Le commandement unique à Doullens le 26 mars 1918

26 mars 1918
09m 20s
Réf. 00405

Notice

Résumé :

Évocation sur des photographies d'époque du commandement unique confié le 26 mars 1918 au Maréchal Foch. C'est à l'hôtel de ville de Doullens que les représentants civils et militaires anglais et français se sont réunis. Témoignage de deux femme Mlle Vasseur et Mme Carpentier qui avaient 16 ans à l'époque. Le capitaine G Maurice relate les conditions de la rencontre entre les français et les anglais qui ont dû composer compte tenu de la gravité de la situation sur le front.

Date de diffusion :
26 mars 1968
Date d'événement :
26 mars 1918
Source :
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Lieux :

Éclairage

Caractéristique de la précision et de l'austérité des documents télévisés de l'époque, ce reportage a été diffusé en 1968 pour le cinquantenaire de la conférence de Doullens ayant conduit au commandement unique. La bande-son est essentiellement constituée du thème de la chanson Roses de Picardie, créée en 1916.

L'offensive allemande, déclenchée le 21 mars 1918, avait pour objectif de rompre le front allié et d'acculer les Anglais à la défaite afin d'arracher la décision avant l'arrivée des troupes américaines. Elle a lieu entre la Scarpe au Nord et l'Oise au Sud, soit entre Arras et La Fère. Le matin du 21 mars, l'attaque est précédée d'une préparation d'artillerie de cinq heures. A 9 h 40, les troupes d'assaut, armées de mitrailleuses légères, de mortiers de tranchée et de lance-flammes, s'élancent vers les lignes ennemies. La progression allemande est rapide, comme le montrent les cartes du reportage. Le front allié, tenu par la Ve Armée britannique, s'effondre. Les trois divisions françaises déployées à proximité de la vallée de l'Oise viennent porter secours. Les lignes reculent vers l'ouest jusqu'à former un saillant autour de Montdidier, dans la Somme. Amiens est menacé.

Face à la gravité de la situation, les deux commandants en chef ont des priorités différentes : pour Haig, assurer la liaison avec les ports de la Manche ; pour Pétain, protéger Paris. Foch, alors chef d'état-major et conseiller militaire du gouvernement français, insiste sur la nécessité d'un organe "entièrement et uniquement consacré à la conduite de la guerre alliée" et sur l'obligation de défendre Amiens. Le président du Conseil, Georges Clemenceau, considère aussi que la question de l'unité de commandement primait toutes les autres. Le 26 mars, à Doullens, petite ville à une trentaine de kilomètres au nord d'Amiens — le lieu de rendez-vous initialement prévu, Dury, avait été modifié à la demande du maréchal Haig — se réunissent les dirigeants alliés : du côté britannique, lord Milner, membre du cabinet de la Guerre, les généraux Wilson, Lawrence, Montgomery, le maréchal Haig ; du côté français le président de la République Raymond Poincaré, le président du Conseil Georges Clemenceau, le ministre de l'Armement, Louis Loucheur, les généraux Foch, Weygand et Pétain. La conférence commence après 12 h, à l'Hôtel de Ville, au premier étage. Les participants sont unanimes à reconnaître qu'Amiens devait être sauvé à tout prix et que le sort de la guerre s'y jouait. Mais les conclusions de la conférence vont au-delà. A l'issue de la réunion, lord Milner et Georges Clemenceau y signent la déclaration suivante : "Le général Foch est chargé par les gouvernements britannique et français de coordonner l'action des armées alliées sur le front Ouest. Il s'entendra à cet effet avec les généraux en chef qui sont invités à lui fournir tous les renseignements nécessaires".

Le choix de Foch revient aux Britanniques. Celui-ci le rappelle dans ses mémoires : "Lord Milner eut alors avec M. Clemenceau un entretien particulier, à la faveur duquel il lui proposa de me confier la direction des opérations. Le président du Conseil se rallia à cette idée et élabora de suite un texte aux termes duquel j'étais chargé de coordonner les opérations des forces alliées autour d'Amiens. Le maréchal Haig, apercevant aussitôt l'étroitesse et la petitesse de la combinaison, déclara qu'elle ne répondait pas au but qu'il poursuivait. Il demanda que celle-ci fût étendue aux forces britanniques et françaises opérant en France et en Belgique. Finalement, la formule fut encore élargie de manière à comprendre toutes les forces alliées opérant sur le front occidental"(1).

Comme le note Poincaré dans ses souvenirs, "ce n'est pas encore l'unité de commandement, mais c'est déjà un acheminement et un progrès" (2). L'autorité de Foch est renforcée à Beauvais le 3 avril par les représentants des gouvernements français, anglais et américain qui lui confient "la direction stratégique des opérations militaires" et en laissent la conduite tactique à chacun des commandants en chef. Le 2 mai, à Abbeville, Orlando accepte "l'extension des pouvoirs de coordination du général Foch" au front italien. Le 14 mai, Foch est nommé "commandant en chef des armées alliées en France".

Le reportage permet de montrer la prégnance du souvenir de cet événement dans la ville de Doullens cinquante ans après l'événement, avec le témoignage de deux habitantes. Ce souvenir est entretenu par le décor de la salle du Commandement unique, qui a fait l'objet d'un programme d'aménagement commémoratif en 1937-1938. Les principaux éléments sont bien visibles dans le reportage : vitrail commémoratif conçu par Gustave Ansart en 1937 et réalisé par le maître verrier Jean Gaudin, deux toiles commémorant l'événement exécutées par le peintre Lucien Jonas, célèbre pour ses œuvres reproduites dans l'Illustration, bronzes de François-Léon Sicard représentant Clemenceau et Lord Milner. Le reportage montre également l'hôtel des Quatre-Fils-Aymon, où les participants à la conférence ont déjeuné, une fois terminée leur rencontre historique, à 14 h 30.

(1) Maréchal Foch, Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre 1914-1918, Plon, 1931, t. II, p. 23.

(2) Raymond Poincaré, Au service de la France, t. X, Victoire et armistice, Paris, Plon, 1933, p. 90.

Philippe Nivet

Transcription

(Silence)
(Musique)
Guy Jolivet
Printemps 1918. La guerre entrait dans sa 4ème année. A Doullens situé à peine à 80 km du front, en plein secteur anglais, le printemps tardait à faire éclore les roses de Picardie tandis que là-bas, à l’est, le rouge du sang des hommes arrosait toujours la grasse terre de l’Aisne. Après la triste année de 1917, les Français et les alliés tenaient bon. Mais chez les Allemands, Von Ludendorff, définitivement libéré de l’hypothèque du front russe, fournissait ses armes, entraînait ses troupes, approvisionnait ses canons et préparait l’offensive. Les premières lignes alliées étaient devant La Fère, remontaient le canal de l’Oise, s’infléchissaient devant Saint-Quentin pour suivre, à 5 km à l’ouest, une ligne parallèle au canal de l'Escaut. Les premiers jours de mars avaient été relativement calmes. Mais le 21 mars, le jour même du printemps, c’était l’attaque allemande. Après une minutieuse préparation d’artillerie pendant laquelle, sur 90 km, 6200 canons, un tous les 10 m, pilonnaient les lignes britanniques. A 9 heures 40. L’ordre était donné. 200 000 feldgraus se ruent à l’assaut. Au soir du 21, l’attaque a piétiné sur le saillant de Cambrai mais le front est percé dans deux directions : celle de Péronne et celle de Ham. C’est Von Hutier, le vainqueur de Riga, qui a réussi la meilleure opération à la jonction des armées anglaises et françaises. Dans la journée du 22, les Allemands augmentent leur poussée sur l’ensemble du front. La troisième armée anglaise et la cinquième aussi sont en difficulté. Roisel, Vermand, Saint-Simon tombent ainsi que Tergnier. Le 23 au matin, Chauny, Ham, Monchy sont pris. Et les troupes de Von der Marwitz sont dans les faubourgs de Péronne. Haig appelle alors au secours et demande à Pétain de relever ses troupes au sud de la Somme. Mais les événements vont plus vite que la montée des réserves. Et dans la journée du 23, Péronne tombe. Et le front est crevé au sud de Ham et à l’ouest de Péronne. Von Ludendorff profite de l’aubaine. Le 23, à 16 heures, première rencontre de Pétain et de Gough à Dury, dans ce château qui, 2 ans auparavant, servait de quartier général à Foch. Hier, les Anglais réclamaient 3 divisions françaises de renfort. Aujourd'hui, il leur en faut 20. Et demain, il leur en faudra peut-être 30 pour couvrir Amiens. Pétain, voulant couvrir la Champagne, lui, hésite. L’accord entre les Français et les Anglais est en train de craquer. La politique du chacun pour soi se fait jour. A Paris, Foch demande à Clemenceau de créer un organisme directeur de la guerre. Et maintenant, toutes les minutes vont compter. Sur son carnet de route, le capitaine Georges Maurice a retrouvé les traces de la diffusion du communiqué de victoire que les Allemands publiaient le 23 mars.
(Bruit)
Georges Maurice
Les troisième et cinquième armées anglaise et une partie des réserves franco-américaines amenées ont été battues sur le front Bapaume-Bouchavesnes derrière la Somme, entre Péronne et Ham comme sur Chauny. Ils ont été repoussés avec de lourdes pertes. L’armée du général Von Below a emporté d’assaut les hauteurs de Monchy. Et plus au sud, après des combats à Dancourt et Hénin, les corps des généraux Von Ludvitz, [inaudible] ont traversé la Somme en progressant vers l’ouest.
Jacques Boulen
Dans la journée du 24, le 5ème corps français qui doit se substituer au 3ème corps britannique est accroché sur la ligne Chauny-Guiscard. Les renforts français montent vers le nord et se jettent dans la bataille sans savoir où ils vont et sans même comprendre où ils sont. Le 24 au soir, nouvelle rencontre Pétain Haig à Dury. Le Français a reçu pour instruction de défendre la ligne Roye-Noyon seulement. La séparation entre les alliés est consommée aussi bien dans les esprits que sur le terrain. Le front est définitivement crevé. Bapaume, Epénancourt, Nesle sont aux mains de l’ennemi dès le 25 au matin. Dans la journée, Ludendorff ordonne à ses 3 généraux de continuer à foncer pour consommer la séparation des alliés. Dans la nuit, les Allemands prennent Albert et Noyon et sont devant Roye. La situation est désespérée le 26 au matin. Seul un miracle peut sauver les armées alliées. Les dirigeants civils et militaires se concertent, se rencontrent pour essayer de sauver ce qui peut l’être encore. Une nouvelle entrevue est prévue à Dury pour le 26 à midi. Mais Haig demande qu’elle ait lieu à Doullens. C’est ainsi donc que vers 11 heures, le square de l’Hôtel de ville et le théâtre de l’arrivée de tous les grands chefs alliés : le président Poincaré, Clemenceau, le ministre de l’armement Loucheur, les généraux Foch, Pétain, Weygand sont là à battre la semelle dans le froid en attendant que les Anglais réunis en conférence dans la salle du Conseil municipal veuillent les recevoir. Deux doullenaises, madame Carpentier et mademoiselle Vasseur se souviennent encore. Elles avaient 16 ans à l’époque.
Carpentier
Mon père était passé par l’Hôtel de ville en se promenant. Alors il avait découvert cette réunion vraiment extraordinaire. Alors il nous a demandé de venir voir.
Vasseur
On n’était pas au courant des événements.
Carpentier
Non. On voyait tout de même que c’était critique parce qu’il y avait un remue-ménage. Enfin, dans la rue, des soldats qui revenaient du front, de l’artillerie avec des canons plutôt à longue portée. Mais c’était encore assez en ordre. Vous savez, ce n’était pas la pagaille. On a toujours entendu le canon. C’était toujours à peu près la même chose.
Georges Maurice
… se sont rencontrés avec des sentiments divers. Mais il est bien certain que du côté anglais, l’heure était venue d’une décision très grave en ce qui concerne l’amour propre britannique, c’est qu’il fallait bien obtenir, à n’importe quel prix, le concours des réserves françaises qui étaientt encore fort loin et qui risquaient d’arriver trop tard. Et la situation était même tellement grave qu’on n’était pas très sûrs d’y arriver.
Jacques Boulen
Et c’est ainsi donc, mon capitaine, que Français et Anglais se sont réunis autour de cette table. Et que s’est-t-il passé à ce moment-là ?
Georges Maurice
Oui, la table, c’est vraiment le centre d’événements. Car tous les personnages sont présents, tout près les uns des autres. Ils ont amené avec eux les pensées qui les ont travaillés pendant plusieurs jours et plus particulièrement dans cette journée. Et se trouvant, cette fois, face-à-face après des conciliabules dans les coins, ils ont fini par apercevoir la solution. Une pièce photocopiée ici, sur la table, indique, avec toutes les ratures, ce que monsieur Clémenceau a fini par rédiger c'est-à-dire la coordination accordée au général Foch. Et, en somme, l’obligation pour les deux généraux, Douglas et Pétain, de lui en référer chaque fois qu’il y a lieu. Et voilà que le dénouement se produit. Le chef va pouvoir disposer de toutes les réserves, les envoyer à ceux qui en ont besoin. Effectivement, après le repas qui a eu lieu aux 4 fils Aymon , Foch est monté dans sa voiture avec Weygand. Et instantanément, le commandement s’est exercé. Les ordres ont été changés. Et les résultats ont suivi puisqu’à la fin du mois, la bataille de la Somme était terminée.
Jacques Boulen
C’était donc la première minute du dernier quart d’heure. Si, à Doullens, on n’avait parlé encore que de coordination, ici, il faudra attendre le 3 avril pour que Foch se voie confier la direction générale des armées à Beauvais. Dès maintenant, le combat va changer d’âme. Pendant la journée du 26, les Allemands ont encore profité de leurs avantages au nord et l’attaque dépasse Albert et fonce vers Doullens qui n’est plus qu’à 10 km du front. Au centre Von Below essaie sans succès de prendre Villers-Bretonneux pour foncer sur Amiens. Au sud, von Hutier réussit dans son entreprise car le 27 au soir, Montdidier va tomber. Mais Foch ne perd pas son temps. Son plan est simple. Il veut se battre partout. Et à force de « taper sur les Allemands » dit-il, il espère les battre. C’est d’ailleurs ce qu’il écrit à Pétain le 27 mars. « Il n’y a plus un mètre de sol de France à perdre. Il faut arrêter l’ennemi là où il est. Les troupes doivent tenir à tout prix et durer sur place ». Et bien que la poussée allemande continue à se faire sentir en cette fin du mois de mars, bien que Moreuil soit tombé le 30, le front allemand se stabilise. Les Allemands comprennent maintenant. La force de défense de l’adversaire dépasse leur puissance offensive. Tout cela parce qu’un jour de printemps de 1918, Anglais et Français ont compris enfin qu’un seul devait les diriger tous. Le général Foch fut celui-là. Et c’est à Doullens que psychologiquement, le drame s’est dénoué. Et c’est aussi grâce à lui que Ludendorff n’aura jamais Amiens.
(Silence)