Une église de la reconstruction à Roye

05 octobre 1998
03m 10s
Réf. 00418

Notice

Résumé :

L'église de Roye fait partie du patrimoine de reconstruction après la Première Guerre mondiale. Pour sa reconstruction artistes et artisans ont utilisé de nouveaux matériaux et de nouvelles techniques artistiques révolutionnaires. Jean Charles Capronnier des archives nationales explique qu'elle a été reconstruite en béton, tant au niveau du bâtiment que de la décoration "art déco", un style qui divise encore les membres de l'association d'histoire locale.

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Date de diffusion :
05 octobre 1998
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Éclairage

La Première Guerre mondiale a provoqué la destruction de nombreuses églises de Picardie. L'église Saint-Pierre de Roye, construite à la Renaissance, classée monument historique en 1908, était l'une des plus remarquables de l'est de la Somme, même si c'est improprement qu'elle est appelée dans le reportage "cathédrale du Santerre". Elle fut partiellement détruite le 15 décembre 1914, quand les Allemands ont fait exploser le clocher et la toiture, puis en mars 1917, quand les occupants en retraite ont fait sauter une plate-forme haute d'environ 35 mètres qui avait été épargnée jusque-là et qui leur servait d'observatoire.

Après la guerre se pose la question de la reconstruction des monuments détruits. D'une manière générale, les églises classées monuments historiques sont reconstruites à l'identique, comme le veut la loi, les autres étant reconstruites dans des styles radicalement nouveaux. De nouveaux matériaux sont alors employés, comme le béton, utilisé également pour l'édification d'églises de la région parisienne, en particulier l'église Notre-Dame-du-Raincy, construite en 1922-1923 par les frères Perret.

La reconstruction de Saint-Pierre-de-Roye est menée au début des années 1930 par les architectes parisiens Charles Duval (1873-1937) et Emmanuel Gonse (1880-1954), qui avaient créé une agence d'architecture parisienne en 1905 (1). Après 1918, les deux hommes, partie prenante d'une société civile d'architectes dénommée La Cité nouvelle, s'appuient sur un réseau efficace de collaborateurs locaux et se consacrent de manière prédominante à la reconstruction des départements dévastés, principalement la Somme. Leur est alors dévolue, pour le compte de coopératives de reconstruction, la réédification des bâtiments communaux d'une quinzaine de villages de la région de Roye et celle de nombreux immeubles privés, agricoles et industriels de cette même région. Ils sont également les auteurs de la reconstruction de l'hôtel de ville de Montdidier.

La reconstruction de l'église Saint-Pierre-de-Roye est assez singulière. Le chœur flamboyant est restauré à l'identique, tandis que la nef, le transept et le clocher de 64 mètres de hauteur, dominant la plaine du Santerre, sont résolument contemporains. Ce choix avait nécessité le déclassement de la nef et du transept. L'analogie entre le clocher de Roye et celui du Raincy est frappante.

La décoration intérieure comporte des sculptures de Raymond Couvègnes (1893-1985), qui participa lui aussi à la reconstruction de l'hôtel de ville de Montdidier. On y trouve aussi des ouvrages de céramiques vernissées incorporées au ciment frais des autels dus au céramiste Maurice Dhomme (1882-1975), grand prix à l'Exposition internationale des arts décoratifs de 1925. Quatre fresques de grande dimension sont exécutées en 1932 par Henri Marret (1878-1964), ami du peintre Maurice Denis, qui avait auparavant travaillé à l'église Saint-Sulpice de Fresnoy-les-Roye. Les grilles en ferronnerie de Raymond Subes (1893-1970), collaborateur de Jacques-Emile Ruhlmann et de Jean Dunand, et des vitraux de Jean Hebert-Stevens (1888-1943), ami des Nabis, complètent la décoration intérieure de Saint-Pierre-de-Roye.

Celle-ci peut être mise en relation avec le travail mené par les artistes des Ateliers d'art sacré, fondés par Maurice Denis et Georges Desvallières en 1919, ou ceux du groupement de Notre-Dame-des-Arts, créé en 1927, qui sera chargé de plusieurs dizaines d'églises dans la Somme et l'Oise.

Le classement de la nef, du clocher et du transept par arrêté du 29 avril 1997 montre l'intérêt porté à ce patrimoine à la fin du XXe siècle, mais les réactions des personnes interrogées à la fin du reportage témoignent des difficultés d'appropriation de cet art par les populations locales.

(1) Jean-Charles Cappronnier, L'agence d'architecture de Charles Duval et Emmanuel Gonse (1905-1937) et les enjeux de la première reconstruction, thèse d'histoire de l'architecture sous la direction de François Loyer, Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2007.

Philippe Nivet

Transcription

Thierry Bonté
… monsieur, bonsoir. Pour sa rubrique patrimoine, Picardie Première s’est déplacé à Roye. Nous sommes, d’ailleurs, au sommet de l’église de cette commune afin d’évoquer le patrimoine de la reconstruction d’après la Première Guerre mondiale. Pour reconstruire les édifices qui avaient été détruits pendant le conflit, de nombreux artistes et artisans se sont fait la main, à l’époque, sur de nouveaux matériaux et ont utilisé des techniques artistiques tout à fait révolutionnaires pour l’époque. Un Christ et un chemin de croix en béton moulé. Des céramiques illustrant la vie des saints dans des couleurs plutôt criardes, une structure générale en béton armé, des fresques murales datant des années 30, un portail en fer forgé, voilà donc le décor intérieur que découvre le visiteur qui pousse la porte de l’église de Roye. L’ancienne cathédrale du Santerre a été détruite par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale. Il ne subsistait du monument qu’une partie du chœur datant du XVIe siècle et reconstruite à l’identique. Le reste a été, grâce aux dommages de guerre, rebâti dans le style des années 20. Pour cela, deux architectes, Duval et Gonse ont utilisé le béton. Economique et pratique, ce matériaux révolutionnaire pour l’époque a permis de redonner espace et volume à l’édifice.
(Bruit)
Jean-Charles Cappronnier
Le béton est non seulement utilisé, et ça, c’est aussi l’innovation comme dans le gros-œuvre, dans la structure même de l’édifice, mais aussi le béton armé est utilisé comme support de technique décorative. C’est le cas ici puisque nous avons la sculpture sur béton, béton moulé de Couvègne. Que ce soit les céramiques qui sont serties dans le ciment frais ou que ce soit les fresques qui ornent les parois du transept et qui sont également traitées sur béton.
Thierry Bonté
Les deux architectes avaient la fibre commerciale et ont vite compris le parti qu’ils pouvaient tirer des décombres de la guerre. Un immense chantier s’ouvre à eux. Et grâce à leur succursale, ils vont reconstruire de nombreuses églises et Hôtels de ville de la Somme. Des monuments qui tranchent avec l’architecture religieuse classique et surprennent même les habitués.
Abbé Brunel
On ne peut pas dire que ce soit une grande réussite pour l’époque. Ça a été au moins un essai. Et je crois qu’on n’arrive à rien si on n’essaie pas au moins une fois.
Thierry Bonté
Eric Abadie, votre sentiment c’est quoi ?
Eric Abadie
Ça ne laissera pas un souvenir impérissable dans l’histoire de l’art. Mais comme disait l’abbé, chacun y trouve son compte.
Marcel Aranjo
Bon, je ne dis pas que c’est extraordinaire mais je leur trouve une certaine beauté et puis je les apprécie. Peut-être que les couleurs me conviennent aussi.
Thierry Bonté
Vous trouvez ça beau ?
Jean-Charles Cappronnier
Oui. Oui, c’est une architecture et un art que l’on redécouvre. Aujourd'hui encore, bon, de manière assez générale, le béton, le matériau béton n’est pas encore vraiment considéré comme une valeur patrimoniale au sens fort du terme.
Thierry Bonté
Et pourtant, l’église de Roye a été classée récemment monument historique. Les innovations d’après-guerre, les mouvements artistiques incarnant l’architecture nouvelle commencent donc à être reconnus. La Picardie compte un important patrimoine religieux de la période art déco. C’est étonnant, intéressant, et ça peut même être vraiment beau.