Les incorporés de force du camp de Tambov-Rada
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La moitié des incorporés de force Alsaciens-Mosellans morts durant la Seconde Guerre mondiale le sont dans les camps soviétiques. Le plus célèbre est le camp n°188 de Tambov-Rada, où au moins 4 000 « Malgré-Nous » ont perdu la vie dans des conditions de détention terribles.
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Date de publication du document :
09 déc. 2024
Date de diffusion :
03 nov. 1994
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Contexte historique
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
En juin 1940, la France est battue par l’Allemagne nazie, qui annexe de fait l’Alsace et la Moselle, considérées comme des provinces germaniques sont annexées. En août 1942, les autorités du régime mettent en place la conscription dans ces territoires, ce qui conduit à l’incorporation de force de 130 000 Alsaciens et Mosellans dans les rangs de la Wehrmacht et de la Waffen-SS. Majoritairement envoyés sur le front de l’Est, une grande part des incorporés de force est capturée par l’Armée rouge puis détenue dans des camps aux conditions de vie terribles d’une URSS qui n’a pas signé la convention de Genève de 1929 protégeant les prisonniers de guerre. La moitié des 40 000 incorporés de force alsaciens-mosellans morts durant la guerre le sont dans ces camps.
Le plus célèbre est le camp n° 188 de Tambov-Rada, surnommé le « camp des Français » en raison de la proportion élevée d’incorporés de force qu’il a accueillis. Comme la centaine de camps de prisonniers en URSS, Tambov est administré par le GOUPVI, l’autorité responsable des prisonniers de guerre et interné qui a été créé en 1939 au sein du NKVD. Créé en mars 1942 sur le site d’une ancienne position d’artillerie dans un marécage à 400 kilomètres au sud de Moscou, il s’agissait d’abord d’un camp de filtrage pour les soldats soviétiques revenus de captivité. À partir de l’hiver 1942, le nombre de prisonniers de guerre allemands augmente considérablement, notamment dans le cadre de la bataille de Stalingrad. Les autorités en font alors un camp de détention, dont les premiers détenus sont des prisonniers allemands, italiens et hongrois. À partir de juillet 1943, le camp n° 188 reçoit plus particulièrement des Français, majoritairement des incorporés de force dans l’armée allemande.
Le camp est organisé en grandes baraques en rondins semi-enterrées qui pouvaient abriter entre 150 et 400 détenus et où il ne fait jamais plus de dix degrés. Les quantités de nourritures sont indigentes : chaque détenu reçoit deux soupes claires et 600 grammes de pain par jour. Avec des rations caloriques équivalentes à celles des camps de concentration nazis, la faim partagée de tous fait rapidement de la nourriture une obsession. L’hygiène est également déplorable puisque les détenus ne se lavent que rarement et sont envahis par les punaises, les rats, les puces. Pour ceux qui tombent malades, l’infirmerie du camp où, pour les cas les plus graves, l’hôpital n° 5951 de Kirsanov, ne résolvent rien : les plus faibles succombent. La baraque n° 22 sert d’ailleurs à entasser les cadavres. Pour assurer la discipline, les détenus sont mis à profit : chaque nationalité dispose de sa propre « police », capable de distribuer corvées et sanctions. Pour les incorporés de force c’est le « club des Français » où se mélangent les sympathisants communistes et ceux attirés par quelques avantages matériels. La vie au camp tourne autour du travail forcé. Les principales corvées se situent dans la forêt aux alentours, où il s’agit de récupérer du bois de chauffage ou de la tourbe, ce qui constitue des tâches redoutées, car périlleuses.
Au total, on estime que 16 000 incorporés de force ont été internés dans le camp n° 188 et qu’au minimum 4 000 y sont morts. Au printemps 1944, le principe de libérer un contingent pour l’envoyer en Algérie afin de garnir les Français libres est accepté par le régime soviétique : sur les 1 900 Alsaciens-Mosellans alors détenus au camp n° 188, 1 500 sont relâchés en juillet 1944. C’est le dernier accord qui permet la libération d’incorporés de force. Avec la montée des tensions entre le régime soviétique et les démocraties occidentales, les « Malgré-Nous » deviennent une monnaie d’échange au cœur de la Guerre froide. Le dernier à rentrer chez lui est Jean-Jacques Remetter, libéré en 1955.
Éclairage média
ParProfesseur agrégé d’histoire, Doctorant en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg
Ce film est un extrait du documentaire « Les Français du Goulag » réalisé par Bernard Dufourg et Thibaut d’Oiron en 1994 et diffusé sur France 3 Alsace. Ici assimilés au Goulag, qui, dans l’imaginaire populaire, englobe l’ensemble du système concentrationnaire et pénitentiaire soviétique, les camps de prisonniers ne dépendent toutefois pas l’administration du « Goulag », mais de celle du GOUPVI, bien que la réalité s’en rapproche.
Cet extrait met en avant le témoignage de Gérard Richert, ancien interné au camp de Tambov, qui a par ailleurs été particulièrement engagé dans la transmission de cette mémoire jusqu’à son décès en 2018. Il a notamment mis son témoignage par écrit en 1991 sous le titre « Emporté par les vents ». Richert décrit la « corvée des morts » qui consistait, pour certains détenus affectés à cette tâche, à aller chercher de nuit les corps de leurs camarades morts dans la forêt pendant les récoltes de bois ou de tourbe puis à les enterrer.
Pendant de nombreuses décennies, cette mémoire n’a été entretenue que par une poignée d’associations locales discrètes. Avec la fondation de l’ADEIF en 1945 et l’élargissement des « Malgré-Nous » en Moselle, les incorporés de force disposent de structures qui œuvrent, dans un premier temps, pour faire la lumière sur le sort de tel ou tel individu encore ignoré. En 1966, un Comité régional des Anciens de Tambov est créé en 1966, qui se scinde en deux associations quatre ans plus tard. Cependant, la question des captifs français dans les camps soviétiques est restée très délicate, ne suscitant que peu d’intérêt outre-Rhin à l’égard de ceux qui de toute manière avaient combattu sous l’uniforme ennemi. Pour les anciens déportés, les premières années ont souvent été celles du silence, ne parlant de Tambov qu’avec ceux qui en avaient été, les autres « ne pouvant pas comprendre ». Ce n’est qu’avec la prise de conscience progressive par l’opinion publique des réalités du système répressif soviétique, dont l’un des moments forts a été la publication de L’Archipel du Goulag par Alexandre Soljenitsyne en 1973, que la parole s’est progressivement déliée. En même temps que le régime soviétique perdait son crédit, la réalité de la captivité dans ses camps devenait plus facile à entendre.
Ainsi, les années 1990 ont constitué un autre jalon important dans l’établissement de cette mémoire, dont témoigne ce documentaire. L’éclatement du bloc soviétique en 1991, l’ouverture des archives qui ont suivi et les travaux historiques critiques à l’égard du régime ont permis de faire progresser les connaissances au sujet des incorporés de force captifs en URSS. Les premiers travaux d’ampleur consacrés à la captivité des incorporés de force, par Pierre Rigoulot, Jean-Noël Grandhomme ou Régis Baty, ont permis de faire la synthèse de ce phénomène, mais aussi de capter les derniers témoignages de rescapés encore en vie. À l’époque, il s’agit de comprendre la réalité de la captivité, de faire la lumière sur le nombre de victimes — question qui revient dans l’extrait — et d’obtenir la reconnaissance de ceux qui ont « triplement souffert » (J. N Grandhomme) : du national-socialisme, du régime soviétique, du mépris de leurs compatriotes. C’est aussi le moment où de nouvelles associations émergent, plus visibles, comme l’association Pèlerinage Tambov (1995) dont l’objectif est d’envoyer régulièrement un contingent de jeunes entretenir la mémoire des Alsaciens-Mosellans morts au camp. Quatre-vingts ans après les faits, cette mémoire est devenue constitutive de l’identité régionale, mais les travaux historiques manquent encore cruellement pour que l’on puisse saisir la complexité du phénomène, sortir de schémas militants et se diriger vers une histoire publique apaisée, ce qui serait le meilleur moyen de rendre aux victimes le juste souvenir qu’ils méritent.
Transcription
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