Les grottes du Chemin des Dames

septembre 1914
05m 43s
Réf. 00435

Notice

Résumé :

Visite des grottes du Chemin des Dames dans les des carrières du soissonnais en compagnie de Pierre Samin chargé de mission . Découverte d'un patrimoine unique au monde composé de sculptures, de bas-reliefs, œuvres des poilus de la Première Guerre mondiale enfermés dans ces galeries pendant plusieurs mois.

Type de média :
Date de diffusion :
17 octobre 1987
Date d'événement :
septembre 1914
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Dès 1914, les combattants tentent de tirer profit du terrain qu'ils occupent et utilisent, dans l'Oise et dans l'Aisne, les "creutes ", nom local des carrières souterraines. Celles-ci ont été creusées, depuis le Moyen Age, par des carriers afin d'y extraire la pierre calcaire servant à la construction. Exploitées selon la méthode des piliers tournés, qui consiste à laisser de place en place des piliers pour soutenir le ciel de carrière, les creutes, en majorité abandonnées ou réutilisées à d'autres fins en 1914, présentent des superficies très variables, de quelques ares à plusieurs hectares.

Dès les premiers combats, en septembre 1914, les carrières souterraines, dont certaines peuvent avoir jusqu'à 15 mètres d'épaisseur de recouvrement, servent d'abris aux combattants qui les considèrent comme des lieux sécurisants pour les bombardements. Ces creutes offrent aussi une protection contre le froid, puisque la température y est relativement constante.

Malgré les désagréments (forte humidité de l'air, présence de parasites et de rats, atmosphère mêlant les fumées aux odeurs d'excrément), les carrières font l'objet d'aménagements, qui transforment leur dédale de galeries en de véritables petites villes souterraines. Des dortoirs pour la troupe, des chambres pour les officiers, des cuisines, des postes de secours ou encore des postes de commandement sont construits dans les souterrains proches de la ligne de feu. Les cantonnements souterrains reproduisent en quelque sorte le fonctionnement de la caserne, avec des lieux spécifiques réservés aux différents services et activités. L'éclairage électrique, installé dans un grand nombre de galeries à partir de 1915, est très apprécié des combattants (1).

Avec l'occupation militaire, quantité de graffitis et inscriptions apparaissent sur les parois. De nombreux "soldats artistes" sculptent des bas-reliefs. Un bas-relief de grande taille, intitulé "De garde au balcon", réalisé dans les carrières du Noyonnais, représente le matériel nécessaire : une hache, servant sans doute de taillant, une pelle-pioche Seurre modèle 1906, outil portatif réglementaire des troupes françaises pendant la première guerre mondiale, un poinçon, une massette, un ciseau, une scie( 2). Un autre moyen d'expression est la gravure, souvent réalisée avec un outil de fortune (clou, canif...), et, occasionnellement, la peinture.

Un véritable art pariétal voit donc le jour, comme le montre ce reportage réalisé à la carrière de Confrécourt près de Vic-sur-Aisne.

L'iconographie révèle l'univers mental du soldat : hommage aux camarades, représentation de figures féminines, parfois érotiques, hommage au régiment (on voit dans le reportage le symbole de la compagnie des 1er Zouaves), hommage à la Patrie (la figure de Marianne sculptée à Confrécourt est montrée dans le reportage). De nombreuses carrières abritent de véritables petites chapelles, taillées dans la masse rocheuse, où les soldats peuvent trouver un réconfort moral et rendre hommage à leurs camarades tombés au combat. Le reportage montre la chapelle du père Doncoeur, un jésuite devenu aumonier militaire. L'autel fut sculpté par les 35e et 298e régiments d'infanterie en 1914. Il est écrit au-dessus une inscription patriotique : "Dieu protège la France". De la sanguine fut utilisée pour colorer les rayons du soleil entrant dans l'ornementation (3).

Ce patrimoine de la Grande Guerre resta longtemps dans l'oubli et fut de ce fait menacé de destruction. En 1983, à Confrécourt, des vandales tentent de découper le buste sculpté représentant Marianne. Un projet de préservation de ce patrimoine est alors soumis à la Jeune Chambre économique de Soissons. Une exposition est organisée en 1985 sur le thème du "soldat artiste". La nécessité de fonder une structure pour encadrer cette protection se concrétise par la naissance, en 1986, de l'Association pour l'Inventaire et la Préservation des Sites. Un an après le reportage, soit en 1988, la DRAC de Picardie décide de recenser le patrimoine gravé de cette période à l'occasion du 70e anniversaire de la fin de la Grande Guerre. La tâche se répartit en deux secteurs : le Chemin des Dames est confié au Comité du Tourisme de l'Aisne ; le Soissonnais ouest revient à l'AIPS, dont la dénomination courante devient Soissonnais 14-18. En 1990, les carrières de Confrécourt sont inscrites aux Monuments historiques(4).

.(1)Thierry Hardier, " Une guerre souterraine, creutes et tunnels du chemin des Dames" dans Nicolas Offenstadt (sous la direction de), Le chemin des Dames, Paris, Perrin, 2012, p. 155-161 et http://www.ecpad.fr/wp-content/uploads/2011/12/Les-carri%C3%A8res-dans-la-Grande-Guerre_Version-finale.pdf (consultation 23 juillet 2013).

(2) Hervé Vatel et Michel Boittiaux (sous la direction de), Le graffiti des tranchées, graffitis, sculptures et autres traces de la Grande Guerre, Association Soissonnais 14-18, 2008, p. 168.

(3) voir : http://souterrains.vestiges.free.fr/spip.php?article3 (consultation 23 juillet 2013).

(4) Hervé Vatel et Michel Boittiaux (sous la direction de), op. cit., p. 108-110.

Philippe Nivet

Transcription

Thierry Bonte
Bonjour. Voici une certaine Picardie profonde. Un patrimoine unique au monde que certainement peu d’entre vous connaissent. Un monde sous-terrain parsemé de grottes creusées par les carriers du XIXe siècle dans le calcaire du Laonnois ou du Soissonnais. Des grottes qui, bien entendu, servirent d’abri pendant toutes les guerres et singulièrement pendant la guerre 14-18 où les Poilus ont gravé leurs derniers mots d’espoir ou au contraire leurs mots d’adieu sur les murs de ces étranges cavernes. Il est plus qu’urgent, aujourd'hui, de parler de ce patrimoine méconnu, d’autant que très peu de choses ont été faites pour le protéger des vandales.
(Bruit)
Thierry Bonte
Pierre Samin, 51 ans, chargé de mission au Chemin-des-Dames pour le comité de tourisme de l’Aisne depuis 1980. Depuis plus de 10 ans, il arpente le fameux chemin et ses alentours à la découverte des grottes creusées par les carriers du XIXe siècle et abondamment décorées par les Poilus de la guerre 14-18. Longtemps resté dans l’oubli, l’on excepte l’intérêt qu'y ont porté les collectionneurs et des historiens locaux, cet aspect de la Première guerre est remonté à la surface voici peu de temps avec la découverte de l’étrange univers sous-terrain des soldats.
(Musique)
Thierry Bonte
Servant d’abri et de cantonnement à l’arrière des premières lignes, près de 200 grottes de taille très diverses ont été habitées dès 1914 par certains régiments. Afin de tromper l’ennui, de signaler leur passage à celui qui suivra, de tracer quelques mots d’espoir ou au contraire les derniers messages d’adieu avant d’aller saluer la mort en première ligne, bien des soldats vivant dans ces cavernes ont gravé leurs cris de façon naïve ou plus élaborée. Et ce ne se sont pas seulement des graffitis mais des sculptures en rond de bosse et même de véritables bas-reliefs.
(Musique)
Thierry Bonte
Un patrimoine unique au monde qu’une de nos équipes avait, pour la première fois visité voici 3 ans descendant dans certaines grottes du Chemin des Dames. Celle que nous parcourons aujourd'hui se trouve dans la région de Vic-sur-Aisne où les troupes d’élite, zouaves et chasseur à pieds, ont combattu au début du conflit et à la fin de la guerre. Hommes et mulets vivaient ensemble dans ces carrières, et les soldats avaient tout le loisir d’attendre le moment de monter à l’assaut. Ils pouvaient ainsi exercer leur imagination à tailler la pierre. Des insignes, des galons, des motifs d’inspiration plus fantaisistes et des gueules cassées et de véritables dalles funéraires en hommage aux camarades tombés là-haut. Une chapelle a même été construite tout au fond de la caverne.
(Musique)
Thierry Bonte
Hélas, ce patrimoine extraordinaire est menacé, aujourd'hui, de disparition. Malgré l’accès interdit, des curieux particulièrement bien informés ont, en effet, commencé à découper à la tronçonneuse certaines sculptures. Et les bas-reliefs que nous vous présentons ici ont d’ores et déjà été emportés par les malfaiteurs.
(Musique)
Thierry Bonte
Pierre Samin, il y a carrément des bas-reliefs qui sont découpés ?
Pierre Samin
Alors les bas-reliefs, c’est la sculpture, la sculpture en bas-relief qui est découpée.
Thierry Bonte
Comment ?
Pierre Samin
C’est découpé soit aux ciseaux. On en a un exemple, là, sous les yeux, près de nous. Ou alors, on a des interventions qui sont faites à la tronçonneuse, aux tronçonneuses à pierre. Il y a les dégradations, les destructions d’aménagements, des destructions d’aménagements et cantonnement dans l’espoir de trouver des souvenirs ou des vestiges derrière les murets ou à l’intérieur des constructions faites par les occupants, par les soldats.
Thierry Bonte
Ces blocs de pierre qui sont tronçonnés, est-ce que vous savez où ils sont vendus ?
Pierre Samin
De toute façon, c’est le marché de la collection. On prétend que les touristes allemands ou américains sont très amateurs de ce genre de bas-reliefs. Bon, il y a évidemment... il y a des collectionneurs de sculpture de 14-18 comme on trouve des collectionneurs de l’art religieux, les bois peints, etc. , qui disparaissaient des églises. Alors comme tout sujet de collection, il y a des réseaux, il y a un commerce parallèle, il y a des réseaux, des équipes de ramasseurs et puis des équipes de revendeurs avec la clientèle potentielle qui existe.
Thierry Bonte
A l’initiative de particuliers, une association a été mise en place dans le Soissonnais afin de valoriser et préserver ces cavernes qui présentent à la fois un intérêt historique et artistiquen un effort louable par rapport aux collectivités locales et à l’Etat qui, pour l’instant, n’ont rien fait. Seul, le ministère de la culture envisage pour l’an prochain un inventaire systématique de l’art rupestre des Poilus de la guerre 14. Le problème est cependant complexe : on ne peut mettre un policier en faction devant chaque entrée. Et que faire de ces sculptures ? Faut-il les découper pour les installer ailleurs ou aménager l’une des carrières en musée ? Autant de questions auxquelles il faudra rapidement répondre si on ne veut pas ajouter à la défaite du Chemin des Dames celle de la mémoire.