L'affaire Finaly

19 avril 1993
02m 23s
Réf. 00065

Notice

Résumé :

Retour sur l'affaire Finaly qui passionna la France de l'après guerre. Deux enfants juifs furent adoptés pendant la Seconde Guerre par la très catholique Mademoiselle Brun, qui refusa ensuite de les rendre. De retour en France 40 ans après les faits, les enfants, devenus adultes, racontent.

Date de diffusion :
19 avril 1993
Source :
Antenne 2 (Collection: MIDI 2 )

Éclairage

Cette séquence du journal d'Antenne 2 est introduite par deux journalistes qui énoncent des affirmations surprenantes. Le premier, Henri Sannier, justifie l'information par la commémoration de la Shoah cinquante ans après « jour pour jour ». Il veut sans doute parler du début de la révolte du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943. Sa consœur fait ensuite un résumé très approximatif de ce qui fut appelé l'Affaire Finaly, un fait divers devenu une cause nationale et internationale et constitua un moment crucial dans les rapports entre juifs et catholiques au lendemain de la guerre.

L'affaire Finaly se déroule de 1945 à 1953 et concerne la garde de deux enfants juifs. Fritz Finaly, médecin juif autrichien et sa femme Annie s'étaient réfugiés à La Tronche, aux portes de Grenoble pour échapper à l'Anschluss (1938). Ils donnent naissance à deux enfants : Robert en 1941 et Gérald en 1942. Les enfants sont circoncis et se voient attribuer comme second prénom des prénoms hébraïques. Le 14 février 1944, les époux Finaly sont arrêtés par la Gestapo et déportés à Auschwitz où ils meurent.

Se sentant menacés, les parents avaient confié les enfants à la pouponnière Saint-Vincent de Paul à Meylan, près de La Tronche, mettant une de leurs amies dans le secret. Celle-ci demande l'aide du couvent des religieuses de Notre-Dame de Sion à Grenoble. En raison de l'âge des enfants, les religieuses les confient à une résistante, fervente catholique, Mademoiselle Antoinette Brun, directrice d'une crèche municipale à Grenoble.

À la fin de la guerre, en février 1945, Margaret Fischl, sœur du docteur Finaly qui vit en Nouvelle-Zélande, se met à la recherche de ses neveux. Elle demande à un ancien résistant, Moïse Keller, de l'aider dans ses démarches. Une belle-sœur, qui rentre en Autriche, vient à Grenoble et rend visite aux enfants.

Mademoiselle Brun refuse de les restituer, se fait nommer légalement tutrice des deux enfants « à titre provisoire » et les fait baptiser le 28 mars 1948. Madame Fischl et sa sœur font alors porter l'affaire en justice. Après une longue procédure la justice française ordonne le 29 janvier 1953 que la garde des enfants soit donnée à leur famille, et décide l'arrestation de Mademoiselle Brun pour séquestration d'enfants.

Entre temps, le Consistoire central du judaïsme intervient auprès des autorités politiques et religieuses et alerte la presse. Mais les deux enfants ont disparu. La congrégation de Notre-Dame de Sion a organisé leur dissimulation avec la complicité de couvents et de collèges catholiques, le dernier à Bayonne. Les enfants sont reconnus par le directeur du collège mais, avant que la police n'intervienne, des prêtres hostiles à la décision de justice les font passer au Pays basque espagnol.

L'affaire prend alors une dimension internationale et met gravement en cause l'Eglise catholique. Germaine Ribière, résistante catholique qui a sauvé des Juif pendant la guerre est choisie pour servir d'intermédiaire entre les parties. Le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, négocie avec le grand-rabbin Kaplan et avec la famille. Le 6 mars 1953, un accord est signé au terme duquel les deux enfants doivent être restitués. En contrepartie, la famille s'engage à retirer ses plaintes. Le grand-rabbin se porte garant de ce retrait. En juin 1953 les enfants retrouvent leurs familles et rejoignent Israël.

La trace laissée par cette affaire est telle qu'elle a encore donné lieu à deux livres en 2006, trois films en 2008 et à Grenoble, en 2009, à une rencontre avec un débat public passionné auxquels participaient les (anciens) enfants et divers témoins. Son écho s'explique à la fois par le contexte et la personnalité des acteurs. Le dévouement de l'assistance à des juifs en opération de conversion forcée de jeunes enfants est perçue après guerre comme une résurgence des persécutions antisémites et la démonstration de la responsabilité catholique dans l'antisémitisme. Le refus d'appliquer une décision de justice ajoute au discrédit de l'Eglise catholique soupçonnée de vouloir échapper à la loi dès lors qu'elle ne peut plus l'imposer. Quant au motif théologique, selon lequel la préservation de la foi d'enfants baptisés implique qu'ils reçoivent une éducation catholique, il est d'autant moins recevable que le baptême tardif des enfants apparaît comme un prétexte pour ne pas les rendre.

Mais l'affaire se complique du fait de la personnalité atypique des principaux acteurs catholiques : Mademoiselle Brun est une résistante et une catholique controversée ; les religieuses appartiennent à une congrégation fondée au XIXe siècle par des juifs convertis au catholicisme, qui a contribué à cacher et sauver des juifs pendant la guerre. Quant au clergé basque impliqué, il est peu suspect de sympathies franquistes contrairement à ce qui fut insinué sur le moment.

Elle intervient enfin au moment où les rapports entre juifs et catholiques sont marqués par une volonté de dialogue qu'illustre la naissance de l'Amitié judéo-chrétienne en 1948 sous l'impulsion de l'historien juif Jules Isaac, co-auteur de manuels d'histoire à succès. Douloureuse dans l'immédiat, l'affaire va finalement être un stimulant. Elle oblige le catholicisme à reconnaître un lien historique entre antijudaisme catholique et antisémistisme raciste. Elle le conduit à redéfinir sa relation au judaïsme et à entrer dans une logique de dialogue, position affirmée au Concile Vatican II, après avoir privilégié jusque là la volonté de conversion à la « vraie foi ».

Bibliographie :

- Madeleine Comte, Sauvetages et baptêmes. Les religieuses de Notre-Dame de Sion face à la persécution des Juifs en France, Paris, L'Harmattan, 2001.

Claude Prudhomme

Transcription

Présentateur
Et un demi-siècle jour pour jour après l’Holocauste, l’histoire que nous allons vous raconter maintenant est d’abord celle de la réconciliation entre juifs et chrétiens. Le contexte c’est la France des allées 50, Laurence.
Présentatrice
L’affaire Finaly avait soulevé à cette époque bien des controverses. 2 enfants juifs avaient été adoptés par une famille chrétienne parce que leurs parents étaient morts à Auschwitz. Une famille d’adoption qui refuse par la suite de les rendre à leur tante, l’Eglise catholique doit intervenir. Aujourd’hui, 40 ans après cette déchirure, les principaux protagonistes sont revenus en France, une initiative que l’on doit à notre confrère Jean-Pierre Elkabbach; deux hommes qui dépassionnent le débat aujourd’hui. Reportage d’Alban Micoczy.
Journaliste
1943, le docteur Finaly et sa femme confient leurs deux enfants Robert et Gérald à la directrice de la crèche de Grenoble. Triste séparation mais sage précaution. Les époux Finaly seront déportés quelques mois plus tard à Auschwitz d’où ils ne reviendront jamais. A Grenoble, Mademoiselle Brun veillera sur ces enfants jalousement dans le respect de la religion catholique. Et à la Libération, lorsque la tante des enfants souhaitera les accueillir en Israël, Mademoiselle Brun s’y opposera fermement. La polémique débute, elle durera 7 ans, la justice statuera, Mademoiselle Brun ira même en prison mais rien n’ébranlera sa détermination. Bénéficiant de complicités chez certains catholiques, elle cachera les enfants. Une mini guerre de religion qui passionne la presse de l’époque, des sondages sont même pratiqués. Pour ou contre Mademoiselle Brun. Finalement, Monseigneur Gerlier et le Rabbin Kaplan trouveront un accord, les enfants rejoindront leur famille d’origine.
Journaliste 2
Les enfants Finaly sont rentrés d’Espagne à la suite d’un accord conclu entre l’Eglise et le Rabbinat. Mais ce retour ne constitue pas un dénouement. A leur majorité, ils décideront d’eux-mêmes s’ils veulent être catholiques ou israélites.
Journaliste
Les enfants Finaly choisiront Israël. 40 ans plus tard, ils n’ont rien oublié.
Gérald Finaly
Je n’ai pas oublié que si Mademoiselle Brun ne nous avait pas adoptés, pris et alors sûrement, va savoir si aujourd’hui on pourrait être ici, être en vie.
Robert Finaly
La faute qu’elle a fait envers nous deux, c’est qu’elle nous a fait baptiser en 48. C’est 3 ans après que notre famille, notre famille a commencé à nous rechercher en 45.
Journaliste
Aujourd’hui, les passions sont apaisées. Et si les autorités juives rappellent l’affaire Finaly, c’est pour mieux parler de compréhension.