Vie de marin de Douarnenez

23 décembre 1993
16m 54s
Réf. 00867

Notice

Résumé :

Reportage en baie de Douarnenez à bord du bateau de pêche d'Édouard Ansquer : il raconte sa vie de pêcheur et de marin, ses rapports avec la mer, la pèche à la palangre au bord du plateau continental, la bonne pêche après la guerre, son travail sur les pétroliers, le danger. Il décrit un accident, les campagnes de 2 ou 3 ans, les difficultés des séparations. Il écrivait 3 fois par jour et a tenu grâce à sa femme.

Type de média :
Date de diffusion :
23 décembre 1993
Personnalité(s) :

Éclairage

Après des portraits de femmes de marins, voici à présent ceux des marins eux mêmes, qui sont le mieux placés pour parler de leur métier. On suit dans cette interview le parcours d'un homme qui a commencé à travailler dans les bateaux au début des années 1930, à l'âge de 12 ans en pêchant du thon. Il décrit la difficulté quotidienne faite de promiscuité, de manque d'hygiène (il buvait parfois de l'eau croupie). On retrouve au cours de l'émission les trois femmes rencontrées dans un autre extrait (Region00866), témoins privilégiées des évolutions successives qui ont secoué le monde de la pêche. On y parle de ces 5 000 femmes des 40 usines de Douarnenez qui ont fait grève dans les conserveries, en 1924. A l'époque la ville est un point central pour la pêche à la sardine qui va s'effondrer dans les années 1970 et 1980. Ces témoignages encore vifs d'émotion nous laissent transparaître la marque profonde qu'ont laissée ces manifestations, qui eurent à l'époque un retentissement national. L'exposition « Douarnenez, quai de la mémoire » de l'automne 2011 au Port-Musée de Douarnenez s'en fait également l'écho.

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

DENEZ, Gwendal, Pêcheurs de Douarnenez, Rennes, Tud Ha Bro Sociétés bretonnes, 1982.

Filmographie

RIVIERE, Marc, Penn sardines, téléfilm, 2004, 100 minutes.

HELIA, Marie, Les filles de la sardine, 2001, Paris- Brest Productions

Raphaël Chotard

Transcription

Edouard Ansquer
Ça a été effroyable à Douarnenez et dans tous les ports du littoral là, les bateaux étaient petits hein, il n’y avait pas de météo, et c’était par, j’allais dire par wagons entiers, par bateaux entiers que les gens disparaissaient. C’était affreux hein, c’était des, 18, 20 hommes qui disparaissaient en même temps, d’un coup là. Et tous les hivers hein, tous les hivers, c’était répété hein ! En 1927 jusqu’à, celle où j’ai perdu moi-même mon père en mer, en 1950, et bien, 420, 420 hommes de ce quartier, mousses, hommes ne sont pas revenus. Ça faisait quand même 420 veuves ou mères, ou… Et pour ces marins, avaient des enfants souvent en bas âges qui savaient encore pas dire papa.
Zoé Varier
Et vous, la revanche que vous avez à prendre, c’est celle-là justement. Vous voulez venger votre père !
Edouard Ansquer
Oui, oui, oui, c’est-à-dire, je ne fais pas de cadeau à la mer. Comme je vous disais, elle est, elle sera toujours, elle est, et restera et sera toujours plus forte que moi, et que les autres hein ! Mais pour autant, et bien, je choquerai pas avec hein ! Je filerai pas avec dans la mesure où je sais que elle me fera pas baisser pavillon non plus. Oui, je me bats contre elle, je me bats contre elle, c’est, je me bats contre elle. C’est pour ça que je vous dis, je l’aime mais elle sait à qui elle a affaire également ! J’aime bien la défier, vous voyez ? J’aime bien la provoquer, euh, j’aime bien quand il fait très mauvais, j’aime bien sortir en mer. Je connais ma mesure hein, enfin j’espère que je la connais, et c’est par défi que je sors souvent là, sachant quand même que j’aurais pas un poisson là. On a trouille hein, et puis on se dit : Bon Dieu, qu’est-ce que j’ai cherché comme métier là, alors qu’on pouvait pfft, faire comme les autres et pour autant retourner quand même. Je crois que c’était un peu de l’amour-propre sur le port. Vous savez, tous les mousses, quand j’ai, je vois encore les mousses. Moi, je suis resté un peu plus, j’étais un peu plus crack, si vous voulez. Je suis resté deux ans de plus que les autres à l’école, que mes copains et j’avais honte quand je venais sur le port parce que eux, je les voyais, pfft, crâner si vous voulez là. Ils revenaient d’en mer là, et ça y est, ils revenaient du large, et c’était des hommes quoi hein. Et je me sentais un peu, un peu amoindri à côté de ces clients-là. Et c’est ce qui a fait finalement que la contagion a fait que j’ai lâché la, l’école comme les autres quoi, comme beaucoup d’autres. Et puis, je suis venu en mer.
(Bruit)
Edouard Ansquer
Mon père avait un bateau et mes deux frères étaient avec et je partais, quand j’avais 7 ou 8 ans, je partais avec eux là, du côté d'Ouessant, on pêchait le maquereau là. Euh, je souffrais, j’étais malade, j’avais peur et…
Zoé Varier
Mal de mer ?
Edouard Ansquer
Tout, oui et peur dans les courants du Fromveur là-bas, à Ouessant là, c’était terrible quoi, hein ! Pour moi c’était terrible et pfft, je sais pas, et je retournais quand même quoi, je retournais quand même. Vous voyez le bateau qui vient devant nous là, ça a beau être un copain, j’ai un peu peur de lui là. Je vais lancer 2 minutes parce qu’il est capable de me refaire le coup du Concarnois, vous le voyez là qui vient là ?
Zoé Varier
Oui, le jaune et, jaune et vert là ?
Edouard Ansquer
Je vais lancer 2 minutes et puis on va s’échapper. Il a beau être un bon copain, l’autre était aussi un très bon copain, et quand même il m’a foutu au fond. Lui aussi est un très bon copain aussi, mais surtout il est occupé à ses filets et il va nous couper. Alors, je préfère faire 2 minutes de repos. Vous voyez, c’est un très bon copain. Il va plaisanter quand il va passer là, parce que c’est…
(Bruit)
Edouard Ansquer
Vous voyez, c’est mon copain. C’est bon ? En ce temps-là, la palangre consistait à, on appelait ça aux hameçons quoi, et puis le métier des hameçons à Douarnenez était rattaché à un terme terrible, était rattaché au ravin de la mort. Le ravin de la mort, pour nous, à nos oreilles de gosses, c’était quelque chose d’épouvantable ! On se disait, Bon Dieu la mer - tombe tout d’un coup là, il y a un grand creux, quelque chose. Le ravin de la mort, c’est le plateau continental. Et il y a 50, 60 ans, 70 ans de ça, ceux qui approchaient le plus près du plateau continental pêchaient beaucoup de poissons à la palangre. On essayait de le mettre le plus près de ce fameux ravin de la mort là hein. Et parfois ils visaient mal si on peut dire, pour sonder, et bien il y avait de la, qu’une ficelle avec un morceau de plomb au bout, il n’y a pas de sondeur évidement. Et parfois, tout tombait dedans, vous ne pouvez plus les avoir ! C’était profond, par 800, 900, 1000 mètres, 1500 mètres de fond et comme c’était à bras autrefois, et bien vous savez, malgré que les petits moteurs, les treuils sont venus assez rapidement, mais c’était très dur, vous ne pouvez plus les arracher, les arracher du fond. Et donc, vous perdiez votre matériel, et ben, c’était gagné quoi, comme on dit quoi. Et alors, au bord du plateau, il y a une mer affreuse avec du mauvais temps. La grande houle du large vient se fracasser sur le, sur le talus hein, comme on l’appelle, et c’est une mer ahurissante quoi. Et donc, évidement on essayait de travailler, de forcer si vous voulez. On essayait de forcer parce que un adage dit à Douarnenez, dans le milieu maritime, [inaudible]. C’est-à-dire avec du mauvais temps, un poisson vaut deux en temps normal pour la vente. Hein, ce qui n’est plus le cas actuellement. Et donc, les bateaux essayaient, s’ils savaient que un de leurs copains travaillait, l’autre voulait faire la même chose. Ils ne choisissaient pas la manière dont vous foutez vos palangres alors, il y a une façon de la jeter avec le courant et donc, quel que soit le vent, il faut adopter ce cap. Et vous vous trouvez souvent en travers, très souvent en travers dans toutes les conditions de mer. Vous êtes culbuté, vous chavirez avec les caisses, les hameçons vont dans les doigts des bonhommes. En ce temps-là, on n’était même pas assez malin d’avoir une pince, une simple pince aurait suffi. Et là, vous mettiez la main du bonhomme sur le bastingage ou sur une plaque de fer, et vous lui coupiez l’hameçon avec le marteau et un burin quoi, hein ! Pour le dépasser de sa main, vous lui mettiez un peu de mercurochrome, et puis on continuait quoi, hein !
Zoé Varier
Vous avez fait ça vous ?
Edouard Ansquer
Oui, c’est…
Zoé Varier
Combien de temps ?
Edouard Ansquer
Holà, jusqu’à mon service militaire et même au-delà ! Holà, plus longtemps que ça, jusqu'à ce que je sois parti quoi. J’aimais bien la palangre, j’aimais bien la palangre. C’est un métier que j’aimais quoi, malgré tout. C’est un métier très dur mais j’aimais la palangre hein !
Zoé Varier
Et pourquoi, vous dites sans arrêt que c’était affreux, vous me dites que c’était affreux la palangre et puis vous me dites : J’aimais bien !
Edouard Ansquer
Ben les deux quoi, vous êtes, on est macho hein dans le métier hein ! Vous voyez, on est macho, il n’y a pas de doute, on est macho. Je veux lutter à la mer moi, hein, et pour autant j’y vais. Après la guerre, ça a été le pactole hein ! Ah, il y avait eu 5 ans, donc 4 ans, 5 ans de repos aux poissons là, ah, il y avait qu’à y aller là ! Ah, quand vous releviez les palangres là, vous voyiez des, des queues interminables de poissons qui remontaient du fond là. Si la mer était claire, les gros congres à queue leu leu, les pocheteaux pareil là, alors c’était merveilleux. Des chargements de poissons, c’était plaisant.
Zoé Varier
Vous aviez pris tout ce que vous pouviez ?
Edouard Ansquer
Ben, on prenait ce qu’on pouvait oui, ça, ça fait partie du métier quoi ! Il fallait pêcher quoi, en ce temps là, on pouvait se permettre de pêcher à outrance. On n’aurait jamais cru épuiser cette mer là, ce qui est arrivé pourtant avec les chalutiers, enfin les chalutiers et les fileyeurs. On n’aurait jamais imaginé qu’on pouvait épuiser la mer, et ça vient d’arriver ou presque.
(Bruit)
(Musique)
Daniel Mermet
Mais il faut pas croire, faut pas croire, la mer ne nourrit pas toujours ses fils. Indigne elle est ou bien si c’est eux les prodigues, ça elle s’en fout. Tantôt elle les berce, tantôt elle les tue, elle les bouffe, elle s’en fout. Mais eux, bizarre, reviennent toujours lui pomper la mamelle jusqu’au jour où plus rien, sèche la nourrice. Et c’est aujourd’hui ou presque aujourd’hui. Alors des fois, il faut partir ailleurs, aller bosser là-bas, loin et c’est ce qu’a fait un jour Edouard Ansquer.
Edouard Ansquer
Je suis allé sur les pétroliers hein, où vraiment, j’ai pas goûté une vie euh, de château non plus parce que la façon dont j’ai pratiqué le métier des pétroliers, dans les conditions où je l’ai pratiqué, dans les lieux où je l'ai pratiqué, elle équivalait à toutes les misères que j’ai eu, ici en mer, au ravin de la mort et ailleurs.
Zoé Varier
Pourquoi vous dites ça ?
Edouard Ansquer
Parce que le métier de pétrole, et ben, quand je l’ai connu, où je l’ai connu, il fallait être très, très attentif quoi. C’était très dangereux, les gens s’étaient pas aussi formés. Vous deviez rester vigilant disons 25 heures sur 24 si vous vouliez pas qu’il arrive un accident pour vous et vos hommes quoi ! Et même, même malgré ça, j’ai vu des accidents se produire. Beaucoup d’accidents se produire comme ça et j’étais assez marqué. Ben ça crame quoi, hein ! J’ai vu un bateau cramer là, il y avait, on était en train de transborder de l’essence aviation, puis tout d’un coup chez eux là, il y a un joint qui a pété, une fuite d’essence. Dans la seconde où le joint a pété, là j’ai vu le bateau à côté de nous exploser. Littéralement exploser là, j’ai vu un bonhomme voler à 40 ou 50 mètres dans l’air là. Et on était amarrés à ce bateau-là, on était mouillés et puis amarrés à ce bateau-là évidement pour, pour les opérations à transbordement, alors j’ai hurlé au chef quoi, qui était près de moi, un type de Pont L'Abbé, là tout près d’ici là. Et je lui ai hurlé de lancer le moteur et puis en avant, plein gaz quoi, hein ! Alors, on lance le moteur, [inaudible] et puis il y a un de mes matelots qui me dit : Il y a un homme sur l’eau. Effectivement, il y avait le bonhomme que j’avais vu voler en l’air là et il était sur l’eau, il était à 20 mètres du bateau. A 20 mètres de moi, là, dans un mer en flammes là. Mer en flammes, on était entourés de flammes, c’était, il y avait des flammes sur le bateau, il y avait des flammes partout, c’était l’enfer. Et mon Dieu, j’ai stoppé le moteur du gros bateau, on était sur un gros bateau, quand même 15000 tonnes, et j’ai plongé. Je suis allé dans les flammes, il faut le dire, dans les flammes à chercher ce Malgache là, c’était un copain en plus. Il était dans les flammes et il pleurait sur l’eau, je le voyais lever les bras là, il pleurait, il pleurait le pauvre type là. Il disait de venir le chercher, il appelait maman là, en malgache là. Et j’ai été le chercher et le type, c’était affreux hein, je l’ai attrapé, il était aveuglé, il était cramé hein. Il pleurait et il s’aggripait à moi là, et j’arrivais pas à avoir la prise dans le type, parce que sa peau, on aurait dit un cochon de lait. Il avait épluché et il était devenu tout rose. Il n’avait plus de, la peau noire, café au lait des Malgaches. C’était affreux, j’arrivais pas à le saisir quoi, à peine si j’ai pu, et quand même ! J’étais cramé complètement moi aussi, mes cheveux, je n’avais plus de cheveu, la mer brûlait là, et j’ai ramené le type contre le bord quoi. J’ai fait 10 mètres à la nage là, on est venus tous les deux là, on l’a attrapé là et je suis monté après là et il est mort dans mes bras là, 5 minutes après.
(Musique)
Edouard Ansquer
J’ai trouvé affreux les séparations sur le quai de la gare là, j’ai trouvé ça, c’était quelque chose d’affreux à mon avis la séparation. Il y a 5 minutes là ou 10 minutes là à passer là, mais je vous assure, et bien c’est dur hein ! Je me suis dit : Mon Dieu, pour éviter ces moments si durs, il suffit d’en faire moins, d’en avoir moins. Puis quand vous êtes parti, une fois que vous êtes parti, absorbé par le travail, vous pensez moins si vous voulez. Donc, en faisant des campagnes très longues comme ça, 2 ans, 3 ans, et bien j’aurais une grande permission. Quand vous arrivez à la maison en permission, le départ sera si loin, vous voyez, dans 2, 3, 4 mois plus tard, que vous n’y pensez absolument pas au début. Vous jouissez vraiment de votre permission. Faut beaucoup écrire quoi, écrire pour rien, écrire, écrire, écrire, écrire, écrire et toujours écrire. Et puis, vous voyez 7, 8, 10 20 lettres vous arriver là, à une escale là, comme ça, et de même à ma femme, et ça m’a suffi pour, pour supporter mes exils comme ça.
Zoé Varier
Vous écriviez tous les jours ?
Edouard Ansquer
Oui, trois fois par jour ! Je rabachais ce qui, ce qu’on allait faire en congés, ce qu’on avait fait en congés, seuls, les enfants et tout ça. Et ça m’a suffi.
Zoé Varier
Vous avez tenu grâce à votre femme ?
Edouard Ansquer
Absolument, absolument, ah oui, oui, oui, absolument, absolument. Oui, je savais que les arrières étaient assurés, vous voyez, j’étais tranquille. Tous les jours, je recevais tous les journaux là-bas, peut-être pas le journal La page de Douarnenez, tous les jours elle me la ramassait. Vous voyez, je le confesse quoi, j’ai été très fidèle à ma femme et ma femme c’est pareil quoi ! Je l’aime autant que j’aime la mer quoi, et je, à l’inverse, je ne hais pas ma femme comme je hais parfois la mer, hein !
(Bruit)
Edouard Ansquer
C’est curieux, cette mer là est bizarre hein. Evidement, elle a machiné toute notre vie quoi, elle a occupé toute notre vie, c’est notre… Toute notre vie y est, celles de nos parents, celle de mon fils, vous voyez, il est sur l’eau aussi, et bien, c’est comme ça. Les autres, des fois quand je vois à la télé là, les paysans, je les vois dans certains machins, ils prennent leur terre dans leurs mains là. Souvent, je les regarde, j’ai admiré, j’admire souvent le truc des paysans là, ils prennent leur terre et puis je les vois la machiner entre leurs mains, là ils palpaient leur terre là. C’est un peu pareil là pour nous pour la mer sans doute !