Chants de la terre

03 avril 1980
06m 26s
Réf. 00887

Notice

Résumé :

Le musicien Jean Francois Quemener est interrogé par Aris Fakinos à propos des passions chantées pendant la période du carême en Bretagne, de son activité en Bretagne, ses soirées, ses concerts, son répertoire profane et religieux, toujours en Breton.

Type de média :
Date de diffusion :
03 avril 1980

Éclairage

Jean François Quemeneur (ou plutôt Yann-Fañch Kemener) est né en 1957 à Sainte Tréphine dans les Côtes d'Armor. Très jeune, il va collecter des chansons populaires de langue bretonne. Il chante également seul parfois, mais souvent avec d'autres. Son oeuvre est très représentative de la vitalité du patrimoine oral breton : elle emprunte à la tradition tout en restant à l'écoute des chants du monde et de la diversité musicale, puis elle se lance, toujours plus vivante... assurant le succès des concerts et fest-noz.

Dans cet extrait, Yann-Fañch Kemener, évoque surtout son activité de collectage (travail qui consiste à sauver ou faire revivre des chants, par leur notation et leurs annotations) qui forme la base de son répertoire, et plus particulièrement celle des chants d'église maintenant presque inconnus.

Les chants de la Passion comme manifestations du cycle de la Semaine Sainte sont attestés dans de nombreuses régions (cf. les rites calendaires de Van Gennep). Quelques jours avant Pâques, les fidèles se réunissaient pour chanter dans les rues du village le procès, la trahison et la cruxifixion du Christ. Cette tournée de chants dont les versions variaient d'un pays à l'autre étaient parfois l'occasion d'une quête (comme pour le premier de l'an). Cette tradition semble avoir été présente aussi bien en pays gallo qu'en pays bretonnant même si les références semblent en fait plus nombreuses en Haute-Bretagne. Des témoignages montrent que ce rite a existé dans les années 1960 dans le Centre-Bretagne (Gourin), aux Fougerêts, mais que cette pratique était loin d'être systématique.

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

Voir le site : http://www.kemener.com/bio.htm

Sur Ouest en Mémoire : Klasker Toniou Kozh (Region00507).

Martine Cocaud

Transcription

Kemener
Mais Les passions étaient chantées uniquement pendant la Semaine sainte, à partir du dimanche des Rameaux, jusqu’au Vendredi saint donc. Et ça se chantait tous les soirs, tous les soirs, ça ne se chantait pas dans une église, ça se chantait en plein air. Et alors, y'avait... en général, c’était deux ou trois vieilles personnes qui chantaient un premier vers, que la foule reprenait et le deuxième, et ainsi de suite. Ça se chantait donc pendant la Semaine sainte quoi.
Journaliste
En parlant de tout ça, vous dites que ça se chantait, donc ça ne se chante plus ?
Kemener
Ça ne se chante plus depuis…, les personnes qui ont chanté ça pour les dernières fois, ça se chantait pendant la dernière guerre quoi. Sur le plan humain, les rapports qu’on peut avoir avec les personnes âgées. J’ai vu des personnes, une personne entre autres, de Plounévez Quintin qui m’a appris au moins 50, 60 textes, 60 chants et des airs ; et qui me dit, moi le soir quand je ne peux pas dormir. Eh ben, je me rappelle mes chansons, des chansons que mon frère me chantait, un frère plus aîné qu’il avait, plus âgé que lui, et que mes parents, que j’ai entendus par d’autres personnes.
Journaliste
Les Passions, par exemple, comment vous les avez apprises ?
Kemener
Les Passions , j’ai appris d’une voisine. Une voisine de mes parents qui était âgée, qui avait chanté ça dans son jeune temps, et qui me les a apprises. Mais alors, il manquait quelques couplets alors que j’ai trouvés auprès d’autres personnes quoi.
(Silence)
Journaliste
Vous chantez toujours en breton ?
Kemener
Toujours en breton, le breton est ma langue, ma langue maternelle. Je parle la langue, je la pratique tous les jours, tous les jours, chez moi quoi. Je préfère parler le breton.
Journaliste
Et est-ce que vous avez essayé de chanter ces chants en français ?
Kemener
Non, jamais !
(Silence)
Kemener
Parlez-moi plutôt de la musique de ces Passions, c’est une musique qui remonte à quand ?
(Silence)
Kemener
D’après les textes, je pense que ce sont des restes de Mystères du Haut Moyen-Age, je pense. D’après la structure d’une part, la structure de l’air et du texte quoi. D’abord, il y a deux passions, il y a une grande passion qui doit remonter au moyen âge et une petite passion qui est certainement plus récente. La grande passion est la montée au calvaire et la crucifixion avec l’arrivée des trois maris. L’histoire d’un mouchoir aussi qui est assez intrigante, où Jésus donne donc un mouchoir à Marie en lui disant : « Obtenez ce mouchoir et ramassez-le bien car, et surtout ne le lavez pas dans de l’eau stagnante parce qu’il y a dedans 7 sacrements ; ne le lavez pas dans de l’eau courante autrement, ce sera la fin du monde ». La petite passion est l’histoire du jugement dernier, mais racontée de façon populaire ; où on voit la vierge qui vient avec les grains de son chapelet qui met dans les balances de Saint Michel, et qui pose des grains pour peser les âmes.
Journaliste
Les vieux Bretons qui vous apprennent ces chants voient comment votre travail ? Est-ce qu’ils aiment… ?
Kemener
Ben, je pense que c’est très apprécié surtout les personnes de 70 ans, plus de 60 ans. Les générations en dessous vous demandent toujours : « Ah, comment vous allez vivre de ça ? Pourquoi vous faites ça ? Ça vous rapportera quoi » ? Mais les personnes plus âgées vraiment sentent ça quoi. Ils apprécient et m’aident beaucoup parce qu’ils font, ils m’aident dans mes recherches et eux-mêmes recherchent, alors ils travaillent aussi.
Journaliste
Si cette personne-là vous pose la question comment vous allez vivre avec ça, ça signifie que vous avez décidé de vous consacrer aux chants bretons.
Kemener
Oui, j’ai décidé de me consacrer entièrement à ça, j’ai renoncé à d’autres choses.
Journaliste
Est-ce que vous vous produisez souvent ? Est-ce que vous donnez des concerts ? Comment ça se passe votre activité en Bretagne du point de vue chant ?
Kemener
Je fais des soirées, quelques concerts, oui !
Journaliste
Toujours en Bretagne ?
Kemener
En Bretagne, sur la région parisienne quelquefois aussi pour des Bretons. Là, je dois aller en Allemagne au mois de juillet pour le festival inter celtique qu’ils font en Allemagne au mois de juillet.
Journaliste
A part Les passions dont vous venez de parler, est-ce qu’il y a d’autres chants religieux ou d’inspirations sacrées si l’on peut dire que vous avez dans votre répertoire ?
Kemener
Oui, pour noël, il y avait des chants pour noël aussi, des chants de noël, des restes d’anciens mystères aussi qui….
Journaliste
Qu’est-ce que vous appelez des mystères justement ?
Kemener
Des mystères, les mystères au Moyen-âge étaient des pièces des théâtres en somme en plusieurs actes et en plusieurs jours. A l’heure actuelle, il nous reste très peu de ça.
Journaliste
Aujourd’hui, quels sont les rapports entre l’Eglise et des chanteurs comme vous qui interprètent des chants religieux ?
Kemener
Je vous ai dit que Les passions n’étaient plus chantées depuis une trentaine d’année, alors, l’an dernier, il y a des vieilles personnes, qui m’ont dit : « Quoi, tu chantes en Breton ? Tu devrais rechanter Les passions ». Alors, j’ai décidé donc avec plusieurs personnes âgées de Saint-Igeaux, la commune d’où je suis ; nous avons décidé de rechanter Les passions le Samedi saint. Donc, quand il a fallu aller demander à l’église au recteur, je trouvais quand même que l’église c’était un endroit qui s’y prêtait un peu pour ça, d’abord, il m’a dit non. Alors, je lui ai dit : « C’est simplement embêtant parce que je vais être obligé de le faire dans la salle des fêtes ». Alors, il m’a dit, après, il revient sur sa décision en me disant : « Ah oui, je pensais que c’était pendant l’office ». Alors, j’ai dit : « mais, ça lui rallongeait son office d’une heure ». Alors, il me dit « Mais de toute façon, il n’y aura personne ». Alors, l’église, habituellement, il y a 10, 15 personnes dans la messe. Parce qu’on ne chante plus en breton, parce qu’on dit pour attirer les jeunes, comme les jeunes ne viennent pas à la messe. Les chansons sont tellement moches en français en plus, ce n’est pas du chant quoi, c’est tout sauf du chant. Et alors, il est venu, l’église était comble comme par hasard. Cette année, donc, on a décidé de rechanter ça encore.