Melaine Favennec

10 novembre 1991
07m 08s
Réf. 00882

Notice

Résumé :

Interviewé par Patrice Galbeau, le poète compositeur interprète Mélaine Favennec présente son disque, "La chambre" dont il a écrit les paroles et la musique. Il revient sur sa façon de travailler. Il parle de son prénom breton, de la Bretagne comme source d'inspiration, de ses thèmes favoris comme le déterminisme...

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Date de diffusion :
10 novembre 1991
Source :

Éclairage

Mélaine Favennec, né en 1950 à Quimperlé, participe dès le début des années 70 au revival breton comme violoniste du groupe Diaouled ar Menez. En 1976, il quittera ce groupe pour jouer le plus souvent en solitaire, découvrant le plaisir de chanter tout en continuant de jouer du violon et de la guitare.

La dizaine de disques réalisés dans le cadre de la coopérative Névénoé ou dans la grande distribution laisse entendre un répertoire de langue française. Mais c'est peut-être la scène qui le révèle le mieux. L'amour du geste et du théâtre éclate alors comme dans le spectacle « Intime in time » mis en scène par Hervé Lelardoux et présenté au festival de Bourges en 1985 ou dans l'oeuvre présentée au festival des Tombées de la Nuit à Rennes en 1989. Chaque concert est un spectacle et une surprise visuelle et musicale, car Favennec n'hésite pas à mélanger les genres : jazz et bagad en 1990, instruments bretons et orchestre de chambre. Le patrimoine breton est emprunté, reconstruit, et reprend vie.

Mais son talent est plus vaste : il écrit des textes pour d'autres (Dan ar Braz, Gérard Delahaye), il joue au théâtre et au cinéma, peint et prête ses traits au héros de François Bourgeon dans la bande dessinée « Les yeux d'étain de la ville glauque » de la série « les Compagnons du crépuscule ».

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

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myspace.com/melainefavennec.

Martine Cocaud

Transcription

(Musique)
Patrice Galbeau
Melaine Favennec, bonjour !
Melaine Favennec
Bonjour !
Patrice Galbeau
Bien, un nouveau compact, un titre global, La Chambre !
Melaine Favennec
Oui, alors c’est un, oui ! Ça demande explication, c’est que La Chambre, en fait, dans la langue française, il y a, il y a plusieurs applications à ce mot qui est complètement ambigu. La Chambre parce que c’est l’endroit où on dort donc l’endroit où on rêve, l’endroit où on aime, l’endroit où on nait et l’endroit où on meurt, généralement quand tout se passe bien. Euh, et puis aussi La Chambre , et bien, il y a l’orchestre de chambre, c’est-à-dire, ça induit la notion musicale. Puis la troisième induction, c’est la chambre photographique, la caméra, c’est-à-dire…
Patrice Galbeau
Chambre noire !
Melaine Favennec
La chambre noire, c’est-à-dire la chambre des, la chambre où se révèlent les images. Je crois que c’est ça qui m’intéresse, c’est que en tant que poète, en tant que quelqu’un qui écrit, euh, les passages, les images de la vie passent toujours au noir pour être révélés et passer par les mots. C’est-à-dire, on passe d’une, du visible au lisible. Ou tout du moins à l’audible. Mais enfin, ça passe quand même par le, par le lisible.
Patrice Galbeau
Toutes les chansons, il y en a 11 je crois,
Melaine Favennec
Oui
Patrice Galbeau
Du compact, chants, paroles, musiques, c’est de vous hein !
Melaine Favennec
Oui.
Patrice Galbeau
Vous privilégiez quoi, la musique ou les mots ?
Melaine Favennec
Je crois que c’est d’abord le, d’abord ce sont les mots parce que je me suis rendu compte d’une chose, c’est que pour moi, la chanson française, c’est une musique qui est, c’est une chanson qui a sa spécificité, à partir du moment où elle reconnaît l’articulation de la langue française. C’est-à-dire que les placements de l’accent tonique, toutes ces choses là sont des contraintes. Et ce sont des contraintes intéressantes qui vont, qui vont euh, faire découler toute une esthétique musicale. Alors que si on part de la musique et qu’on contraint les mots, on peut très bien travailler sur des mouvements dynamiques et des carrures, qui sont celles de la musique anglo-saxonne, par exemple, que je trouve que c’est aussi une forme de chansons intéressante. Mais moi, je la pratique pas et c’est pas vers là que je vais, parce que c’est pas un, c’est pas un style de contrainte qui m’intéresse.
Patrice Galbeau
Melaine Favennec, c’est breton ?
Melaine Favennec
Oui, tout à fait !
Patrice Galbeau
J’ai l’impression, vous pouvez pas le cacher là !
Melaine Favennec
Oui.
Patrice Galbeau
Et Melaine, c’est un prénom breton, ou c’est un…
Melaine Favennec
Ben c’est un prénom bizarrement, on peut dire qu’il est breton mais il a une, l’orthographe est française, enfin… Alors, ce que, ce qu’on peut dire, c’est que la seule chose que je sache, c’est qu’il y a un évêque à Rennes qui euh, qui s’est fait canonisé et qui s’appelait Melaine, et l’origine du prénom, il y en aurait deux. La première ce serait euh, Maël en vieux celtique, qui veut dire le prince. Et la deuxième, ce serait Mélanos en grec, qui veut dire noir !
Patrice Galbeau
Le prince alors noir, pourquoi pas ?
Melaine Favennec
Le prince noir, allons-y ! Moi ça me convient tout à fait !
Patrice Galbeau
Et la Bretagne, vous inspire toujours ?
Melaine Favennec
Terriblement, terriblement ! Terriblement parce que la Bretagne, c’est l’endroit où j’habite. Et c’est l’endroit d’où je pars surtout. Je crois que on vit un monde moderne et qui est un monde de communication et donc, c’est pas très important là où on est, mais c’est surtout important de là où on part. On part pour commencer à dire, à rencontrer quelqu’un enfin, c’est ça qui m’intéresse dans mon métier.
Patrice Galbeau
Et là où on va, c’est important aussi non ?
Melaine Favennec
Oui, là où on va oui ! Alors ben moi, je vais euh, c’est vrai que je suis souvent à Paris parce que c’est une ville que j’adore. Et puis que c’est vrai que je chante un peu partout en France et en Suisse, en Belgique.
Patrice Galbeau
La chanson, nous avons entendu un court extrait là, c’est, le titre c’est Aliénor .
Melaine Favennec
Oui.
Patrice Galbeau
Aliénor d’Aquitaine ?
Melaine Favennec
Bien sûr !
Patrice Galbeau
Comme il se doit !
Melaine Favennec
Oui.
Patrice Galbeau
Bon, vous avez des thèmes favoris ou c’est quoi, les voyages, ce qui se passe dans la vie, à quoi ça sert, où ça va, d’où ça vient ?
Melaine Favennec
Les voyages, alors, voilà ! C’est-à-dire que en fait, bon, si on écoute bien, si on écoute bien mes paroles, on s’aperçoit que je suis quelqu’un qui a peur du déterminisme. C’est-à-dire que j’écris des choses pour sortir du déterminisme, parce que j’ai une certaine lucidité. Je me rends bien compte que il y a un déterminisme effrayant qui s’abat sur nous, en tant qu’individus et en tant que société. Et que le travail du poète, c’est justement de montrer que à l’intérieur de tout ça, il y a des failles, il y a des issues. Et essayer de les mettre en œuvre pour montrer que dans le réel, il y a du possible. Et c’est ça mon, c’est ça mon boulot. Alors parler des voyages oui, mais ce qui m’intéresse dans les voyages, c’est pas, c’est surtout la distance qui sépare les gens. C’est-à-dire que je me suis rendu compte que souvent, plus la distance était grande, et plus la nécessité de dire était grande. Et alors comme on est dans un monde de communication, on sait plus très bien où est la distance. Donc il y a, il y a une crise de contact en fait.
Patrice Galbeau
Vous écrivez pour vous ou pour les autres ? Je veux dire, pour vous, comme vous dites : tiens, j’ai envie d’écrire un texte sur, sur, sur une histoire d’amour par exemple, vous voyez ? C’est pour vous faire plaisir à vous mais est-ce que vous dites : Voilà, un jour quelqu’un qui sera pas très bien, qui aura, qui sera un peu dans la même situation que moi, peut-être que cela lui fera du bien, ou du mal, d’écouter ma chanson. J’ai dit du mal parce qu’il y a eu quelques suicides au début du siècle, vous savez par une chanson, j’ai oublié le titre ! Sombre dimanche !
Melaine Favennec
Oui, oui.
Patrice Galbeau
Donc il y a des chansons qui peuvent effectivement vous enfoncer la tête sous l’eau quand ça va pas très bien. Bon, vous écrivez pour vous ou pour les autres ?
Melaine Favennec
Ben, j’ai l’impression que maintenant, on parlait des contraintes tout à l’heure. A partir du moment où on commence à respecter les contraintes du langage, c’est, si on respecte le langage, on respecte les autres. Parce que c’est le véhicule entre les, entre l’autre et moi. Et j’ai envie, de plus en plus, de dire une histoire qui n’est pas la mienne. C’est-à-dire, je crois que c’est ça, c’est une espèce de pudeur et aussi un travail à reconnaître l’autre. Et puis parce que on parlait du faire du bien ou faire du mal, moi je vois mon métier de plus en plus comme, je me perçois plus comme un chaman. C’est-à-dire, j’aimerais que mes chansons soient des petites aiguilles d’acupuncture qui libèrent des, qui libèrent des passages d’énergie et qui fassent du bien.
Patrice Galbeau
Faire l’utile, c’est ce que vous voulez dire hein ?
Melaine Favennec
Voilà, comme Raymond Devos peut faire rire et pleurer, enfin pleurer, je veux dire frémir. Quand on sent qu’on est parcouru d’une espèce de bouleversement physique, alors on se sent mieux. Bon, c’est ça le spectacle, c’est ça la chanson, c’est ça, c’est ça la poésie. C’est une espèce de petite, un petit calmant et en même temps, un excitant. Enfin, c’est quelque chose qui réveille là, qui nous réveille.