Il y a 20 ans, le conflit des prostituées de Saint-Nizier

02 juin 1975
02m 23s
Réf. 00292

Notice

Résumé :

Il y a 20 ans, les prostituées se révoltaient et occupaient l'église Saint-Nizier à Lyon. L'association Le Nid a organisé une conférence pour soulever les problèmes d'exclusion dont elles sont victimes encore aujourd'hui.

Date de diffusion :
19 juin 1995
Date d'événement :
02 juin 1975
Source :
Lieux :

Éclairage

L'encadrement social de la prostitution s'est mis en place au début des années 1960 lorsque la France s'est ralliée aux thèses abolitionnistes en acceptant de ratifier la convention de l'ONU de 1949 « pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui ». Redéfinie juridiquement, la sexualité vénale devient une activité privée et seul le racolage est poursuivi. Les prostituées sont considérées comme des victimes, souffrant de « handicaps socio-culturels » et sont prises en charge par les travailleurs sociaux. Des associations privées, dont l'association Le Nid fondée dans la mouvance des catholiques sociaux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s'occupent du traitement social de la prostitution. C'est à l'occasion d'une conférence de presse de cette association, le 19 juin 1995, qu'est réalisé, au cours des Actualités Rhône-Alpes, le reportage sur le mouvement en 1975 de plusieurs centaines de prostituées lyonnaises et la situation de la prostitution vingt ans plus tard.

Le mouvement de 1975 est survenu dans un contexte spécifique de déstabilisation du milieu prostitutionnel après la mise à jour de divers scandales politico-financiers entre policiers et proxénètes lyonnais et par la poursuite plus sévère des prostituées par la police, la justice et le fisc. Verbalisées sans cesse, elles avaient été également menacées de peines de prison ferme en cas de récidive dans le délit de racolage, ce qui exposait celles qui étaient mères de famille à perdre la garde de leurs enfants. L'église Saint-Nizier, sise dans la presqu'île lyonnaise, est investie en mai 1975. Les prostituées sont soutenues par les catholiques du Nid et par des féministes qui font le parallèle entre mariage et prostitution (pour elles la prostitution est le paradigme de l'oppression d'un sexe sur l'autre). Refusant de répondre aux demandes de négociation - la secrétaire d'État à la Condition féminine Françoise Giroud, s'étant déclarée « incompétente » (on voit un article de Libération sur le sujet) -, le gouvernement avait mis fin à l'occupation de l'église par une évacuation violente le matin du 10 juin par la police. Le mouvement des prostituées lyonnaises avait également fait tâche d'huile auprès de prostituées d'autres villes (Paris, Grenoble et Marseille, notamment) qui avaient elles aussi occupé des édifices religieux. Deux de leurs porte-parole sont passées à la postérité : on a vu leurs deux leaders - Ulla et Barbara - sur les écrans, on les a entendues à la radio et lues dans les journaux. Mais incapables de se doter d'une organisation durable, affaiblies par des dissensions internes, les prostituées subirent également le contrecoup de la défection d'Ulla et de Barbara qui préférèrent écrire leur autobiographie et quitter la prostitution. Peu de temps après, Ulla avait en effet publié Amour amer, livre qui relatait son rôle dans le mouvement des prostituées de 1975. En 1982, Dans L'Humiliation, Ulla revient sur son rapport avec « son » proxénète, une des questions à la fois tue, et pourtant toujours présente dans le mouvement. En 1995, elle témoigne sous son nom, Marie-Claude Peyronnet, et rappelle la discrimination sociale que subissaient et subissent toujours les prostituées.

Après la fin de l'occupation en juin 1975, le mouvement s'est essoufflé même si la prostitution a été mise à l'agenda politique du gouvernement. Critiqué pour son indifférence au sort des prostituées, le gouvernement confia une mission d'information sur la prostitution à un magistrat, Guy Pinot. Son rapport fut remis au gouvernement en janvier 1976 ; mais Le Livre blanc sur la prostitution fut bien vite « enterré ».

Vingt ans après, les territoires urbains et les caractéristiques de la prostitution ont changé, même si les discriminations perdurent. Les prostitué-e-s (30% selon le reportage d'hommes et de transsexuels) ont à faire face à la toxicomanie et au SIDA. Elles sont à la fois plus âgées et plus jeunes selon une représentante de la direction des Affaires sanitaires et sociales. L'association Le Nid, toujours présente à leurs côtés, soulignent la pérennité de l'exclusion.

Michelle Zancarini

Transcription

Présentateur
La révolte des prostituées, c’était il y a 20 ans dans l’église Saint-Nizier de Lyon. Pour la première fois, 300 prostituées faisaient entendre leur voix derrière Ulla. Aujourd’hui, l’association Le Nid, qui travaille depuis 30 ans en faveur de leur insertion, donnait une conférence de presse. Un constat 20 ans après ce mouvement, les prostituées souffrent toujours d’exclusion. Le commentaire de Valérie Benais.
Valérie Benais
Aujourd’hui, la communauté monastique de Saint-Nizier refuse même d’évoquer l’évènement. Pourtant en juin 75, l’église fut le quartier général des femmes prostituées de Lyon. Une révolte au nom de la liberté. Les procès verbaux pour incitation à la débauche s’accumulaient, la menace de prison se confirmait. Rapidement, le mouvement a pris une ampleur nationale. Il s’est étendu à une dizaine de grandes villes, avant l’évacuation par les forces de l’ordre.
Marie-Claude Peyronnet
Je crois que le regard des gens a changé un petit peu sur le, sur le fait que les prostituées sont des femmes comme des femmes normales avec des enfants, avec des réactions qui sont pas forcément, qui font leurs courses, qui vivent, qui pleurent souvent aussi. Et puis qui, qui peuvent parler, sans pour autant être grossières, vulgaires.
Valérie Benais
20 ans plus tard, les territoires de la prostitution se sont considérablement déplacés, le problème demeure.
Daniel Welzer-Lang
A Lyon, une femme prostituée sur trois est un homme. Donc 30% de travestis ou transsexuels et puis un vieillissement des femmes prostituées. 50% des femmes prostituées ont plus de 40 ans, 25% ont plus de 50 ans. Donc il y a une transformation assez fondamentale des, de la prostitution à Lyon, mais aussi dans le reste de la France.
Valérie Benais
Reste une population confrontée quotidiennement au Sida, à la toxicomanie, à la violence et à la peur, exclue parmi les exclus.
Anny Roucolle
Les personnes prostituées ont tellement honte de leur travail, ont peur d’être reconnues, ont peur de, que ça retombe sur leur enfant, qu’elles ne signalent jamais leurs problèmes, et qu’elles restent dans un isolement total. Donc il faut pouvoir les aider, elles ont droit à être prises en charge par la sécurité sociale, et je pense que les services qui s’occupent de ces personnes doivent pouvoir les aider à retrouver leurs droits.
Valérie Benais
Aujourd’hui, certaines revendications des femmes de Saint-Nizier sont toujours d’actualité. La prostitution concerne en outre de jeunes adolescents, pourtant rares sont les cris de protestation.