Portrait d'une amoureuse de la langue Picarde : Marie-Madeleine Duquef

18 juin 2007
05m 09s
Réf. 00011

Notice

Résumé :

Portrait de Marie-Madeleine Duquef, figure incontournable à Amiens. Après avoir mis le picard du quartier Saint-Leu en dictionnaires, elle publie un livre de contes et comptines, Min tchot leu, accompagnés d'un CD avec les chansons du livre, illustré par Caroline Flamant. Ces deux femmes séparées par trois générations ont été réunies par un autre défenseur des langues régionales, l'éditeur amiénois Philippe Leleux.

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Date de diffusion :
18 juin 2007
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Éclairage

Née en 1922, Marie-Madeleine Duquef est l'une des plus anciennes habitantes du quartier Saint-Leu d'Amiens. Celle qui a été surnommée "Tchotchotte del tcheue d'vaque"(1), ou plus simplement "Tchotchotte", est aussi l'une des figures incontournables de la défense et de la promotion de la langue et de la culture picardes. Désireuse de ne pas voir disparaître le patrimoine linguistique légué par son environnement familial, Marie-Madeleine Duquef s'est ainsi investie dans la vie associative picardisante amiénoise en participant par exemple énergiquement aux activités du groupe Chés Diseux d'Achteure.

Le témoignage le plus significatif de son amour pour cette langue qui était interdite dès les portes de l'école, est sans aucun doute son activité d'écriture.

Enrichissant la longue tradition lexicographique du picard, elle a en effet fait paraître en 1994 un dictionnaire, Ch'l'amassoer, publié à compte d'auteur et tiré à pas moins de 300 exemplaires.

Sa rencontre avec le libraire et éditeur Philippe Leleux de la Librairie du Labyrinthe lui a permis de continuer à publier dans sa variété linguistique natale. En 2004, elle a ainsi fait paraître une édition remaniée de son dictionnaire, désormais nommé l'Amassoér : dictionnaire picard-français, français-picard et publié à 2000 exemplaires. Le succès de cette seconde édition a été véritable tant tous les exemplaires se sont écoulés rapidement.

Ainsi que l'illustre ce reportage, l'auteure s'est aussi distinguée par la publication d'un recueil de comptines et de chansons en picard : Min tchot leu. Illustré par Caroline Flamant, ce recueil est accompagné de traductions en français, de partitions et d'un CD permettant d'écouter les chansons de l'ouvrage. Ce livre a été conçu comme une main tendue vers les jeunes générations, afin de leur fournir un accès à cette langue à laquelle Marie-Madeleine Duquef tient tant. Le succès de cette démarche s'est manifesté à travers la création récente, par le chanteur et musicien Adrien Helminiak, d'un spectacle jeune public intitulé "Min tchot leu" et reprenant les comptines et chansons de l'auteure.

(1)Tchotchotte habite au 23, rue de la Queue de Vache, aujourd'hui quai Bélu et lieu touristique des restaurants de Saint-Leu.

Christophe Rey

Transcription

Franck Petit
Et tout de suite, c’est le magasine Picard d’ici. Ce soir, nous allons rendre une petite visite à tchiote Marie-Madeleine, l’une des plus anciennes habitantes du quartier Saint-Leu, à Amiens. Elle vient de sortir un nouveau livre tout en picard. Sa passion pour cette langue lui vient de son enfance. Aliman Najibi et Eric Maillebiau.
Duquef§Marie-Madeleine
Foués dodo, dodo m’tchotte minette, Il arriv’ro ch’qu’i l’arriv’ro ! Yo des poéyis ouèch qu’i n’yo l’dgerre, Is font qu’berziller pis asir, Is s’estoffi’nt’ meime eintré frères, Pis cho point l’air d’voloèr finir ! Foés dodo, dodo m’tchotte minette, Foés dodo au coeud dains mes bros ! C’est la langue de ma maman quand elle me berçait. Elle me disait : «Viens dans mon gron, mon tchot lapin gris, ém tchotte minette» et elle me parlait picard, ma tante laissant ma mère parler picard. Et (enfin, ça, c’est mon avis), mais dire à un petit enfant « Viens sur mes genoux, mon petit lapin », ce n’est pas du tout pareil que de dire «Viens à gron, m’tchotte minette ». Moi, je trouve qu’il y a cette différence-là. Mais ça, on ne comprend pas. Et puis, j’ai eu la veine d’avoir une institutrice… Quand vous en aurez marre, vous me direz.
Najibi§Aliman
Rassurez-vous, Marie-Madeleine. Votre prose si truculente et si savoureuse se déguste sans modération. Tel un irréductible gaulois, Marie-madeleine Duquef, dit Tchochotte, défend avec force sa langue régionale. Son arme : les livres qu’elle écrit en picard. Dernier ouvrage en date : un recueil de comptines et de chansons. Née en 1922 à Amiens, en 85 ans, son plus long séjour hors de son quartier natal n’a duré qu’un mois. C’était durant l’exode de 1940. Depuis, elle n’a, pour ainsi dire, plus quitté la rue Belu où elle vit aujourd'hui.
Duquef§Marie-Madeleine
Nous habitions dans Saint-Leu, nous faisions partie de la racaille. Et la racaille, ça parlait picard. Donc avec mes parents… Je n’ai pas eu de grands-parents. Ils étaient tous morts quand je suis arrivée. Ils s’étaient sauvés. Avec mes parents, avec mes compagnes, avec les voisins, on ne parlait que picard. Par contre, une fois arrivée à l’école, à la porte de l’école, c’était terminé. Et on avait une institutrice très sévère pour le français. Donc on parlait un très bon français mais à la récréation et puis le soir, je parlais picard.
Najibi§Aliman
Un patrimoine qu’elle veut transmettre aux plus jeunes. Elle rêve de tchots nazus récitant et chantant dans la langue populaire et imagée de leurs grands-parents.
Duquef§Marie-Madeleine
Je me dis si jamais les mamans, elles chantent les chansons, comme il y a un disque, et puis que dans les écoles, il y ait des instituteurs ou des institutrices qui veuillent bien parler picard, (il y en a, d’ailleurs. Il y en a qui sont très accrochés), si un jour, j’entends des gosses passer dans la rue et parler picard, ça me ferait bien plaisir.
Najibi§Aliman
Un souhait en partie réalisé. La jeune illustratrice amiénoise de Min tchot leu ne connaissait pas la langue picarde avant sa rencontre avec Marie-Madeleine Duquef.
Flamant§Caroline
J’ai découvert une langue. Alors je vais essayer toute seule à lire et tout. C’est rigolo. Des fois, ça sonne un peu russe, des fois un peu chinois. Et oui, j’ai vraiment accroché avec le contenu.
Najibi§Aliman
Deux femmes séparées par 3 générations réunies dans ce premier livre en picard pour enfants par un autre défenseur des langues régionales, l’éditeur amiénois, Philippe Leleux.
Leleux§Philippe
Il y a des milliers de langues qui vont disparaître d’ici un siècle. Et bon, bien là, c’est un petit grain de sable dans cette machine que d’éditer un livre pour enfants tout modestement, un livre pour enfants en picard.
Duquef§Marie-Madeleine
Je trouve que quand on n’a pas une langue, la langue de son pays, il manque quelque chose. Ça vous accroche. Moi, ça m’accroche. J’ai pu, une fois… J’étais à l’hôpital, je me suis cassé le bras. J’étais en maison de repos. Et puis j’avais des cheveux longs. Il vient une coiffeuse. Alors elle me coiffe, etc. J’étais en fauteuil. Et elle met les trucs pour que je mette mes pieds dessus et elle me dit : « Faites attention… » Une dame très élégante, très très jeune, « Faites attention de ne pas vous encheper !». Alors là, tout de suite, moi, j’ai éclaté de rire et on est presque devenues amies. C’est fou, ce que ça peut rassembler des gens.
Najibi§Aliman
Tchochotte a même relevé le défi d’enregistrer un CD des chansons de son livre.
Duquef§Marie-Madeleine
Je vous jure que c’est moi qui les ai faits, mais je n’ai plus de mémoire. Il faut que je regarde là-dedans. Attendez.
Philippe Leleux
Min tchot Leu ?
Duquef§Marie-Madeleine
Je chanterais ce que je voudrais. Non mais ! J’allais chanter min tchot Leu. Eh bien, je m’en vais chanter autre chose. Ça lui apprendra. Soéyons tertous anmis, Foés un bec à chell’-lole, Soéyons tertous anmis, Foés un bec à ch’ti-chi !Refrain (bis) : Foés un bec à chell’-lole, Foés un bec à ch’ti-chi ! Vous n’aurez pas une parole de plus.