Les protestants du Trièves

13 avril 1992
04m 24s
Réf. 00075

Notice

Résumé :

Ce reportage retrace l'histoire de l'implantation du protestantisme dans la région du Trièves et en particulier à Mens. L'importance de l'instruction pour les protestants aboutit à la création de l'Ecole modèle de Mens reconnue au-delà des frontières.

Date de diffusion :
13 avril 1992
Source :
FR3 (Collection: JT FR3 Alpes )
Personnalité(s) :
Lieux :

Éclairage

Cette séquence sous forme d'interview de l'historien Pierre Bolle, enseignant d'Histoire à l'université de Grenoble, spécialiste du protestantisme dauphinois, vient rappeler aux téléspectateurs l'importance historique du protestantisme dans la région. Elle fut au XVIe siècle une des plus réceptives au message des réformés, en particulier le français Jean Calvin, arrivé à Genève en 1536, et dont la popularité dans la région se vérifie jusque dans le nom donné à un sommet proche de Mens, le bonnet de Calvin. De cette présence ancienne témoigne en 1992 l'existence de noyaux protestants dans les villes liées au commerce (Lyon, Valence) mais aussi dans les campagnes de l'Ardèche et de la Drôme. Pierre Bolle met ici en valeur un cas moins connu, celui du pays du Trièves, autour de la petite ville de Mens en Isère. Le Trièves fut d'abord un bastion protestant au temps de son implantation en Dauphiné sous la direction du célèbre seigneur, puis duc, François de Bonne de Lesdiguières (1543-1626), gouverneur du Dauphiné en 1612, maréchal de France, le dernier à porter le titre de connétable, propagateur zélé de la Réforme au prix de méthodes qui ne furent pas seulement pacifiques. La topographie du Trièves lui permit ensuite d'échapper au sort commun des protestants après la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV en 1685 et l'interdiction du protestantisme dans le royaume. L'application de cette mesure par la force, bien connue pour la résistance des Cévennes (guerre des Camisards) ne fut pas partout possible ou jugée rentable. C'est ainsi que Mens put rester fidèle au protestantisme grâce à une indifférence transformée en tolérance assez exceptionnelle.

Mais Pierre Bolle insiste surtout sur le réveil protestant du XIXe siècle. Dans un contexte désormais favorable, grâce à la liberté religieuse acquise avec la Révolution française (et à laquelle prirent une part active des personnalités protestantes dauphinoises comme Antoine Barnave), confirmée par les régimes successifs, le protestantisme dauphinois trouve une nouvelle vitalité. Il le doit en grande partie à l'action de pasteurs itinérants et missionnaires venus de Suisse et d'Allemagne, tel Felix Neff (1797-1829), un jeune pasteur genevois qui remplace provisoirement le pasteur de Mens en 1821. Après le retour du titulaire, et à cause de conflits avec un autre pasteur, il part en 1823 dans les Hautes-Alpes et deviendra en très peu de temps une des figures les plus populaires du protestantisme français grâce à son action religieuse et sociale dans le Queyras et surtout dans la vallée de Fressinières, autre vieux refuge protestant.

Plus généralement les protestants de la région jouent un rôle de premier plan dans l'industrialisation et exercent une influence sociale sans commune mesure avec le petit nombre de fidèles. Ils le doivent essentiellement à un investissement précoce dans la formation d'élites scolarisées grâce à des écoles de qualité, ouvertes aux formes nouvelles de pédagogie, et dont les instituteurs sont issus d'écoles normales protestantes. L'école normale de Mens, que l'on voit dans le reportage, en est un exemple remarquable et précoce (1822). On aurait pu aussi en trouver d'autres exemples dans les Hautes-Alpes (Dormillouse), en Ardèche, dans la Drôme (Dieulefit).

Le musée de Poët-Laval près de Dieulefit propose une présentation de cette histoire du protestantisme dauphinois.

Bibliographie :

- Pierre Bolle, Protestants en Dauphiné - L'aventure de la Réforme, Grenoble, éditions du Dauphiné, 2001.

Claude Prudhomme

Transcription

Journaliste
L’histoire ultérieure a occulté cette réalité. Au 16e siècle, la réforme a pénétré rapidement en France. Le Trièves et sa capitale Mens ont suivi un mouvement qui toucha plus du quart de la population du royaume. Le protestantisme, prônant un retour à l’évangile, et s’opposant à la hiérarchisation de l’Eglise, s’implanta de manière définitive sur ce plateau grâce aux troupes de François de Bonne, seigneur de Lesdiguières.
Pierre Bolle
Lorsque Lesdiguières arrive comme jeune chef militaire réformé, lorsqu’il arrive dans Trièves en 1573, il va y rester 16 ans et en fait, il va assurer une paix religieuse, une paix politique mais une paix religieuse à cette région du Trièves. Ce qui fait que le protestantisme va pouvoir se développer dans une parfaite tranquillité. Et lorsque Lesdiguières quitte le Trièves, c’est la fin des guerres des religions, ce qui fait qu’en fait, le Trièves, les protestants de Trièves n’ont pas connu les guerres de religions.
Journaliste
Plus grande ville de la région à cette époque, Mens fut pendant un siècle la petite Genève. Une ville prospère grâce à sa mine de fer, à ses textiles, à ses fourages, une paroisse modèle du protestantisme français. La région bénéficiait d’une protection géographique exceptionnelle avec à l’est le Dévoluy, au sud le Massif du Beauchêne, à l’ouest le Vercors, et au nord, les abîmes infranchissables de l’Ebron et du Drac.
Pierre Bolle
La structure de cette paroisse est très caractéristique avec les consistoires, les anciens, les laïques, qui gèrent cette paroisse avec le pasteur, ses réunions régulières, ses gens qui contrôlent évidemment la vie religieuse, qui animent la vie religieuse, et qui animent aussi la vie sociale, l’hôpital, les pauvres, toute cette, l’école, très importante avec des instituteurs qui sont de qualité. Qui déjà à cette époque-là, le protestantisme se préoccupe beaucoup de, d’apprendre à lire et à écrire car il faut lire, savoir lire pour lire la bible et lire les psaumes. Vous voyez, tout ça est très important.
Journaliste
Les temps difficiles commencèrent avec la révocation de l’édit de Nantes. Leur religion interdite, les protestants n’avaient plus que les assemblées du désert pour exercer leur culte. Au col de Menet, une croix témoigne aujourd’hui de la fuite des Huguenots de la Drôme vers l’étranger, le Trièves fut relativement épargné.
Pierre Bolle
Les dragonades n’auront quasiment pas lieu à Mens, il y a quelques personnes qui seront, qui y perdront la vie, qui seront pendus, c’est vrai mais en fait, les soldats du roi ne seront pas très enthousiasmés pour venir dans le Trièves et les protestants vont subsister dans cette région du Trièves jusqu’à la Révolution. Comme il n’y a personne d’autre pour prendre des responsabilités sociales et politiques et économiques, ce sont les mêmes qui vont de père en fils se remplacer dans les responsabilités consulaires, ou les, comme magistrats, comme grands commerçants ou commerçants importants, dans cette ville de Mens.
Journaliste
La révolution française rétablit les protestants dans leur droit. Mais il faut attendre le début du 19e siècle pour que le Trièves connaisse le réveil. Il le doit à Félix Neff et à ses méthodes d’évangélisation originales.
Pierre Bolle
Ce jeune Genevois pendant 2 ans, va transformer complètement la vie religieuse du Trièves, va avoir des méthodes originales d’évangélisation mais aussi de catéchisme et il va convertir ou reconvertir si vous voulez toute une partie de ces populations protestantes.
Journaliste
Le réveil a trouvé sa plus forte expression dans l’école Modèle qui fut la première Ecole Normale d’instituteurs de l’Isère. Cette école de Mens souligne un trait caractéristique du protestantisme français, un fort niveau d’instruction permettant une ascension sociale rapide mais entraînant par-là même un fort exode rural.
Pierre Bolle
Cette Ecole Normale va avoir un grand retentissement et un grand succès puisque non seulement on aura des enfants, des adolescents de Trièves qui vont de former pour devenir instituteurs, mais il y aura des adolescents qui viendront de tout le midi de la France et même de l’étranger puisqu’il y aura des belges, des suisses et des italiens qui vont venir à cette école, dans cette école modèle de Mens pour devenir instituteurs.
(Musique)