Clovis Trouille (1889-1975)

25 juin 2003
06m 25s
Réf. 00714

Notice

Résumé :

Portrait de Clovis Trouille, peintre picard né en 1889 à La Fère dans l'Aisne, mort en 1975. Thierry Bonté s'est rendu chez son petit fils qui conserve chez lui des toiles. A travers peintures et documents d'archives, il montre un peintre à la personnalité singulière, à l'œuvre étonnante qui a fait partie du mouvement surréaliste et a côtoyé tous les grands poètes et artistes du début du XXe siècle.

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Date de diffusion :
25 juin 2003
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Personnalité(s) :

Éclairage

Qu'est-ce qui fait que depuis la diffusion de cette émission en Juin 2003 quasiment aucun événement ne se soit produit dans la vie posthume du peintre Clovis Trouille originaire de La Fère dans l'Aisne ? Hormis une exposition intitulée "Voyous, voyants, voyeurs" préfacée par un texte de Michel Onfray et présentée au Musée d'Ostende (2002) puis au Musée de Picardie à Amiens (2007), puis à l'Isle Adam (demeure du petit-fils du peintre, son collectionneur) en 2009 avant de voyager à Laval (Octobre 2010-Janvier 2011), ainsi qu'un accrochage à la Halle Saint-Pierre dans le 18e arrondissement à Paris, entre 2011-2012 sous le titre "Hey ! modern art and anarchist pop-culture", aucune exposition d'envergure n'a été encore programmée. A-t-on peur du succès, du scandale, de la ruée des visiteurs ? A-t-on peur d'éclipser la gloire de Magritte à Bruxelles ou celle de Dali ? Ce fabricant d'images qui avait attiré l'attention de Breton en 1930 mais se méfiait d'aliéner son indépendance au surréalisme et avait refusé une exposition est assurément le peintre français le plus anti-conformiste du XXe siècle. Plus évidemment que tout, il a le tort d'être violemment (et plaisamment) anti-clérical et anti-militariste. Or l'art de ce grand iconoclaste, ce satiriste de choc prend sa naissance dans le plus abominable génocide mutuellement perpétré par les nations européennes, la guerre de 1914-1918. Clovis Trouille la vivra, la subira, ayant même droit à 7 ans de condition militaire (4+3) grâce à la loi de 3 ans votée en 1911 par le Parlement français. Il sortira de l'épreuve totalement traumatisé. De là cette confession émouvante rappelée dans le document diffusé "J'ai eu le traumatisme de la guerre qui me sépara de la peinture". Autant dire que Clovis Trouille qui reprendra son art dix ans seulement après l'armistice, ne se considère plus désormais comme un "vrai" peintre. Est-ce à dire qu'il se voit en pourvoyeur d'images ? À l'évidence il a décidé de combattre, avec ses armes, l'hypocrisie de la société. Donc il choque et il moque, par l'humour et le sexe essentiellement. Il fait éclater de rire le Christ en pleine cathédrale d'Amiens. Il met dessous et jarretelles aux évêques. Il lesbianise les religieuses qu'il fait s'échanger lascivement des baisers, il présente l'hostie du sexe féminin aux voyeurs que nous sommes, dans un décor de grandioses pompes mortuaires ( Mes funérailles ), il ose parler, preuves à l'appui, de l'Immenculée Conception. Telle une espèce de freudien dévergondé il voit le refoulement de la sexualité à l'origine du mal et pourfend joyeusement les prétentions de l'horrible ordre masculin par la beauté de la féminité. C'est le fruit, dit-il, de ses trente-cinq ans d'occupation en tant que maquilleur et retoucheur de mannequins, son gagne pain. "Il n'y a rien qui m'émeut plus que la beauté féminine" confie-t-il. Les cent vingt toiles de ce surréaliste cru et brut, en comparaison desquelles la prose de Breton a le parfum de l'eau de rose, finiront bien par rentrer un jour dans les Musées. Saluons ce grand Picard irrécupérable, Clovis Trouille !

Jacques Darras

Transcription

Thierry Bonté
Madame, Monsieur, bonsoir. Bienvenue dans Picardie Première. Nous sommes, ici, dans la maison de Clovis Trouille, quelque part entre Amiens et Paris, plus précisément dans la maison de ses descendants. Ils ont transformé cette maison en sorte de musée en hommage à Clovis Trouille, peintre picard né au petit village de Charnes, dans l’Aisne, en 1889, mort en 1975. Un peintre, vous allez le voir, à la personnalité singulière, à l’oeuvre étonnante, largement méconnue. On vous propose tout de suite de le découvrir.
(Bruit)
Thierry Bonté
Régulièrement, Henri Lambert sort de leur emballage les oeuvres cachées de son grand-père. Il les regarde pour lui seul ou les montre à quelques amis, manière de faire connaître à un cercle d’amateur des toiles qui restent dans l’ombre mais dont la réputation est assurée depuis longtemps par les gazettes spécialisées.
(Bruit)
Thierry Bonté
Attention, celle-ci est un chef-d’oeuvre. Dites, Henri Lambert, qu’est-ce que vous êtes en train de nous sortir ?
Henri Lambert
Je vous sors, des entrailles de la maison, les funérailles. Un tableau emblématique de l’oeuvre de Clovis Trouille.
Thierry Bonté
Que vous conservez dans un placard ?
Henri Lambert
Qu’on conserve dans un placard, oui. On ne peut pas le montrer aux enfants de moins de 75 ans. C’est pour ça, voyez-vous ?
Thierry Bonté
Beaucoup de tableaux étaient comme ça, conservés dans des placards auparavant ?
Henri Lambert
Tout à fait. Il y a encore 10 ans, il n’y avait aucun tableau de Clovis Trouille qui était accroché aux murs, ici.
Thierry Bonté
Et il reste encore bien des trésors dissimulés dans les armoires de la maison de famille. Des toiles majeures de Clovis Trouille, un artiste individualiste inclassable, à l’inspiration foncièrement érotique, et qui a longtemps fait scandale à chaque fois que ses peintures furent exposées en public.
Clovis Trouille
J’ai peint une peinture érotique parce que je peins ce que j’aime. Je peins ce qui me donne un choc, ce qui m’émeut. Et la beauté féminine, il n’y a rien qui m’émeuve plus davantage. Qu’est-ce qu’il y a de plus merveilleux à voir qu’une belle jeune fille ? Qu’une belle femme ? Qu’un nu féminin ?
Thierry Bonté
Natif de l’Aisne, Clovis Trouille montre rapidement des dispositions pour le dessin. Il fait ses études aux Beaux-arts d’Amiens où il commence à peindre des thèmes champêtres et un portrait d’enfant qu’il a toujours considéré comme son meilleur tableau.
Clovis Trouille
J’étais un grand peintre, à cette époque-là. Et que malheureusement, je n’égale plus cette époque-là parce que j’ai eu le dramatisme de la guerre, n’est-ce pas, qui m’a séparé de la peinture.
Thierry Bonté
La guerre 14 qui vient mettre un terme brutal à sa jeunesse. Traumatisé, Clovis Trouille ne se remettra à peindre que 10 ans plus tard, en révolte contre les pouvoirs établis (bourgeoisie, église ou armée). Le corps de la femme devient alors son thème vital, celui qu’il décline de façon tragi-comique dans l’ensemble de son oeuvre.
(Musique)
Thierry Bonté
La mise en scène de femmes dans des poses charnelles est l’occasion, pour Clovis Trouille, de critiquer la religion de façon très virulente. Il transforme le confessionnal en un lieu clos plein de fantasmes, montre un Christ plié de rires dans la nef de la cathédrale d’Amiens et fait poser une élégante près des fonds baptismaux. Il adore également montrer des nonnes dans des situations, disons, inhabituelles. Et le bouquet final, c’est ce baiser échangé dans la pénombre d’une chapelle. Il était donc assez naturel que notre artiste croise sur sa route les surréalistes et le premier d’entre eux, André Breton, qui inspecte, ici, un grain de beauté placé fort à propos.
(Musique)
Thierry Bonté
Il a bien fait partie du mouvement surréaliste ?
Clovis Prévost
Il a fait partie. Il est venu à des réunions, il a signé des tracts. Mais il était assez réservé quand même. Il est resté très indépendant. Comme il disait, « Ni dieu ni maître ». Il était farouchement individualiste.
Thierry Bonté
Notre peintre picard a côtoyé tous les autres grands poètes et artistes du début du XXe siècle. Apollinaire, Dali, Crevel,Reverdy, Picabia et bien d’autres. Quelques lettres témoignent de la relation contrariée que Clovis Trouille a entretenue avec le pape du surréalisme, André Breton.
Clovis Prévost
« Est-il possible d’exécuter le buste d’une personne vivante à un prix qui ne soit pas absolument prohibitif ? Croyez, cher monsieur, à mes sentiments les plus amicaux et dévoués ». André Breton.
Thierry Bonté
Clovis Trouille, homme solitaire et secret, était sans concession. Il accusa ainsi les surréalistes d’être finalement des petits bourgeois et d’avoir vendu leur art au capitalisme. Lui ne vendait quasiment rien. Pour vivre, il avait d’ailleurs un métier. Pendant 30 ans, il fut décorateur et maquilleur de mannequins de cire. Une activité qui a beaucoup inspiré sa peinture.
Clovis Trouille
C’était une expérience étonnante et absolument extrêmement intéressante pour moi au point de vue pictural, le maquillage des femmes. Et j’en ai tiré un grand parti dans la peinture de mes tableaux.
Thierry Bonté
Une fois son travail terminé, monsieur Trouille peignait le samedi et le dimanche, à son rythme, reprenant parfois certaines toiles sur plusieurs années. En tout 120 tableaux dont aucun n’a été racheté par un musée ou un établissement public. Alors toute l’oeuvre de ce peintre détonnant est encore dans la maison de famille. Des toiles sont accrochées ici et là, dans une salle de bain, un escalier, une chambre et au sous-sol où le petit-fils a aménagé une sorte de musée permanent.
(Silence)
Thierry Bonté
On peut découvrir, comme ça, l’oeuvre de votre grand-père dans la maison de votre maman. C’est tout de même assez curieux parce qu’on pourrait s’imaginer qu’effectivement, ça doit plutôt être dans un musée ou un lieu public, non ?
Petit-fils Trouille
Oui, c’est ce que je pense. Mais enfin, nous, nous ne sommes que les dépositaires de l’oeuvre de Clovis Trouille. La seule chose, le seul devoir que nous ayons, c’est effectivement de montrer cette oeuvre-là parce que c’est une oeuvre que je trouve, très forte. Je pense que Trouille est un des plus forts surréalistes du point de vue de la pensée.
Thierry Bonté
Un livre sur Clovis Trouille, actuellement épuisé, devrait bientôt être réédité. Et de temps à autre, une exposition lui est partiellement consacrée. Mais l’on aimerait qu’une rétrospective de son oeuvre soit organisée en Picardie. Car ses toiles restent, la plupart du temps, invisibles. Situation tout de même incroyable si l’on songe à l’influence du peintre surréaliste, ô combien original, désormais considéré comme une figure marquante de l’art du XXe siècle.
(Bruit)