire atypique (même s'il est probable que ce film est resté quelque temps dans les tiroirs avant diffusion).

Sa forme est originale et témoigne des nouvelles recherches documentaires de l'époque. En effet, le film est dans le film... des caméramen et des caméras font régulièrement irruption dans les scènes. Une arrogante journaliste parisienne bombarde de remarques plus ou moins élégantes les personnages. Doit-on y voir de l'ironie face aux nombreuses enquêtes sociologiques commanditées à Paris qui ont été menées en Bretagne dans les années 60-70, comme celle de Plozevet par exemple ?

Mais ce n'est pas tout car si la caméra semble parfois intrusive, elle n'est pas voyeuse. Il s'agit avant tout d'un essai de caméra participante comme la concevait Jean Rouch. L'interaction entre filmeur et filmé est forte et emplie d'empathie, née certainement d'une longue relation.

Aussi partageons nous le quotidien et les réflexions d'une famille ouvrière de Trégunc près de Concarneau, au moment où la Bretagne connaît une vraie mutation économique et culturelle. L'extrait choisi concerne le travail : le père est tôlier-soudeur dans un chantier naval en difficulté. Le conflit d'intérêt entre patron et ouvriers, la conviction syndicale ouvrière, mais aussi la fierté de travailler sur les chantiers navals sont clairement exprimés dans le film. Par son intérêt pour le vécu du monde ouvrier breton - dans ses aspects économiques et culturels - qui a été beaucoup plus rarement observé que celui du monde rural, ce documentaire reste exceptionnel.

Rappelons que si les années 70 furent en effet difficiles pour les chantiers navals bretons, c'est à Concarneau que se situe le chantier Piriou, deuxième chantier naval privé de France.

Martine Cocaud

Transcription

(Bruits)
Victoria Llanso
Pourquoi vous faites faire la communion à Noëlla puisque vous ne croyez pas ?
Thérèse
Je trouve que, il faut quand faire aux enfants premièrement ce qu'on nous a fait à nous-mêmes, et puis on ne sait pas ce qu'ils feront dans la vie alors, je pense que c'est nécessaire quand même.
(Bruits)
Victoria Llanso
Il n'y a pas une contradiction quand même entre ce que vous êtes en tant qu'ouvrière très consciente de vos responsabilités de classe, si vous voulez, et le fait de faire la communion à Noëlla ?
Thérèse
Non, je ne vois pas.
Victoria Llanso
Pas de contradiction, c'est pour obéir à la tradition ?
Thérèse
Oui c'est surtout pour les enfants.
Victoria Llanso
C'est surtout pour eux.
(Bruits)
Victoria Llanso
François, vous êtes en train de souder la coque d'un bateau non ?
François
Oui la coque d'un bateau oui.
Victoria Llanso
Vous avez bientôt fini le bateau, il y en a pour combien de temps ?
François
Oh ben, j'en ai environ pour 1 mois ici à souder quoi.
Victoria Llanso
Encore et le bateau il sera prêt quand ?
François
Oh, le bateau peut être prêt dans 3 mois.
Victoria Llanso
3 mois, il y a un potin extraordinaire ici.
François
Il faut bien qu'ils travaillent.
Victoria Llanso
Ils travaillent oui, vous êtes quoi comme métier ?
François
Ben, ici je suis tôlier-soudeur.
Victoria Llanso
Vous aimez votre métier ?
François
Ah oui, je l'aime bien, quand je regarde mon travail, si je vois que je fais du bon boulot ben je suis content quoi.
Victoria Llanso
Vous voudriez que votre fils devienne comme vous, tôlier-soudeur ?
François
Ah, ben ça je ne sais pas, l'avenir le dira hein.
Victoria Llanso
Mais vous aimeriez vous ?
François
Ah, j'aimerais oui, qu'il prenne la suite de son père.
Victoria Llanso
C'est une belle entreprise, une entreprise de combien d'ouvriers ici ?
François
Ben, ici, on est dans les environs 60, 65.
Victoria Llanso
C'est une moyenne entreprise.
François
Oui c'est une moyenne oui.
Victoria Llanso
Comment ça se passe, vous travaillez toujours en plein air même l'hiver ?
François
L'hiver, l'été comme l'hiver toujours en plein air.
Victoria Llanso
Et comment ça se passe avec les copains ?
François
Ah très bien, on marche tous la main dans la main ici.
Victoria Llanso
Vous venez à quelle heure travailler le matin ?
François
Ben, on commence à 7h30 le matin, on finit à midi, on recommence à 1h30 après la soupe quoi et on finit à 6h30 le soir.
Victoria Llanso
Et vous êtes chez vous à 7h ?
François
Oui 7h, 7h moins le quart.
Victoria Llanso
Et vous faites des heures supplémentaires ?
François
Ah non.
Victoria Llanso
Non.
François
On ne fait pas d'heures supplémentaires.
Victoria Llanso
Vous êtes contre ?
François
Ah je suis contre oui.
Victoria Llanso
Pourquoi ?
François
Ben quand on a fait 9h30 de travail par jour, je crois qu'un ouvrier a assez fait.
Victoria Llanso
Mais c'est 8h normalement non ?
François
Ben, c'est 8h normalement mais avec le boulot qu'il y a ben, on fait plus.
(Bruits)
Victoria Llanso
Etre patron ou être bourgeois pour vous qu'est-ce que c'est ?
François
Ah ben patron, hein c'est lui qui commande hein.
(Bruits)
Victoria Llanso
Monsieur, vous êtes le patron de ce chantier sur lequel nous venons de tourner François, c'est quoi d'être patron d'une entreprise comme celle-ci ?
Patron
Patron d'une entreprise, c'est d'abord d'avoir une responsabilité assez importante pour faire vivre environ actuellement 70 à 72 personnes.
Victoria Llanso
François nous a dit sa fierté d'être ouvrier-soudeur, est-ce que vous, vous pouvez dire vos impressions d'être responsable d'une entreprise, qu'est-ce que c'est pour vous est-ce que vous avez la même fierté que lui ?
Patron
Absolument, madame, absolument parce que je pense que François dans le contexte de l'entreprise représente un ouvrier hautement qualifié au point de vue soudure, tôlerie, moralité de personnel, quoi je suis très content de lui. J'ai une entreprise dont les gens sont dans l'ensemble très qualifiés, on obtient un très bon rendement du personnel qu'on emploie.
Victoria Llanso
Est-ce que vous êtes fier d'être patron ?
Patron
Absolument oui, oui, très fier, petit patron.
Victoria Llanso
Parce qu'il nous a dit qu'il était très fier lui d'être ouvrier.
Patron
C'est gentil de sa part.
Victoria Llanso
Vous êtes syndiqué à propos ?
Patron
Ah oui ici à l'entreprise, on est tous syndiqués.
Victoria Llanso
Tous ?
Ouvrier
Ah oui les ouvriers sont syndiqués à 100% à la CGT.
Victoria Llanso
CGT, la CFDT existe ?
Ouvrier
Non, elle n'existe pas, il n'y en a pas, même à Concarneau, c'est vraiment...
Victoria Llanso
Il y a des problèmes, des problèmes syndicaux ?
Ouvrier
Il y en a certainement des problèmes, il va y en avoir.
Victoria Llanso
Pourquoi, qu'est-ce que vous revendiquez actuellement ?
Ouvrier
C'est surtout les conditions de travail, la longueur de la semaine, on fait 46h par semaine alors que la CGT, depuis bien longtemps, réclame la semaine de 40h, alors nous, nous, espérons avant 1975 arriver au moins à 40h sans déduction de salaire bien entendu.
Victoria Llanso
Et qu'est-ce que c'est le comité entreprise ?
François
Ben, un peu la responsabilité des camarades quoi au boulot quoi.
Victoria Llanso
Le comité entreprise en général s'occupe de la cantine, des colonies de vacances tout ça, c'est ça vous occupez de ça ?
Ouvrier
Non, je pense qu'il y a des choses bien plus importantes maintenant qu'il y a le comité d'entreprise.
Victoria Llanso
Micro plus près, bon.
Ouvrier
Un regard sur les finances de l'entreprise, chose qui est vraiment difficile étant donné le peu d'empressement que donne le patron à ...
(Bruits)
François
Ben, il nous a fait une promesse soi-disant, il a fait une promesse que on aurait eu le droit de voir le budget de fin d'année de 74.
Ouvrier
C'est la participation avec la CGT.
François
Ah oui...
Ouvrier
Elle n'est pas tellement d'accord surtout dans les conditions qu'on a présentées.
François
Ah, non, les conditions qu'il veut faire là non, de toute façon quand la CGT lui a dit qu'on n'était pas d'accord, il n'a pas parlé de ça après.
Victoria Llanso
Combien vous gagnez par mois François ?
François
200, 210, 220.
Ouvrier
Ceci pour 46h de travail par semaine, c'est ça qu'il faut insister quoi hein.
Victoria Llanso
Vous aussi vous gagnez 220 mille francs ?
Ouvrier
Je gagne à peu près comme Fanch, oui, et je pense quand même qu'il faut regarder les conditions de travail. Regardez nous sommes en plein air en été c'est peut-être agréable de travailler mais en hiver, quand le vent vient de l'ouest ou bien quand il vient du nord, quand il y a la flotte, quand il y a la neige il n'y a pas souvent, mais la gelée, il y a souvent, on crève de froid, quand il pleut on est trempé alors je pense qu'il faut voir ça donc on ne mérite pas, on mérite un salaire bien plus élevé.
Victoria Llanso
Qu'est-ce que va devenir cette entreprise ?
Patron
Bien, on la continuera jusqu'à la retraite et après bien ou si on grandit beaucoup plus on négociera la vente de notre entreprise, on vendra notre chantier à un personnel financier ou je ne sais pas enfin, quelqu'un qui voudra reprendre l'entreprise en plus grand quoi.
Victoria Llanso
Est-ce que vous n'avez pas pensé peut-être à la mettre en coopérative, garder des actions dans le chantier, la mettre en coopérative avec vos ouvriers ?
Patron
Non, je n'ai pas pensé ça du tout non.
Victoria Llanso
Est-ce que c'est possible dans le contexte économique d'aujourd'hui ?
Patron
Oui, c'est possible mais enfin, ça demande quand même beaucoup de réflexion, il faut voir si les employés, les ouvriers de l'entreprise veulent prendre la responsabilité de prendre part, vraiment une part active et financière dans l'entreprise.
Victoria Llanso
Sinon ce sera une très grande société qui... ?
Patron
Voilà, je pense, oui, absolument.
Victoria Llanso
C'est un peu dommage.
(Musique)
Victoria Llanso
Vous travaillez de quelle heure à quelle heure le matin ?
Thérèse
De 7h, le soir on n'a pas d'heure pour finir, ça peut-être 6h30 comme 7h30.
Victoria Llanso
Vous faites combien d'heures par semaine en moyenne ?
Thérèse
Environ 45, 50, 52.
Victoria Llanso
52h ?
Thérèse
Oui, ça arrive.
Victoria Llanso
Et vous gagnez combien ?
Thérèse
Oh je fais des mois de 120, 130 mille anciens.
Victoria Llanso
Pour 52h de travail ?
Thérèse
Oui.
Victoria Llanso
Ce n'est pas beaucoup, dites ?
Thérèse
Non, ce n'est pas beaucoup.
(Bruits)
Victoria Llanso
Cette voiture, Thérèse, vous l'avez depuis combien de temps ?
Thérèse
Celle-ci ça fait 2 mois, avant j'ai eu une 2CV, ça va faire 1 an qu'on a une voiture.
Victoria Llanso
Ça fait 1 an seulement que vous avez une voiture ?
Thérèse
Oui.
Victoria Llanso
Pourquoi vous avez attendu si longtemps ?
Thérèse
Premièrement, j'ai mon permis que depuis 1 an, passé du mois de janvier, et puis toujours c'est les moyens, je n'avais pas les moyen de se l'offrir.
Victoria Llanso
Elle est neuve celle-ci ?
Thérèse
Non, une occasion.
Victoria Llanso
Et vous en profitez maintenant le dimanche de cette voiture, est-ce que vous allez... ?
Thérèse
Ah oui, on espère cet été en profiter pour aller à la plage, sortir un peu avec les enfants.
Victoria Llanso
Jusqu'à maintenant comment vous faisiez pour sortir ?
Thérèse
On ne sort pas, l'été on allait à la plage par le car.