Le GCO de Strasbourg : la transition écologique en question

Le GCO de Strasbourg : la transition écologique en question

Par Eric Cazaubon et Lara Mercier, Professeur d'histoire-géographie et journalistePublication : 08 déc. 2020


Présentation

Quels sont les enjeux économiques et environnementaux du projet de Grand Contournement Ouest de Strasbourg (GCO) ?




Introduction

Depuis les années 1960, la croissance de l’Eurométropole de Strasbourg a provoqué un étalement urbain de la ville, notamment sur l’axe nord-sud, autour de l’autoroute A35. Avec 160 000 véhicules par jour dont 15% de poids lourds, cette autoroute est aujourd’hui saturée par les flux en transit, générant des nuisances majeures pour les habitants des environs.

Face à cette situation, les responsables politiques ont choisi, dès les années 1970, de réaliser un projet de contournement routier. Nommé Grand Contournement Ouest de Strasbourg (GCO), ou autoroute A355, ce dernier a suscité un débat de société très clivant, aux enjeux multiples, notamment économiques et environnementaux.

# À l’origine : la congestion de l’autoroute A35

Strasbourg et la région connaissent des mobilités croissantes, liées à deux phénomènes jouant à deux échelles différentes. A l’échelle locale, la périurbanisation entraîne un accroissement des distances entre lieux de travail, de vie, de consommation et de loisirs. A l’échelle régionale, l’espace est traversé par des flux très importants du fait de sa situation transfrontalière. Depuis 2005 et la mise en place d’une écotaxe sur les poids lourds en Allemagne, une partie du trafic outre-Rhin a été déviée sur la rive gauche, ce qui contribue à la congestion des transports côté français.

Les automobilistes en mobilité pendulaire et les poids lourds en transit se croisent donc tous deux sur l’autoroute A35. Cette autoroute urbaine, qui ressemble à celles qu’on faisait dans les années 60-70, subit de fortes congestions qui génèrent des nuisances insupportables pour les riverains. La nécessité de repenser le trafic automobile sur et autour de Strasbourg s’est donc imposée.

# Une dynamique de métropolisation

Plusieurs options sont alors posées sur la table. Le choix se porte finalement sur la création d’une nouvelle autoroute pour délester l’A35 d’une partie de son trafic. Les enjeux économiques sont considérables pour la ville de Strasbourg. La métropolisation en cours du territoire français est en effet marquée par l’émergence de quelques grandes agglomérations qui cherchent à la fois à s’affirmer à l’échelle nationale mais aussi européenne. Et la concurrence est rude.

La métropole strasbourgeoise a donc des ambitions : celles de créer un cadre économique, culturel et environnemental attractif pour la population active (si possible très qualifiée) et les activités (si possible des activités de commandement, de recherche, dans des secteurs créateurs de richesses). Dans ces conditions, les enjeux d’accessibilité et de mobilité internes deviennent cruciaux. Pour prendre les devants face au goulet d’étranglement de l’A35, la ville lance les premiers jalons de cette politique, notamment avec le chantier de l’EcoParc, un projet de zone d’activité qui doit être desservie par la nouvelle autoroute.

# Le dilemme entre aménagement du territoire et protection de l’environnement

Se pose désormais la question du tracé de ce GCO. Les collectivités locales et l’Etat doivent faire face à des choix d’aménagement majeurs, dont les impacts sur le territoire et les sociétés sont très importants.

En faisant passer une autoroute en zone rurale, sur des terres agricoles, des forêts, des espaces de biodiversité à la valeur certaine, la priorité est donnée à un nouvel usage collectif de l’espace. Ce choix contrevient aux discours politiques plus soucieux de l'environnement depuis au moins 20 ans.

Cette décision crée donc un conflit d’usage entre acteurs locaux, et oppose partisans et adversaires de l’A355. Autour du projet se cristallisent des représentations contradictoires de ce qu’est l’intérêt général. Se pose également la question de la légitimité des décisions prises par les pouvoirs publics dans ce domaine. Le ministère de la Transition écologique a lui-même douté du volet “écologique” du projet, suspendant toutes les procédures en 2017 durant un an afin d’obtenir une amélioration substantielle du cahier des charges de Vinci, l’entreprise concessionnaire de la nouvelle autoroute.

Pour autant, les propositions de cette dernière sont essentiellement axées autour de la réduction des nuisances pour les habitants des villages impactés. Les autres mesures constituent ce qu’on appelle des mesures compensatoires, par exemple planter plus d’arbres qu’on en a arraché.

Certaines villes du Bas-Rhin impactées par le projet négocient alors avec Vinci un accord sur des compensations. À Vendenheim, la mairie demande ainsi à l’entreprise de financer l’installation d’un rideau végétal et d’un mur anti-bruit.

Mais ce type de mesure est-il vraiment écologique ? La question se pose d’autant plus que les milieux naturels détruits sont des écosystèmes qui ne se recréent ni facilement ni rapidement. C’est autour de la défense de ces réserves de biodiversité que se cristallise une part importante de la contestation, à travers la création d’une zone à défendre (ZAD) en 2017. Après 4 ans de mobilisation, de manifestations et d’actions pour bloquer les véhicules du chantier de déforestation, les occupants sont condamnés par la justice pour occupation illégale des 350 hectares de la forêt de Kolbsheim, située au milieu du tracé de la future autoroute A335.

# La polarisation du débat

Pour les occupants de la ZAD, la défense du milieu naturel est la priorité et justifie toutes les formes d’action, ce qui est assez révélateur de l’échec de la concertation autour de ce projet. Mais son faible succès interroge : l’enjeu écologique local justifie-t-il cette radicalisation de la lutte ? Pourquoi les zadistes ont-ils été si peu soutenus ?

Pour beaucoup, les mesures proposées au départ ou ensuite par Vinci semblent de nature à les satisfaire, si elles permettent de protéger leur cadre de vie quotidien (pollution, nuisances sonores, embouteillages) qui est le principal ressort de la mobilisation.

Cela montre peut-être que les populations seraient plutôt favorables à une logique conjointe de valorisation et protection de leur territoire à court terme, entraînant des compromis dont sont éloignés des zadistes plus radicaux, particulièrement mobilisée autour de la destruction d’espaces agricoles et naturels.

Le rapport des sociétés à leur environnement est donc complexe car il doit répondre aux attentes différenciées des acteurs, qui vont de la patrimonialisation à l’exploitation, de la protection à la valorisation. Ceci étant, la transition écologique peut se penser en termes de transitions démographique, climatique, urbaine, écologique... qui sont toutes articulées entre elles. Pour les pouvoirs publics, l’enjeu est donc de trouver un équilibre entre des choix en apparence contradictoires. Une question d’intérêt général, de long terme et de démocratie.

# Piste pédagogique associée

Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre : Le CGO de Strasbourg : une nouvelle autoroute en débat.