Jean de La Fontaine et Château-Thierry

28 mai 2011
05m
Réf. 00736

Notice

Résumé :

Jean Paul Delance se rend sur les traces de Jean de La Fontaine dans sa ville natale Château-Thierry dans l'Aisne : l'église où il fut baptisé, la maison de sa naissance. Celle-ci est devenue un musée. Brigida Verstraete, coordinatrice des visite évoque la vie de La Fontaine dans la période où il résida dans la ville. Ses première fables sont publiées en 1668 et il devient un homme lettré reconnu. Cependant il n'a jamais renié ses origines et en retour sa ville natale le met à l'honneur : sa maison musée est restaurée. Le maire Jacques Krabal explique les projets de la ville. On a retenu de son œuvre ses fables inspirées de textes de l'Antiquité qui sont, nous explique Jean Claude Belin, professeur de lettres classiques, un critique de la société de l'époque.

Date de diffusion :
28 mai 2011
Source :

Éclairage

La maison natale de Jean de la Fontaine est un splendide hôtel particulier de style Renaissance construit en 1559, acheté par Charles de la Fontaine le père du poète lors de son mariage avec Françoise Pidoux, en 1616, maison où leur jeune fils né en 1621 passera presque toute son enfance avant d'hériter de la demeure qu'il cédera finalement en 1676 à son cousin Antoine Pintrel, gentilhomme de la grande vénerie du Roi. Deux cents ans plus tard, en 1876, cette maison sera transformée en Musée La Fontaine avant d'être rénovée par la ville en 2008. Le document qui nous la fait visiter a été diffusé en avril 2011. Si la maison natale du poète mérite cet intérêt, outre le fait de constituer un Musée intéressant, c'est aussi et surtout parce qu'il est loisible à l'imagination du visiteur, amoureux des Fables, qui y flânerait, de mesurer l'influence qu'elle dut avoir sur la formation du fabuliste. C'est une maison de notable, au cœur d'une petite ville traversée par un grand fleuve (la Marne) et étagée sur une colline couronnée d'un château-forteresse médiéval datant des époques mérovingiennes et carolingiennes (Thierry IV aurait donné son nom à Château-Thierry). Ici la royauté est bien assise, à mi-chemin de Paris et de la Meuse, dans une région limitrophe entre Île-de-France, Picardie et Champagne. Que la ville soit aujourd'hui devenue picarde par la grâce de la régionalisation ne doit pas faire oublier sa position originale de Duché. Lorsque la nièce de Mazarin, Marie Mancini épouse le seigneur des lieux en 1662 elle devient ainsi Duchesse de Bouillon. Dominer la Marne à deux cents mètres de haut et à quatre-vingt kilomètres de Paris n'étant pas propre à divertir les journées d'une jeune femme, la Duchesse s'intéresse très vite aux talents locaux et donc à La Fontaine, dont elle facilitera l'entrée à la Cour. Ce dernier, alors âgé de 42 ans, semble encore très attaché à sa province et à sa ville où il a connu une enfance heureuse, une adolescence oisive à peine interrompue par un séjour à la maison de l'Oratoire, rue Saint Honoré à Paris en compagnie de son frère Claude, aux fins d'embrasser une vocation religieuse vite avortée. Il y a de toute évidence une nonchalance chez le poète, une lenteur qui n'exclut pas une ambition littéraire forte. La charge de Maître des Eaux et Forêts qu'il a acquise en 1652, à la suite de son père et d'études de droit, le maintient au contact de ses forêts natales et des contes entendus dans la petite enfance. Bref la Nature, le monde des fermes et des fermiers, la proximité aux animaux domestiques ou sauvages semblent bien plus imprégner sa curiosité et son imagination que le monde des courtisans. Ses Fables, qu'il publie en trois livraisons (1668,1678,1694) ne sont pas seulement un salut fait aux modèles latins ou grecs (Phèdre, Ésope, Térence, Ovide) ni un chef d'œuvre d'habileté prosodique et narrative, où prédomine la fluidité orale et la justesse d'oreille, ce sont surtout des témoignages de tendresse envers les humbles, les paysans, autant que des satires violentes des mœurs nobiliaires ou royales. S'il est vrai qu'en 1793 Château-Thierry deviendra brièvement Égalité-sur-Marne avant de reprendre son nom, cela ne se fera cependant pas pour saluer l'esprit pré-révolutionnaire du fabuliste. La Fontaine demeure en effet un esprit classique, candidat élu à l'Académie Française en 1683, quoique intronisé uniquement après l'élection de Boileau l'année suivante. Cet ancien ami de l'Intendant Fouquet, qu'il suivra à Limoges dans sa disgrâce en 1661, se tiendra toujours à distance de Versailles, préférant fréquenter les salons de sa protectrice Madame de la Sablière, dans le Marais (jusqu'à la mort de cette dernière en 1693) voire frayer avec les Libertins. Sensuel, licencieux et janséniste tout à la fois, telles sont les tendances contradictoires du personnage. Son génie est d'avoir su les dépasser pour traverser l'un des règnes les plus violents et les plus autoritaires de l'Histoire de France avec un calme moqueur, un épicurisme critique, une distance moqueuse qu'on pourra qualifier au choix de champenoise ou de picarde.

Jacques Darras

Transcription

Jean-Paul Delance
On dit parfois que les journalistes racontent des fables. Alors j’ai voulu revenir à l’original. Bienvenue dans la maison natale de Jean de La Fontaine à Château-Thierry. Si l’on ignore sa date réelle de naissance, au moins connait-on celle de son baptême. C’est donc le 8 juillet 1621 que le petit Jean entre officiellement dans l’histoire. Château-Thierry est, à l’époque, une petite ville de 3000 habitants, chef-lieu d’un duché et siège d’un tribunal et d’un baillage. Son père est maître des eaux et forêts et conseiller du roi. Après une enfance heureuse dans sa ville natale, il part à Paris faire ses classes supérieures. Il envisage, un temps, de rentrer dans les ordres, mais très vite, retourne chez son père pour mener une vie facile et frivole.
Brigida Verstraete
Il fréquentait vraiment les jeunes filles de Château-Thierry. Il était souvent à l’auberge du Cadran pour rencontrer ses copains, ses copines, pour jouer aux cartes, pour boire un verre. Et donc, il avait une belle vie, ici, à Château-Thierry. Un jeune homme issu d’une belle famille fortunée.
Jean-Paul Delance
Son père tente de calmer les ardeurs de son fils en organisant son mariage avec Marie Héricart, une fille de bonne famille de la Ferté-Milon. De cette époque date la première publication de notre auteur : une comédie en vers intitulée l’Eunuque. Il fait bientôt la connaissance de la duchesse de Bouillon, épouse du seigneur du Château-Thierry. Elle est la nièce de Mazarin. C’est grâce à elle qu’il est introduit à la cour. En 1668, publication du premier recueil de Fables. Le succès est immédiat. Parallèlement, il écrit des romans mais également des contes licencieux vite appréciés. Il côtoie alors les plus brillants esprits de son temps comme Racine, Boileau ou Molière. En 1684, il est élu à l’Académie Française et meurt à Paris le 13 avril 1695, quelques mois après avoir publié son troisième et dernier livre de Fables. Tout au long de sa vie, Jean de La Fontaine n’a jamais renié son passé. Bien au contraire, il a toujours revendiqué ses origines champenoises. Aujourd'hui, juste retour des choses. Sa ville natale souhaite, plus que jamais, mettre à l’honneur l’enfant du pays. La maison musée fait l’objet d’une restauration complète. L’extérieur à peine achevé, c’est l’intérieur qui va être entièrement réaménagé.
(Musique)
Jacques Krabal
Quand on a un ambassadeur du niveau de Jean de La Fontaine, il doit rayonner dans sa ville. Ce rayonnement passe par la réhabilitation complète, la rénovation du musée mais aussi le mettre au coeur de la ville. C’est pourquoi nous avons un projet global autour de l’oeuvre, autour du musée. Mais mettre sa statue au centre de la ville afin que tous les visiteurs, que nous souhaitons de plus en plus nombreux, ne puissent pas ignorer un seul instant que Château-Thierry a accueilli Jean de La Fontaine. Château-Thierry est la ville natale de Jean de La Fontaine. Même les castelthéodoriciens ne le savent pas. Donc nous voulons que ça, ça puisse ne plus exister.
Jean-Paul Delance
Les jugements de l’histoire sont parfois cruels. Jean de La Fontaine rêvait d’être un dramaturge reconnu. Hélas, ses comédies ne recueilleront qu’un succès éphémère. Ses poèmes ne lui survivront guère. Pour le grand public, il reste l’auteur de fables merveilleuses souvent moins innocentes qu’il n’y paraît. Est-ce que la fable, c’est une façon déguisée de critiquer la société de l’époque ?
Jean-Claude Belin
C’est une critique déguisée de la société, mais c’est plus généralement, finalement, un regard porté sur l’homme, sur la façon dont l’homme se conduit.
Jean-Paul Delance
Mais est-ce que les gens, les contemporains de La Fontaine, comprennent le sens caché de ces fables qui font intervenir des animaux ?
Jean-Claude Belin
Bien sûr. D’ailleurs, de toute façon, il le dit : « Je me sers d’animaux pour dépeindre les hommes ». C’est dit dès le départ. Donc il n’y a aucun doute là-dessus. D’ailleurs, les morales le disent bien.
Jean-Paul Delance
Au XVIIe siècle, quelle est la place de la fable dans l’histoire de la littérature.
Jean-Claude Belin
La fable va obtenir très vite quand même un certain cachet. Les contes de La Fontaine ont été aussi très importants. Mais bon, ils sont licencieux, donc c’est quand même quelque chose qui est difficile à passer. Il les reniera, d’ailleurs, à la fin de sa vie. Tandis que la fable va devenir, n’est-ce pas, véritablement quelque chose de très important.
Jean-Paul Delance
Est-ce que c’est dire du mal de La Fontaine que de dire qu’il n’a pas créé ses fables, il a souvent repris des fables qui existaient déjà dans l’Antiquité ?
Jean-Claude Belin
Il le dit : « Je chante les héros dont Esope est le père ». Il le dit. Il ne s’en cache pas pratiquement. Donc il y a des fables qui sont, presque toutes, finalement d’inspiration d’Esope, de Phèdre.
Jean-Paul Delance
Quelle est la part d’originalité dans la traduction de La Fontaine, de ces fables antiques ?
Jean-Claude Belin
Je crois que c’est la façon de raconter, la façon dont il conte et qui est véritablement… qui fait le sel de la fable. La Fontaine, c’est un conteur extraordinaire. C’est quelqu’un qui sait… Les fables, même très courtes, c’est un enchantement. Il joue sur la longueur des vers, par exemple. Vous voyez, par exemple, « La cigale ayant chanté, tout l’été », un vers beaucoup plus court. C’est formidable. C’est quelque chose qu’on ne retrouve, je ne sais pas, pratiquement nulle part ailleurs.