Paul Berliet et son usine

26 mai 1957
05m 38s
Réf. 00114

Notice

Résumé :

A Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, plus de 10 000 ouvriers se sont installés et travaillent pour l'usine Berliet. Son actuel directeur, Paul Berliet, s'intéresse à l'exportation et implante des usines à l'étranger.

Type de média :
Date de diffusion :
26 mai 1957
Source :
ORTF (Collection: Croquis )
Personnalité(s) :

Éclairage

Le reportage débute par une réflexion sur la vie complexe des grandes agglomérations. Alors que la caméra propose le panorama d'une cité ouvrière aux rues rectilignes et numérotées, le commentaire insiste sur l'écart important qui existe entre la vision stéréotypée d'une bourgeoisie lyonnaise paisible – le titre de ce reportage de la collection « croquis » du réalisateur est « Lyonnaiseries » – et la réalité de la banlieue ouvrière.

Le commentaire ne le dit pas mais le reportage porte sur l'usine Berliet de Vénissieux, construite sur les plans de Marius Berliet après la Première Guerre mondiale. Les terrains ont été achetés depuis plus de trente ans puisque Marius Berliet a acquis, pendant le premier conflit mondial, sur les communes de Saint-Priest – alors située dans l'Isère – et de Vénissieux, un vaste espace de 400 hectares pour édifier sa nouvelle usine et une cité ouvrière. Pendant le premier conflit mondial, les ateliers de Marius Berliet sont installés dans le quartier de Monplaisir à Lyon, mais il a la volonté de créer une nouvelle usine qui s'inspire des principes de l'organisation scientifique du travail que préconise Henri Ford. L'objectif est bien de construire une usine intégrée, depuis la production de l'acier – les plans montrant le travail de la fonte ou de l'acier en fusion sont nombreux – à la livraison des véhicules. Plusieurs plans du reportage soulignent d'ailleurs l'organisation des chaînes de montage et le travail à la chaîne, mais le mot n'est pas employé dans le commentaire ni dans l'entretien que « l'actuel grand patron » accorde au réalisateur « dans les étages directoriaux ».

Conformément aux principes de la Petite Église – une minorité de catholiques qui refusent les principes de la constitution civile du clergé et du concordat de 1801 –, Marius a désigné, avant sa mort, le chef de famille qui doit lui succéder. L'actuel grand patron, c'est Paul Berliet, l'avant dernier de ses enfants. Il est né le 5 octobre 1918. Après des études secondaires à Lyon, il travaille dans différents ateliers de l'usine familiale et effectue quelques stages à l'étranger. Mobilisé pendant la guerre, il réintègre l'entreprise après l'armistice de 1940. En 1944, la société des Automobiles Marius Berliet est devenue un enjeu politique et la famille se trouve dépossédée de l'entreprise où se développe dans le contexte de la Libération une expérience de gestion ouvrière. Contrairement à ce qui s'est passé pour les usines Renault, un arrêt du Conseil d'État de novembre 1949 restitue l'entreprise à la famille Berliet. Paul Berliet prend les rênes à partir de 1950. Il insiste sur le côté visionnaire de son père et souligne les méthodes de travail d'un patronat – le passage sur le refus du téléphone est révélateur – qui entend être au contact direct des ouvriers, voire de « ses » ouvriers avec la connotation paternaliste que suggère l'adjectif possessif.

La construction de la cité ouvrière sur laquelle ouvre le reportage renvoie d'ailleurs à ce paternalisme et elle s'inspire directement, avec ses maisons comprenant quatre logements au milieu d'un jardin des principes édictés au milieu du XIXe siècle par les industriels de Mulhouse en présentant dans plusieurs expositions universelles les principes du carré mulhousien qui faisait l'admiration de Napoléon III. Le fait que les rues portent des numéros est la manifestation de l'admiration que Berliet porte au fordisme. Pour autant, cette cité qui a son utilité pour une usine qui fonctionne en 3x8 n'accueille qu'une faible minorité des 13 000 ouvriers de l'usine qui sont amenés sur leur lieu de travail par des cars de l'entreprise qui sillonnent les villages de l'Isère, du Rhône et de l'Ain, voire de la Loire. Les cars de l'entreprise circulent alors de Rive-de-Gier à Villars-les-Dombes, de Belleville à Saint-Jean-de Bournay en passant par Ambérieu et La Tour-du-Pin.

Le reportage que propose Jean-Claude Bringuier et Hubert Knapp est très révélateur de ce que l'on a parfois appelé « l'école des croquis » du titre de la collection ou école de la caméra subjective. L'idée préexiste au tournage et rompt avec le style des documentaires télévisés de l'époque, souvent d'inspiration touristique. La parole est laissée aux interviewés et le temps est laissé aux téléspectateurs de regarder l'image qui lui est proposée. La description de la cité Berliet illustre bien cela avec par exemple le plan de l'ouvrier qui cultive son jardin. Cette manière de filmer impose de longs préparatifs et une compréhension de l'intérieur des sujets abordés.

Bibliographie :

- A. Pizot, «Le recrutement du personnel des « Automobiles M. Berliet »», Revue de géographie alpine, 1960, Tome 48 n°4.

On trouve aussi une fiche sur la cité Berliet sur le site du Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement du Rhône (CAUE69).

Jean-Luc Pinol

Transcription

(Bruit)
Journaliste
J’ai failli croire que Lyon, c’était seulement ça, des bourgeois malins mais en somme éclairés, un folklore en bonne santé, des amateurs paisibles, intelligents, un univers de bonnes gens et puis un jour, je suis allé faire un tour en banlieue, le moins qu’on puisse dire, c’est que j’ai été dépaysé. Selon une habitude qui m’est chère, j’étais arrivé plus tard que je ne le voulais. Trop tard en tout cas pour visiter l’usine ce jour là. Les ouvriers sortaient, ils avaient des visages que je connaissais bien avant d’arriver à Lyon, les mêmes qu’on rencontre partout dans des banlieues pareilles.
(Musique)
Journaliste
Je suis donc revenu un autre jour pour visiter les ateliers. Entre temps, j’avais appris que leur plan a été dressé il y a 30 ans. C’était une aventure humaine intéressante à écouter, aux niveau des étages directoriaux où m’attendaient l’actuel grand patron. Son père, le premier maître de l’usine était un ouvrier, fils de canut.
(Bruit)
Journaliste
En inventant l’usine d’alors, c’était aussi l’avenir qu’il inventait puisque ses plans restent valables 30 ans après.
Intervenant
Ils le sont aussi pour les 20 ans qui viennent puisque tout le plan d’extension a déjà été tracé à cette époque, et nous n’avons pas encore pu le réaliser en totalité bien que les terrains aient déjà été acheté il y a bientôt près de 30 ans. Aujourd’hui, nous produisons avec 13 000 personnes, environ 42 camions par jour de 5 tonnes à 30 tonnes utiles, ce qui nous place au sixième rang mondial. C’est dans une expansion continue de notre production que nous pouvons trouver notre seule chance de survie et dans ce but, nous faisons un très gros effort d’exportation pour lequel nous avons monté des usines au Brésil et en Afrique du Nord.
Journaliste
Avez-vous une manière particulière de travailler ici, à l’usine de Lyon ?
Intervenant
Nous n’avons pas de manière particulière. Seulement le circuit des matières a été très étudié, nous sommes une usine complètement intégrée verticalement, c’est-à dire que nous partons de la gueuse, nous partons de l’agrume, nous partons du profilé ou du laminé pour qu’en 5 chaînes, le camion complet sorte avec le minimum de manutention et de perte de temps. Ainsi ce souci d’efficacité se reporte même jusque sur le téléphone puisque nous nous défendons contre le téléphone qui pour nous est une perte de temps.
Journaliste
Ah, c’est pour ça que j’ai essayé de vous joindre pendant 3 jours, sans y…
Intervenant
Sans y parvenir. Vous ne risquiez pas de m’atteindre. Dans la maison, toutes les conversations doivent être autant que possible des notes écrites ou des télégrammes.
Journaliste
Vous ne considérez pas le téléphone comme un instrument de travail normal ?
Intervenant
Non, C’est plutôt une cause profonde de perte de temps.
Journaliste
Et la blouse que vous portez qui est je pense votre tenue de travail, est-ce qu’elle appartient au même, au même esprit ?
Intervenant
C’est toujours le même esprit, le même souci d’efficacité afin que quand quelque chose ne va pas, nous puissions nous rendre sur place immédiatement et mettre la main à la pâte.
Journaliste
Vous travaillez tous les jours ?
Intervenant
Oui, dimanche compris.
Journaliste
Dimanche compris ?
Intervenant
Dimanche matin tout au moins.
Journaliste
Qu’est-ce que vous faites le dimanche matin parce qu’enfin, l’ambiance de la maison est différente,
Intervenant
Et bien, nous estimons que c’est le moment où nous pouvons, où nous trouvons les solutions d’évolution de cette maison dans le calme et en nous promenant tranquillement dans les ateliers.
(Musique)
Journaliste
Le bruit des camions s’éloigne.