Radio et télévision : du contrôle à l’autonomie ?

Radio et télévision : du contrôle à l’autonomie ?

Par Cyrille Litterst et Alice Kindmann-Martin , Professeur d'histoire-géographie et éditrice

A l’heure de l’information instantanée délivrée par Twitter et consultée depuis un smartphone, il est difficile de s’imaginer qu’il y a soixante ans, il n’y avait qu’une seule chaîne de télévision ! Les progrès technologiques ont permis le développement des radios, des chaînes de télévision puis de l’internet. En parallèle, le secteur des médias s’est structuré, libéralisé, privatisé… Une évolution qui, évidemment, n’a pas été sans conséquence sur le traitement de l’information.

     

# La révolution du son et de l’image : l’essor des médias audiovisuels

L’essor de la presse écrite puis de la presse quotidienne est étroitement lié au progrès technologique (presse à vapeur et rotative, invention du télégraphe, révolution des transports, etc.). De la même façon, la radio et la télévision se sont développées grâce à une suite d’avancées technologiques depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui (puissance des ondes, couverture nationale, améliorations matérielles, allongement de la diffusion,...). C’est après la Seconde Guerre mondiale que la radio se démocratise avec l’apparition des transistors. La télévision, elle, fera son apparition dans les foyers français à la fin des années 1940 et deviendra le média familial par excellence. Pourtant, elle se résume longtemps à une seule chaîne contrôlée par l’Etat, la RTF (Radiodiffusion-télévision française).

A partir des années 1950, la télévision s’implante en région. Télé-Lille, créée le 25 avril 1950, est la première chaîne régionale. Elle émet quotidiennement en fin de journée. En 1953, c’est au tour de Télé-Strasbourg de diffuser ses premières émissions. Dès 1954, des décrochages régionaux sont mis en place à Lyon et à Marseille aussi. En 1963 est créée une deuxième chaîne et des moyens sont accordés aux régions pour réaliser leurs propres journaux télévisés. Le 12 décembre 1963, le premier journal télévisé de Lorraine est diffusé. Il deviendra quotidien dès 1964.

# L’information longtemps sous contrôle politique

Le monopole d’Etat sur l’audiovisuel établi en 1941 par Vichy est maintenu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (ordonnance du 3 mars 1945). La radio et la télévision ont alors une mission de service public : les programmes donnent une large place aux émissions culturelles et éducatives ; il n’y a pas de publicité commerciale. En 1949, la RTF est placée sous l’autorité du ministère de l’Information. La création de l’ORTF en 1964 ne changera pas la donne. Pour de Gaulle, l’ORTF (Office de la radio-télévision française) doit incarner « la voix de la France » et faire contrepoids à la liberté de la presse écrite. Les informations demeurent donc sous le contrôle de l’Etat. Dans ce contexte, le déploiement de la télévision en région n’est évidemment pas sans enjeux politiques. En Alsace par exemple, l’implantation de l’ORTF (et donc de tous les dispositifs techniques nécessaires) vise à contrer le développement de la télévision allemande dans la région.

Les années 1960 voient la télévision devenir la source d’information dominante et influence fortement l’opinion publique. Mais le contrôle du secteur audiovisuel par le gouvernement sera remis en cause par la société civile, notamment lors des évènements de mai 1968. Si la presse écrite et la radio couvrent les manifestations au plus près, la télévision reste dans un premier temps la voix du gouvernement. Une affiche le dénoncera avec un slogan devenu célèbre : « ORTF, la police vous parle tous les soirs à 20h » ! Le personnel de l’ORTF se met par la suite en grève et l’institution traversera une crise profonde qui aboutit à des réformes successives. Finalement, la loi du 7 août 1974 met fin à l’ORTF, qui éclate en sept sociétés autonomes : quatre sociétés de programmes (une pour la radio, Radio-France, et trois pour la télévision, TF1, Antenne 2 et FR3), une société chargée de la diffusion (TDF), une société de production (la SFP) et une enfin chargée de la conservation des émissions, de l’exploitation des archives et de la recherche (l’INA). Le 6 janvier 1975, le président de la République Valéry Giscard d’Estaing se démarque de ses prédécesseurs en déclarant :  La radio et la télévision ne sont pas la voix de la France. Leurs journalistes sont des journalistes comme les autres . Le contrôle de l’Etat n’est en fait que desserré ; il faut attendre 1982 pour qu’il prenne réellement fin.

# Libéralisation…

Dans les années 1970, alors que l’Etat garde malgré tout la mainmise sur la radio et la télévision via l’ORTF, une partie de l’opinion tente de se faire entendre en créant des radios dites « pirates ». Il s’agit de radios clandestines émettant de façon illégale sur la FM, un nouveau système d’émission. Elles sont interdites et leurs programmes régulièrement brouillés. Si certaines diffusent de la musique, pour la plupart, le but est politique. Ces radios sont le porte-voix des populations en lutte pour défendre une idée de la société. Radio cœur d’acier, en Lorraine, s’inscrit par exemple dans l’histoire des luttes syndicales.

L’élection du socialiste François Mitterrand à la présidentielle de 1981 amorce la libéralisation des médias audiovisuels et un contrôle moindre du pouvoir politique sur les contenus fabriqués et diffusés. Les premières radios dites « libres » apparaissent : elles sont autorisées à émettre sur la FM sans diffuser de contenu publicitaire. Peu de temps après, la loi Fillioud du 29 juillet 1982 met définitivement fin au monopole de l’Etat. Les radios libres deviennent des « radios locales privées » ; les chaînes de télévision privées Canal Plus, La Cinq et TV6 sont lancées. La Haute Autorité de la communication audiovisuelle (1981-1986) est créée. Ancêtre du CSA, elle veille au respect des missions du service public et régule le jeune secteur privé. En 1984, la diffusion de publicité à la radio est officiellement autorisée : c’est la fin des radios libres… et la naissance des radios commerciales. Beaucoup pensent alors que de nombreuses radios locales pourront fonctionner grâce au bénévolat. C’est illusoire. De nombreuses radios privées disparaissent faute de moyens et seules les plus grandes stations de radio commerciales parviennent à s’imposer durablement sur la bande FM.

# … et privatisation

Des bouleversements sont aussi à l’œuvre dans le secteur de la télévision. En 1986, la loi Léotard autorise la privatisation des chaînes de télévision publiques, ce qui se concrétise dès l’année suivante avec la privatisation de la première chaîne. TF1 assume un positionnement sur des programmes de divertissement. Dès lors, la télévision française entre dans une logique concurrentielle où seul l’audimat compte pour drainer le maximum de revenus publicitaires. Conséquence, les émissions, les présentateurs et les présentatrices apparaissent et disparaissent au rythme des mesures d’audience. La presse écrite aussi subit des transformations profondes. Depuis le début des années 2000, les grandes entreprises de presse indépendantes ont été rachetées par des hommes d’affaires et de grands groupes de télécommunication inscrivant journaux et magazines dans une logique de plus en plus commerciale. La presse régionale n’y échappe pas (il y avait 175 quotidiens régionaux en 1945, une soixantaine en 2020), ce qui n’est pas sans poser parfois problème dans le traitement de l’information locale. Lors de la création de la région Grand Est par exemple, les journalistes locaux ont dû traiter l’information sur un territoire plus grand, couvert à l’origine par deux groupes de média concurrents.

La télévision et la radio (et la presse écrite) ont indiscutablement gagné en autonomie au cours du XX siècle. Mais la question de leur liberté éditoriale se pose toujours : non plus vis à-vis du pouvoir politique mais des actionnaires.

Plus largement, avec l’essor du numérique, tout le secteur de l’information est de nouveau en plein bouleversement. L’information est aujourd’hui mondialisée et instantanée via internet et les réseaux sociaux ; elle est accessible partout, à tout moment et gratuite. Les médias « traditionnels » sont désormais sur internet et diffusent en continu ; des pure players ou « journaux tout en ligne » sont apparus. Les modes de production de l’information transforment donc les modes de consommation et inversement. Il n’en reste pas moins que la liberté des médias est indissociable de leur indépendance. Et s’il existe des lois pour protéger cette liberté, en pratique, elle n’a jamais été vraiment acquise. Un débat toujours d’actualité à l’heure des réseaux sociaux qui, eux aussi, interrogent la liberté d’expression.

# Piste pédagogique associée

Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre : Les médias audiovisuels : du contrôle de l’information à l’autonomie ?