Les gorges de l'Ardèche, une réserve naturelle

08 mai 1980
10m 02s
Réf. 00004

Notice

Résumé :

Les gorges de l'Ardèche viennent d'être classées réserve naturelle. Les opinions sur cette décision divergent. Certains pensent que c'est une protection du site, pour d'autres cela entraîne un afflux de touristes et de nombreux problèmes au niveau des droits de propriété.

Type de média :
Date de diffusion :
08 mai 1980
Source :

Éclairage

La réserve naturelle des gorges de l'Ardèche, rivière qui a donné son nom au département qu'elle arrose, est située au sud-est de la région Rhône-Alpes. Sur son cours inférieur, l'Ardèche a creusé un plateau calcaire et formé un canyon de trente kilomètres de méandres plus ou moins resserrés entre les communes de Vallon-Pont-d'Arc et Saint-Martin-d'Ardèche : ce sont les gorges de l'Ardèche, célèbres pour le site exceptionnel du Pont d'Arc, où le cours d'eau a pénétré la roche et formé une arche de calcaire de 60 mètres de haut sous laquelle la rivière s'écoule. Les gorges, les versants et les plateaux qui les bordent constituent une destination de loisirs et de tourisme aux intérêts multiples, particulièrement sportifs. D'anciennes voies de communication et des sentiers nouveaux sont peu à peu ouverts à la randonnée ; relativement calme, la rivière présente des rapides qui attirent les amateurs de canoë, de kayak et de rafting. De nombreuses galeries et rivières souterraines ont formé des gouffres (avens) et des grottes qui comblent les spéléologues, certaines d'entre elles sont équipées et ouvertes à la visite (aven Marzal, aven d'Orgnac, grotte de la Madeleine...). L'existence de grottes ornées datant du Paléolithique témoigne de l'implantation précoce de l'homme sur ce territoire ; en 1994, la découverte de la grotte Chauvet, située sur la commune de Vallon-Pont-d'Arc, rare témoignage d'art pariétal du Paléolithique supérieur, et l'ouverture de sa reconstitution ont contribué à renforcer l'attractivité des gorges.

Unique en France, le site du Pont d'Arc est popularisé par des gravures dès le XVIIIe siècle, cependant l'isolement des gorges, à l'écart des voies de communication, la difficile accessibilité des villages, longtemps reliés entre eux par des chemins muletiers ou par la rivière expliquent l' « invention » tardive du site. Le développement des loisirs et de la pratique sportive de masse, pendant les Trente Glorieuses, ont provoqué l'exploitation du site, marqué par l'ouverture d'une route sur la rive droite, en 1960, et l'aménagement de belvédères. Tout au long des années 1960 et 1970 la fréquentation a décuplé, l'équipement des gorges s'est orienté vers le tourisme de masse (« tourisme industriel » dit l'un des interviewés de l'émission) essentiellement saisonnier : ouverture de campings, locations d'embarcations, organisation des « descentes », multiplication de commerces, plus récemment équipement des parois pour l'escalade, saut à l'élastique... devenu ressource essentielle des populations locales mais aboutissant à une sur-exploitation. La surfréquentation et ses impacts sur l'environnement ont motivé la mise en place d'une protection : le 14 janvier 1980 a été créée par décret la réserve nationale des gorges de l'Ardèche sur 1 575 hectares et huit communes (six en Ardèche et deux dans le Gard).

Le classement en réserve naturelle interdit théoriquement toute destruction et toute modification du milieu. Cependant, le règlement intérieur de la réserve nationale des gorges de l'Ardèche, élaboré et validé en 2001, après le tournage de l'émission de FR3, concerne seulement les activités de pleine nature, plus précisément les modalités de circulation des embarcations, d'accès aux grottes et cavités et de la pratique de l'escalade. La protection de l'écosystème, de la faune et de la flore est gérée par des contrats Natura 2000 dans le cadre du réseau de protection initié par l'Union européenne. L'émission « Objectif », tournée cinq mois après la création de la réserve, donne la parole aux habitants et aux acteurs : elle souligne la perplexité, voire l'hostilité suscitées par la réserve qui, au-delà d'une confrontation entre le local et l'État centralisé, peuvent être attribuées au manque d'information, à une coordination insuffisante, à une interprétation opportuniste des mesures de protection. Si les rapports sociaux décrits par l'émission peuvent aujourd'hui paraître caricaturaux (chasseurs vs écologistes, sentiment de dépossession, illégitimité de l'intervention de l'État...), elle restitue pourtant fidèlement le contexte ardéchois de la fin du XXe siècle.

Voir le site des gorges.

Florence Charpigny

Transcription

Journaliste
Il sont nombreux les Rhône-Alpins à connaître ces sites grandioses et sauvages des Gorges de l’Ardèche. Quantité de Français et d’étrangers les apprécient également en période estivale. A l’initiative du préfet du département, Monsieur Rouanet, le gouvernement après avis du Conseil d’état décidait par décret du 18 janvier dernier de la création en réserve naturelle de ces gorges. Comment la décision a-t-elle été comprise ? Comment est-elle accueillie ? C’est ce que nous avons voulu savoir sur place.
Intervenant 1
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? En général les personnes dans le coin, on vous dit une chose et puis on vous dit une autre chose etc. Et on y comprend absolument rien. On ne sait absolument pas ce que ça peut apporter. Il y en a qui vous disent, ça permettra de construire un peu en dehors, d’introduire ça. Ça permettra de ne pas donner la possibilité aux promoteurs de construire. D’autres vous disent carrément le contraire selon à qui on s’adresse, selon l’administration, si on s’adresse aux commerçants, à des promoteurs, à des paysans.
Journaliste
Et en conclusion, c’est bon ou c’est pas bon ?
Intervenant 1
Je ne vois pas bien ce que ça changera. Je ne vois pas du tout ce que ça changera. On vous dit que la chasse est autorisée. Puis on vous dit qu’elle est interdite. On vous dit qu’on peut chasser le sanglier, qu’on ne fera pas de bruit parce qu’on les tuera avec des balles, je sais pas avec quel genre de cartouche mais il ne faut pas déranger la faune et la flore du coin. Puis surtout que la faune et la flore, qu’est ce qu’il y a? Alors là! Vous avez vu quelque chose, vous ? En vous promenant?
(Musique)
Journaliste
Dans l’environnement immédiat du site, plusieurs communes sont directement concernées. A l’annonce du projet, voici près de deux ans, des positions très diverses se sont manifestées. A Bidon, petit village de cinquante-deux habitants et trois fois plus l’été, le maire écologiste est, lui, satisfait de la décision.
André Vermorel
Cette réserve nous assure tout de même une certaine protection du site des Gorges. Protection minime il est vrai puisque l’ensemble des Gorges de l’Ardèche représente 4 000 ha et que seulement 1 500 sont inclus dans cette réserve. Mais sur le plan immobilier par exemple nous sommes à peu près tranquilles. On ne va pas voir de Marina au fond des Gorges de l’Ardèche ni à sa périphérie immédiate. Sur Bidon, nous avons entrepris une procédure de classement qu’on appelle une ZEP. C'est-à-dire une Zone d’Environnement Protégé qui est un petit peu plus souple en milieu rural, un tout petit peu plus souple qu'un POS. Et dans cette ZEP, nous allons inclure à peu près un tiers de la commune en protection intégrale du site. Et cette zone donc protection intégrale sera tangente, disons, à la rivière de l’Ardèche.
Henri Rouanet
Il fallait promouvoir en périphérie, une action d’aménagement par le truchement d’un plan d’aménagement rural ou éventuellement d’une Zone d’Environnement Protégé. Nous sommes particulièrement ouverts à un dialogue avec les collectivités locales dans ce domaine, car effectivement on ne peut pas tout à la fois imposer des contraintes quant au stationnement et quant au séjour dans les Gorges et ne pas prévoir sur la périphérie, des aires d’accueil et de séjour.
Monsieur Despesse
Pour nous au niveau du comité du tourisme, c’est là qu’est maintenant le véritable problème. Il s’agit un petit peu de sortir de ce trou des Gorges de l’Ardèche et de voir véritablement ce qu’il risque de se passer. Et l’important pour nous, c’est de savoir quel type de tourisme on va faire autour des Gorges de l’Ardèche. Et pour ça va-t-on protéger par exemple l’espace qui est situé entre les Gorges de l’Ardèche et les communes? Et deuxième question, est-ce que les communes se donneront des moyens fonciers permettant de protéger cette espace pour orienter le flux touristique vers leurs communes et pour pratiquer une politique du tourisme intelligente?
(Musique)
Journaliste
Incontestablement dans l’esprit du législateur, la protection des Gorges doit stopper ce que l’on appelle ici des velléités de promotion immobilière plus ou moins avouées.
(Musique)
Journaliste
Dans le parcours des Gorges, il y a des constructions. Elles existent depuis longtemps, notamment des infrastructures de camping. Les propriétaires sont groupés en un syndicat dont le président exprime leur mécontentement.
Monsieur Loir
Nous sommes d’accord sur le fond de la préservation des Gorges. Là où nous sommes un petit peu méfiants, c’est sur le décret d’application qui dans certains domaines et certains chapitres touche au droit de propriété. Et c’est dans ce sens que nous allons disons attaquer un recours en Conseil d’état.
Journaliste
Et comment vous vous sentez? Frustrés ?
Monsieur Loir
Eh bien, nous nous sentons frustrés. Un propriétaire n’est plus propriétaire disons de son terrain, de séjourner, de faire ce qu’il veut chez lui.
Journaliste
Pour en faire quoi ?
Monsieur Loir
Pour en faire quoi ? Eh bien à savoir disons que si nous voulons bivouaquer le soir, nous ne pouvons plus bivouaquer. Si nous voulons venir pique-niquer avec la famille et passer la nuit sans camping ni rien, on ne peut plus. Il faut demander l’autorisation pour couper le bois. En un mot, on n’est plus propriétaire chez soi.
Journaliste
Pas de construction ?
Monsieur Loir
Nous sommes d’accord sur une non-construction. L’ensemble du syndicat des propriétaires a toujours été d’accord dans ce périmètre.
Henri Rouanet
Cette réserve est un compromis entre la protection de la nature et le respect de certaines activités économiques existantes. Entre les terrains de camping qui sont autorisés et les aires de bivouac qui sont prévues, 1 200 places de campeurs seront autorisées dans les Gorges. Par conséquent, il y a incontestablement pour les propriétaires qui ont déjà fait des investissements, la possibilité d’en poursuivre l’exploitation. Les contraintes ne s’imposent que pour ceux qui pour le moment effectivement n’avaient pris aucune initiative. Mais c’est le prix de la sauvegarde du patrimoine naturel.
(Musique)
Journaliste
Avec aussi, la protection du site de l’environnement, il y a la sauvegarde des espèces animales et notamment des oiseaux, rapaces en particulier. Avant que la création de la réserve ne soit promulguée, on agissait dans ce sens à Bidon.
(Musique)
André Vermorel
Vous savez que nous avons de nombreux rapaces dans les Gorges qui vivent en permanence ou qui viennent nidifier au printemps. Et pour cela en particulier pour les percnoptères qui sont en voie de disparition, nous avons instauré sur la commune depuis déjà deux ans, une aire de nourrissement de ces rapaces. Sous contrôle vétérinaire, nous apportons régulièrement des animaux morts donc pour nourrir ces rapaces et pour essayer de les fixer dans la région au moment de la nidification.
(Bruit)
Journaliste
Lorsque l’on parle de faune, on pense à la chasse dont on sait qu’elle est très prisée dans ces régions. Le décret du 18 janvier n’apporte pas de restriction notable. Cependant, l’avis des chasseurs est tout autre.
Monsieur Loir
Nous ne sommes pas d’accord parce que apparemment la chasse… des chasses banales, demain la chasse au sanglier peut elle aussi être supprimée. En définitive on aura perdu 2 000 ou 3 000 ha, disons, de chasse.
Journaliste
Mais dans les Gorges il y a des espèces et notamment des oiseaux qui se doivent d’être préservées. Alors peut être serait-ils troublés par certaines chasses ?
Monsieur Loir
Nous ne le pensons pas. Nous ne le pensons pas parce que le contexte des Gorges de l’Ardèche n’est ni plus ni moins que les 10 ou 20 000 ha qui l’environnent. Donc en définitive, il y a quelques espèces à protéger. Nous en sommes conscients, parfaitement conscients. Mais aussi il y a tout le gibier de migration que nous perdons.
Henri Rouanet
Alors que la logique d’une réserve naturelle aurait voulu que l’on interdise tout simplement la chasse comme la pêche, la pêche est autorisée et la chasse l’est également en ce qui concerne le sanglier. Et je relève au passage que voici quelques mois encore on m'assurait que le sanglier était le seul gibier que l’on chassait dans ces lieux.
(Musique)
Journaliste
On le voit. Les avis sont dissonants. Peut-être y a-t-il encore un supplément d’information à fournir permettant d’interpréter plus largement un style rigide de rédaction d’un décret.
(Musique)
Journaliste
Protection de la faune, mais aussi de la flore et là le texte est très clair. Il est interdit de couper, arracher, mutiler ou enlever les végétaux non cultivés, exception faite pour les propriétaires ou leurs ayants-droits. Ce sont là des mesures positives pour le maintien du site, dont l’équilibre dépend également de sa propreté.
(Musique)
Monsieur Lefol
Je suis à même de penser que ce qui a été fait il y a quelques années en arrière c’est-à-dire pour promouvoir un tourisme industriel, a provoqué disons la construction de la route et tout ça et maintenant on essaie de revenir en arrière. Alors en tant que commun des mortels, si vous voulez, je me pose la question : pourquoi a-t-on promu si loin un tourisme industriel et maintenant qu’on veut protéger. La préservation ça peut quand même apporter quelque chose, c'est-à-dire que ça peut motiver les gens surtout les touristes qui viennent là. Cela peut, je pense, les motiver un peu plus à respecter l’endroit dans lequel ils circulent. Par exemple, l’année dernière nous avons avec notre club ramassé 926 sacs d’environ 10-15 kg plus tous ceux qui étaient déposés, ce qui représente environ 15 tonnes d’ordures dans les Gorges. Alors ça c’est très important, je pense que si les gens voulaient être un peu petit peu plus, comment dirais-je, propres, ce serait quand même intéressant parce que cette histoire-là coûte cher au département. Parce que les gens vont cacher ça dans les buissons, les laissent n’importe où. Il faut tout rassembler. Les bouteilles cassées, ça pourrit. C’est incroyable.