Le Gers, terre de migrations

Le Gers, terre de migrations

Par Laure Teulières, Maîtresse de conférences en histoire contemporainePublication : 14 sept. 2021

# Présentation

Durant le XXe siècle, l’immigration qui constitue une contribution importante à la société française a aussi touché le territoire du Gers. Si ce phénomène est généralement associé aux cités industrielles et plus généralement aux villes, on voit dans ce département rural combien il a pu également concerner les campagnes.

     

# Immigration massive de l’entre-deux-guerres

Les années 1920 marquent le Gers d’un apport migratoire de masse tout à fait exceptionnel. Les causes profondes sont démographiques et économiques. Car comme l’exprime, avec emphase, le bulletin de la Société historique du Gers, « le fléau de la dépopulation exerce en Gascogne des ravages plus étendus que partout ailleurs dans le monde »[1]. Le département a perdu près de 37 % de ses habitants entre 1851 et 1921, soit 113 000 personnes en soixante-dix ans ; le phénomène est amplifié dans les cantons ruraux, certains amoindris de presque la moitié de leur population : Lectoure (- 44 %), Saint-Clar (- 49 %), Vic-Fezensac (- 41 %), Cologne (- 45 %)… Cet affaiblissement démographique vient de loin, résultat de l’exode rural et de l’effondrement de la natalité, dont le taux annuel est tombé  dans le Gers en 1911 à 12 naissances pour 1 000 habitants, contre encore 19 ‰ au plan national.

La situation devient critique au sortir la Première Guerre mondiale qui a fauché 10 % des actifs, soit plus de 7 000 Gersois, jeunes campagnards surtout. Dans le département, une enquête de 1922 indique plus de 2 500 fermes ou métairies vacantes faute de cultivateurs ; il n’y a que 18 000 salariés agricoles, contre trois fois plus quelques décennies plus tôt. Comme dans le reste du bassin de la Garonne, cette situation rend l’immigration nécessaire. Jusque là, ces terres méridionales connaissaient la présence de migrants espagnols, aragonais surtout, saisonniers pour certains, installés à demeure pour d’autres, formant par exemple à Auch une « petite Espagne » aux quartiers de Saint-Pierre et de Boubée.

En 1921, les 4 635 étrangers (dont déjà 45 % de femmes) ne représentent encore que 2,4 % de la population du Gers. Les Espagnols sont ultra prépondérants (87 %), puis les Belges 5 %, Suisses 2 %, Italiens 1,8 %… Les institutions locales (Conseil général, Comité de retour à la terre…) vont soutenir le recours aux étrangers. C’est finalement en provenance d’Italie du Nord qu’un flux massif va s’installer. Le Bureau de la main d’oeuvre d’Auch et l’Office agricole jouent un rôle pionnier pour prospecter et faire venir des candidats à l’émigration, d’autres arriveront ensuite spontanément parce que le Sud-Ouest leur offre des terres et un avenir. Le département accueille un flux très intense entre 1924 et 1926.

Les arrivées se poursuivent ensuite – même si de façon plus modérée –, y compris durant la décennie 1930 où la crise provoque un mouvement inverse dans les départements plus industriels qui voient eux leur population étrangère baisser. Plus qu’ouvriers agricoles, les Italiens s’installent exploitants : métayers, fermiers, voire propriétaires, en particulier dans le Condomois. En 1929, les étrangers tiennent 26 % des métairies (908 sur 3 412) du département[2]. En quelques années, cette immigration marque donc de façon décisive le secteur agricole et la vie rurale. Les recensements mesurent la transformation produite. Entre 1921 et 1936, le nombre d’étrangers quadruple dans le Gers (de 4 635 à 19 639), atteignant 10,2 % de la population. Les Italiens sont désormais prépondérants à 68,7 %, devant les Espagnols 17,4 %, Polonais 4,5 %, Belges 1,8 %, Suisses 1,6 %… Parmi les actifs (des deux sexes) les étrangers sont passés en proportion de 2,1 % en 1921 à 11 % en 1936, à 83 % agriculture-forêt, 15,7 % industrie de transformation (surtout masculin), 3 % domesticité (tout féminin), 2 % commerce…

À la fin de la guerre d’Espagne, la Retirada début 1939 pousse brutalement un demi-million d’exilés républicains  en France, dont environ la moitié y restera. Après la période des camps, leur dissémination progressive dans la région touche aussi le Gers. Durant l’Occupation, leur contribution est forte dans les maquis du département où les guérilleros espagnols comptent plus de 500 hommes en juin 1944, pour près de 800 francs-tireurs et partisans. Ces immigrations d’avant-guerre sont évoquées dans deux reportages bien postérieurs, à travers les témoignages de descendants et selon une perspective mémorielle.

[1] J. Duffour, « Démographie et dépopulation dans le Gers », Revue de Gascogne, 1914, tome XIV, p. 193-216.
[2] R. Brunet, Les campagnes toulousaines. Etude géographique, Toulouse, Publ. de la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de Toulouse, 1965, p. 419.

# Moins d’étrangers mais de nouveaux flux durant les Trente Glorieuses

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la présence des étrangers atteint son pic dans le département : 23 770 en 1946, soit 12,5 % de la population, dont 43 % de femmes ; et parmi les actifs (des deux sexes) une proportion record de 13,2 % étrangers, dont 36,3 % de femmes.

En France, la période dite des Trente Glorieuses connaît un nouveau boom de l’immigration pour accompagner la croissance économique, les travailleurs immigrés étant les soutiers de la modernisation de la société. Dans le Gers, pourtant, entre 1946 et 1968 le nombre d’étrangers baisse de moitié (de 23 779 à 10 504), tombant en proportion de 12,5 % à 5,8 % de la population présente. Ces chiffres s’expliquent par le nombre croissant de naturalisations parmi les migrants arrivés avant-guerre et le mouvement naturel de décès d’une partie d’entre eux.

Ainsi, sous l’angle statistique, la population gersoise reste surtout marquée par le poids des vagues migratoires anciennes, d’autant que l’immigration transalpine reprend  jusqu’au début des années 1950, à partir des mêmes réseaux, origines et modes d’insertion. Au total, en prenant en compte les naturalisés et les descendants français, l’apport italien est considérable. Durant cette période, comme l’ensemble du Midi, le Gers voit aussi s’implanter des rapatriés d’Afrique du Nord, d’Algérie surtout au terme de la guerre de décolonisation et des accords d’Evian (exode majeur de mai-juin 1962).

Des Espagnols passent à nouveau les Pyrénées au temps du franquisme, ainsi désormais que des Portugais dont l’émigration est alors très intense vers la France. Dans le Gers, ils n’étaient que 200 en 1946 (0,8 % des étrangers), mais 1 475 en 1975 (15,6 %). Malgré le contrôle exercé par le régime Salazar, ils quittent des zones rurales au nord et à l’est de leur pays. Leur implantation géographique dépend des opportunités de travail ainsi que de l’attitude des autorités préfectorales des différents départements à l’égard des demandes de régularisation car beaucoup sont arrivés sans papiers. Ils sont essentiellement travailleurs du bâtiment, ouvriers spécialisés en usines, et dans le Gers rural souvent ouvriers agricoles ou forestiers.

Des Maghrébins apparaissent également, mais ce courant migratoire est ici (136 Algériens en 1968, seulement 1,3 % des étrangers présents) très anecdotique par rapport à la dynamique qui s’observe ailleurs.

# Des profils renouvelés depuis la fin du XXe siècle

Les années 1970 marquent un tournant. Après le « choc pétrolier », la France s’installe dans « la crise » et un chômage structurel. En 1974, le gouvernement interrompt l’immigration de travailleurs, le regroupement familial se poursuivra comme voie d’entrée, ainsi que la demande d’asile.

Dans le Gers le poids des vagues migratoires passées demeure considérable. Le nombre d’étrangers continue d’y diminuer dans le dernier quart du XXe siècle, passant entre 1975 et 1999 de 9420 à 6035, soit en proportion de 5,4 % à 3,5 % de la population. En 1982, le nombre de Français par acquisition (7632) devient supérieur à celui des étrangers (7444), tendance qui s’amplifie ensuite. Les Italiens (34 %) devancent toujours les Espagnols (22,5 %), Portugais (14,9 %), Marocains (9,3 %), Algériens (3,8 %)…. Si les étrangers  (hommes et femmes) sont de moins en moins nombreux, leurs secteurs d'activité se diversifient : alors à 38 % dans l’agriculture-forêt, 22,4 % les BTP, 14 % les industries, 10 % les services marchands…

Les immigrés, dont beaucoup se sont donc fait naturaliser, constituent une population vieillissante, de plus en plus féminisée du fait de l’écart d’espérance de vie entre les sexes. Les nouveaux venus du Maghreb sont d’abord Marocains parce que surtout salariés agricoles (les Algériens travaillant plutôt dans les sites urbains ou industriels), ce qui se renforcera dans les années 1990. Contrairement à la dynamique nationale, l’immigration dans ce territoire se mondialise peu au-delà : les migrants d’Afrique subsaharienne, d’Asie ou de Turquie demeurent rares, même s’il y a bien sûr des parcours singuliers et une diversité qui s’installe mais sur de petits effectifs.

La structure démographique porte l’empreinte de l’histoire migratoire passée et de sa recomposition récente : en 1999, c'est dans le Gers que la part des retraités dans la population immigrée (plus de 40 %) est la plus élevée de Midi-Pyrénées.

Dans les dernières décennies du XXe siècle, l’élargissement et l’approfondissement de l’Union européenne établissent un nouveau contexte pour ces étrangers, majoritairement européens, qui se retrouvent désormais « ressortissants communautaires » avec bientôt pleine liberté de circuler et de s’établir. Comme d’autres territoires de l’Ouest de la France, le Gers accueille un nouveau flux résidentiel : une immigration plutôt aisée d’actifs (par exemple professions indépendantes ou cadres européens travaillant dans l’agglomération toulousaine) ou inactifs, des retraités, surtout des Britanniques qui apprécient l’agrément de ses campagnes.

La destination gersoise bénéficie d’ailleurs de l’ouverture en 2003 d’une ligne aérienne entre Londres et Pau par la compagnie Ryanair. Beaucoup investissent dans des demeures traditionnelles à rénover, jusqu’à posséder la moitié des résidences secondaires du département. La dépréciation de la livre sterling par rapport à l'euro (faisant fondre le pouvoir d’achat des retraités) et la crise financière de 2008 affecteront le mouvement qui se poursuivra pourtant, jusqu’à ce que le vote du Brexit en juin 2016 ouvre une nouvelle page...

# Conclusion

Ce panorama montre combien l’immigration a été importante dans le Gers, tout en s’y développant selon des rythmes et des caractéristiques propres, parfois éloignées des tendances observables à l’échelle nationale durant les mêmes périodes.  Les documents disponibles dans les archives de l’INA permettent d’entrevoir cette réalité à condition de relativiser l’importance historique respective des différents flux ainsi évoqués, et bien sûr de compléter les angles morts de ces sources audiovisuelles.

# Bibliographie

  • Laure Teulières, Histoire des immigrations en Midi-Pyrénées, XIXe-XXe siècles, Portet-sur-Garonne, Loubatières, 2010.
  • Laure Teulières, Immigrés d'Italie et paysans de France (1920-1944), Toulouse, PUM, 2012.