La semaine sociale à Lyon

05 juillet 1973
03m 13s
Réf. 00071

Notice

Résumé :

Ouverture de la semaine sociale à Lyon, ville où elle fut créée par Marius Gonin. Le président Alain Barrère souligne l'importance du thème de cette année : "les chrétiens dans la vie politique".

Date de diffusion :
05 juillet 1973
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Éclairage

La publication en 1891 de l'encyclique Rerum novarum par le pape Léon XIII encourage les catholiques à réfléchir aux questions sociales, à agir en faveur d'une régulation des marchés et à prôner une meilleure redistribution des richesses. Lyon se distingue en France par la fondation d'un Secrétariat social et d'une revue baptisée Chronique sociale. Proche des milieux d'où sortiront la démocratie chrétienne, le Lyonnais Marius Gonin et le Lillois Adéodat Boissard ont l'idée de lancer en 1904 une Semaine sociale destinée à réunir à Lyon clercs et laïcs autour de thèmes sociaux. Le succès de l'initiative conduit à pérenniser ces rassemblements sous forme de semaines itinérantes, à la fois universités hors les murs et laboratoire d'idées. Elles sont tenues chaque année dans une grande ville de France, avec comme seules interruptions les deux guerres mondiales. Ainsi que l'explique le professeur André Latreille, celle qui se tient à Lyon en 1973, la soixantième, est donc un retour aux sources et l'occasion d'inaugurer les commémorations prévues pour le centenaire.

L'interview d'André Latreille (1901-1984), figure majeure de la vie publique lyonnaise, ancien résistant, chargé par de Gaulle de traiter avec le Saint-Siège des dossiers délicats à la Libération, ancien professeur d'Histoire contemporaine et doyen de la Faculté des Lettres à l'Université de Lyon, puis l'intervention d'Alain Barrère, professeur d'économie à la Sorbonne et président, dressent un tableau optimiste de la situation. De fait les Semaines sociales continuent à aborder les problèmes les plus délicats et n'hésitent pas cette année là à débattre de la place des chrétiens dans la vie politique au moment où cette question est source de vives controverses au sein du catholicisme français. L'année précédente, le rapport publié sur ce thème au nom de l'épiscopat par Mgr Matagrin, évêque de Grenoble, a suscité des réactions contradictoires et parfois virulentes, en particulier à propos de la légitimité du pluralisme. Dans le contexte de 1973, cette prise de position apparaît à certains comme la légitimation des aspirations de militants catholiques, jusque là plutôt proches de la démocratie chrétienne, à acquérir leur autonomie en matière de choix politique et à réaliser la déconfessionnalisation de l'action sociale politique et sociale. La transformation en 1964 du syndicat Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC) en Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT), l'adhésion de militants au Parti Socialiste Unifié ou au nouveau Parti Socialiste fondé à Epinay en 1971 et dirigé par François Mitterrand, traduisent de fait la montée en puissance parmi les jeunes catholiques de nouvelles sensibilités qui jugent trop tièdes et équivoques les positions défendues par le catholicisme social. Malgré la volonté de dialogue entre les différents courants impulsée par le président Alain Barrère, la Semaine sociale de Lyon n'empêchera pas la crise interne de s'amplifier et la revue Chronique sociale de disparaître en 1987. Aucune Semaine sociale n'est organisée en 1975. La périodicité variable des années suivantes trahit la fragilisation d'une institution qui survit néanmoins. Redevenue annuelle en 1995 elle semble avoir retrouvé au début du XXIe siècle une nouvelle légitimité comme lieu de confrontation d'expériences et d'expertises.

Bibliographie :

- Philippe Lécrivain, « Les Semaines Sociales de France », dans Denis Maugenest, Le mouvement social catholique en France au XXe siècle, Paris, Cerf, 1990.

Claude Prudhomme

Transcription

Journaliste
Monsieur le doyen Latreille, c’est la cinquième fois que les Semaines sociales ont lieu à Lyon. Pour quelle raison ce choix de Lyon ?
André Latreille
Les Semaines sociales d’abord sont nées à Lyon, en 1904. Elles y sont revenues à plusieurs reprises parce que leur fondateur y avait créé de nombreuses amitiés, parce que les autorités ecclésiatiques de l’époque, y compris le Cardinal Gerlier en particulier étaient très favorables aux mouvements des Semaines sociales, et enfin parce que nous y avons toujours trouvé un public très attaché aux idées que nous nous efforçons de promouvoir.
Journaliste
Son fondateur était Marius Gonin ?
André Latreille
Son fondateur est Marius Gonin qui est né en 1873, on célèbrera le centenaire de sa naissance au mois d’octobre prochain et qui a été un Lyonnais à la fois très influent sur le milieu journalistique et le milieu de la pensée, un animateur de jeunes et un homme fort obscur et encore peu connu. Il n’a pas d’historien. Ah, ah, à proprement parler.
Journaliste
Monsieur le Président Barrère, le thème de ces Semaines sociales, de cette 60e Semaine sociale,
Alain Barrère
Oui ?
Journaliste
Est les chrétiens dans la vie politique. C’est un thème un peu audacieux. Et pourquoi l’avez-vous choisi ?
Alain Barrère
On l’a choisi parce que maintenant je crois que tout le monde reconnaît que les chrétiens, ou plus exactement l’Eglise, la communauté ecclésiale, constituent un fait à la société politique. La société politique ne peut plus ignorer la société que constitue l’Eglise et que la foi des chrétiens interpelle la politique, lui pose des questions. Et que la politique aussi interpelle la foi. Alors, le problème pour les chrétiens, c’est de savoir comment ils peuvent prendre des positions pratiques, des engagements, mener des actions différentes, tout en respectant l’unité de leur foi. Pourquoi y a-t-il des chrétiens qui sont aussi authentiques les uns que les autres et qui ont des positions politiques différentes ? Voilà un des thèmes que nous allons aborder.
Journaliste
Et comment allez-vous aborder ce thème ?
Alain Barrère
Et bien, nous allons l’aborder de trois manières différentes. D’abord, il y aura des exposés, qualifiés de magistraux sans trop rire n’est-ce pas, au cours desquels on donne la pensée des Semaines sociales. Il y a ensuite des confrontations entre des chrétiens qui ont pris des engagements, des responsabilités politiques différentes, et qui disent pourquoi le combat politique a pour eux une signification. Pourquoi la prise de position à l’égard de la guerre, de la violence, ou de tout autre objet, de la lutte des classes est conforme aux exigences de leur foi. Donc des points chauds, des débats au cours desquels des personnalités politiques seront mises en présence. Et puis troisièmement des assemblées partielles, c’est-à dire des petits groupes, ordre de travail organisés, où les participants échangent leurs expériences et pour en dégager des lignes générales.
Journaliste
Et que peuvent attendre les chrétiens de ces semaines sociales ?
Alain Barrère
Et bien, je crois qu’ils peuvent en attendre d’abord un certain nombre d’orientations pratiques sur ce qu’il leur est possible de faire, un certain nombre d’indications sur le sens du pluralisme, sur la signification de la foi sur le plan politique. Et puis aussi la prise de conscience de ce que, dans une communauté politique, les chrétiens peuvent constituer une aile marchande et non pas une aile repliée, mais une aile qui va de l’avant pour le plus grand bien de l’ensemble de la société. Voilà ce qu'ils pourront en retirer.