L'Isle d'Abeau, une ville nouvelle

10 avril 1970
04m 26s
Réf. 00154

Notice

Résumé :

René Rossi, le chef de la mission à L'Isle d'Abeau, nous donne la définition d'une ville nouvelle. Puis, cartes à l'appui, il nous explique le choix du site de L'Isle d'Abeau et de ses grands axes de développement.

Date de diffusion :
10 avril 1970
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Dès le XIXe siècle, la croissance urbaine a effrayé plus d'un observateur. Les fortes densités urbaines, les mauvaises conditions de logement, les difficultés sanitaires et la congestion des transports sont autant de symptômes des difficultés de la vie citadine. Un théoricien britannique, Ebenezer Howard envisage alors le développement des Garden-Cities pour contenir la croissance londonienne. Dans ces nouvelles créations, toutes les fonctions urbaines existeraient : habiter, travailler, se cultiver, se divertir... En France, le terme cité-jardin ne retient pas cette complexité et certaines cités-jardins de l'entre-deux-guerres ne sont que des cités dortoirs. Au Royaume-Uni, un New Towns Act est adopté en 1946.

En France, une autre politique urbaine a été mise en place dans le cadre de l'aménagement du territoire. Neuf villes nouvelles sont planifiées entre 1965 et 1968 : cinq en région parisienne et quatre en province. Celle de l'Isle d'Abeau, à 30 km à l'est de Lyon, dans le département de l'Isère est programmée en 1968. Cette politique des villes nouvelles a pour objectif de répondre aux problèmes de logement et d'aménagement du territoire que la politique de la Reconstruction n'avait pas réussi à résoudre, pas plus d'ailleurs que les politiques mises en œuvre pour la réalisation des grands ensembles (1954-1973). Les villes nouvelles s'intègrent aux schémas régionaux d'aménagement dont le tracé relève de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (la DATAR, créée en 1963) et des Organisations d'études et d'aménagement des aires métropolitaines (OREAM) qu'évoque René Rossi, directeur, depuis juin 1968, de la mission d'aménagement de la ville nouvelle de l'Isle d'Abeau après avoir été chargé de mission pour les Jeux Olympiques de Grenoble.

Ce polytechnicien, ancien de l'École nationale des Ponts et Chaussées est tout à fait représentatif des fonctionnaires qui eurent à mettre en œuvre la politique des villes nouvelles. Son discours est tout à la fois marqué par la méfiance vis-à-vis des grands ensembles et par la référence implicite aux théories d'Ebenezer Howard qui étaient apparues comme la solution à tous les maux de la ville avant que ne s'imposent les théories du mouvement moderne (Ebenezer Howard est mort en 1928, l'année même où se mettent en place les Congrès internationaux d'architecture moderne qui devaient déboucher sur la Charte d'Athènes et, à terme, sur les grands ensembles). Ainsi son discours lorsqu'il veut donner la définition d'une ville nouvelle commence par les éléments qui différencient une ville nouvelle des grands ensembles et il insiste ensuite sur le fait qu'une ville nouvelle doit comporter « l'ensemble des fonctions urbaines ».

Lorsque ce reportage est diffusé, en avril 1970, le projet de l'Isle d'Abeau est encore dans les limbes. A l'époque une entité de 150 000 habitants est envisagée. En 1972 est constitué l'établissement public d'aménagement de l'Isle d'Abeau et, la même année, le syndicat communautaire d'aménagement qui regroupe 21 communes ; aujourd'hui il ne reste que cinq communes dans ce qui a constitué la ville nouvelle : Four, Saint-Quentin-Fallavier, Vaulx-Milieu, Villefontaine et L'Isle-d'Abeau. Ces cinq communes rassemblaient 4000 habitants en 1968, elles en comptent plus de 40 000 en 2003. On est loin des 150 000 habitants prévus mais la ville nouvelle a aussi drainé des emplois : elle a réussi à être plus qu'une cité-dortoir et elle possède toutes les fonctions urbaines.

Bibliographie :

- Yves Chalas (dir.), 2004, La Ville nouvelle de l'Isle d'Abeau : origines, évolutions et perspectives, mai 2004, 344 p. [Rapport de Recherche pour le Ministère de l'Equipement, Programme consacré à l'histoire et à l'évaluation des villes nouvelles françaises].

Jean-Luc Pinol

Transcription

Journaliste
Ville nouvelle, ville de l’an 2000, il en existe déjà quelques unes dans le monde. Voici l’Isle d’Abeau. Ile qui sort d’une grande vallée plate allant sur 10 km de la Verpillère à Bourgoin-Jallieu. Une aire d’étude de 11 000 ha, une mission qui s’appuie sur 3 facteurs importants pour l’implantation d’une ville nouvelle, la voie ferrée, la future autoroute, l’aéroport de Satolas.
(Silence)
Journaliste
Mais qu’est-ce exactement qu’une ville nouvelle ? Le chef de la mission à l’Isle d’Abeau, Monsieur Rossi va nous répondre.
René Rossi
C’est d’abord, une ville nouvelle a une existence juridique. Il faut que ce soit un programme comportant plus de 10 000 logements et la décision de la faire est prise par le gouvernement et son périmètre arrêté par le Conseil d’Etat. Mais surtout, ce qui caractérise une ville nouvelle et la différencie par rapport aux grands ensembles qui ont parfois mauvaise réputation, c’est qu’elle comporte l’ensemble des fonctions urbaines. C’est-à dire que, au moins 80 ou 90% des gens qui y habitent y travaillent également, s’y distraient, font leurs achats, ont accès à un centre où ils retrouvent tous les avantages des centres anciens traditionnels. Quand on prend une ville importante, ancienne, on constate qu’elle s’est très lentement développée autour d’un centre dense, généralement de façon radioconcentrique. Quand la pression sur le centre est devenue trop forte, on a vu émigrer dans le tissu même un certain nombre des fonctions de ce centre, que ce soit les bureaux, les activités, euh ou les commerces. On constate un certain début d’asphyxie puisque tous les transports s’effectuent à l’intérieur du site urbain. Une première solution a été de chercher un éclatement. C’est-à dire qu’on se met à l’extérieur de la ville mais presque au contact de celle-ci en ménageant simplement un couloir où peuvent passer les voies de circulation rapide. Ce dispositif, s’il permet de mieux circuler, multiplie quand même les déplacements et les allongent et surtout émiettent toutes les fonctions du centre. On trouvera d’un côté les grands magasins, de l’autre côté les usines, de l’autre côté les bureaux. L'idée des villes nouvelles, est basée simplement sur la considération suivante: créer une discontinuité entre la ville et son développement mais regrouper l’ensemble des fonctions nécessaires à une ville en un seul point.
Journaliste
Pourquoi le site de l’Isle d’Abeau ?
René Rossi
Les explications pourraient plus valablement, vous être fournies par l’OREAM puisque le schéma de développement de la région lyonnaise a été dressé par cet organisme. Très schématiquement, on voit cependant sur ce plan-ci les raisons qui ont conduit à retenir une structure discontinue pour la croissance de Lyon. Vous constatez à quel point cette image ressemble aux images schématiques que nous avons vu tout à l’heure: de très nombreuses zones industrielles intégrées à l’habitat, le centre situé au cœur de la ville et très difficile d’accès. Des relations difficiles centres zones préférées pour l’habitat sur les collines ouest, favorables et les zones d’emplois qui se développent dans les zones plates de l’Est. L’Isle d’Abeau a été choisie parce que ses relations avec la métropole sont extrêmement puissantes. La voie ferrée Lyon-Grenoble existe, elle n’est pas saturée, elle est de bonne caractéristique. L’autoroute Lyon-Bourgoin sera construite très prochainement. La position à l’Est de l’aéroport de, l’Est de l’aéroport de Satolas permettra d’éviter que le trafic des actifs travaillant sur l’aéroport ne viennent saturer les voies d’accès de Lyon vers cet aéroport comme on le constate dans la région parisienne. Enfin, dernier élément, il n’est pas négligeable, le site de l’Isle d’Abeau est très agréable pour l’habitat puisqu’il offre pratiquement les mêmes avantages que les collines ouest, des reliefs accentués, de très bonnes expositions sud et la possibilité d’aménager de très nombreux plans.
Journaliste
Cette ville nouvelle sera-t-elle concurrente de Lyon ?
René Rossi
Absolument pas. Bien au contraire, son but essentiel est de permettre à Lyon d’atteindre une taille importante de 2 millions et demi d’habitants sans être étouffée par sa propre croissance.