Inauguration de la maison d'Izieu

24 avril 1994
02m 13s
Réf. 00408

Notice

Résumé :

Le président de la République est venu inaugurer la maison des enfants juifs à Izieu. Ce lieu symbolique a été l'objet d'une rénovation. François Mitterrand y a tenu un discours, rappelant le rôle essentiel de l'école et de la mémoire.

Date de diffusion :
24 avril 1994
Source :
Lieux :

Éclairage

Le 6 avril 1944 au matin, quarante quatre enfants et leurs sept éducateurs sont arrêtés dans la Maison d'Izieu. Les ordres émanent du chef de la gestapo de Lyon : le SS Obersturmführer Klaus Barbie. Deux officiers de la Gestapo de Lyon et une quinzaine de soldats de la Wehrmacht regroupent en un convoi tous les occupants de la maison (à l'exception d'un éducateur qui réussit à prendre la fuite et d'un quarante cinquième enfant, non juif, libéré en chemin). Le soir même, les enfants et leurs accompagnateurs sont incarcérés au fort Montluc à Lyon où ils sont interrogés. Le lendemain, ils sont transférés en train à Drancy. Entre le 14 avril et le 30 juin 1944, 48 des 51 prisonniers sont déportés à Auschwitz. A l'exception de Léa Feldblum, une des sept éducatrices, aucun de ces déportés n'a survécu. Il en va de même pour les deux adolescents et le directeur de la Maison (Miron Zlatin), déportés en Europe du nord en mai 1944 et fusillés à Reval (Estonie). Ces quarante-quatre enfants et leurs éducateurs étaient tous juifs.

Située dans le hameau de Lélinaz, à côté du village d'Izieu, la « colonie des enfants de l'Hérault » a été créée en avril 1943 par Sabine et Miron Zlatin. Sabine Zlatin, immigrante juive polonaise, avait été naturalisée française avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Elle avait commencé à porter secours aux enfants juifs en 1941, date à laquelle elle vivait dans la région de Montpellier et travaillait comme infirmière pour l'OSE (l'Œuvre de Secours aux Enfants). Elle s'y employait à faire libérer des jeunes enfants juifs retenus dans les camps d'internement français (Agde, Gurs, Rivesaltes...) et dont les parents étaient soient internés soient déportés. Elle devint ainsi, au printemps 1942 directrice du sanatorium Saint-Roch à Palavas-les-Flots, destiné à l'accueil des enfants sortis des camps d'internement avant de leur trouver un lieu d'hébergement.

Mais, à la suite des rafles et des arrestations qui se multiplient en zone non occupée au cours de l'été 1942 et après l'occupation de la zone sud par l'Allemagne (novembre 1942), la plupart de ces maisons furent fermées. La fondation de la maison d'Izieu avait donc pour but d'accueillir ces enfants juifs réfugiés dans diverses maisons de l'Hérault. Comme la plupart des départements de la rive gauche du Rhône, l'Ain était alors (jusqu'en septembre 1943) situé en zone d'occupation italienne – et partant considéré comme une zone moins dangereuse pour le refuge d'enfants juifs. Grâce à l'appui de Pierre Marcel Wiltzer, sous-préfet de Belley (Ain), les époux Zlatin purent installer une quinzaine d'enfants dans la maison d'Izieu. Progressivement, d'autres enfants ont rejoints les premiers arrivants. On estime ainsi qu'en un an, plus d'une centaine d'enfants ont séjourné dans la « colonie des enfants de l'Hérault » d'Izieu. Une dizaine d'éducateurs y ont épaulé les époux Zlatin, assurant ainsi les fonctions d'encadrants, soignants, cuisinier, maitresse d'école...

Dans ce reportage, la Maison des enfants d'Izieu est avant tout présentée comme un « lieu de mémoire nationale ». L'inauguration du musée-mémorial, effectuée le 24 avril 1994 par le président de la république, François Mitterrand, lui-même, marque l'hommage de la République française aux enfants juifs déportés par les nazis avec la complicité de Vichy. Elle s'inscrit dans un processus de construction de la mémoire française dans son rapport à la période de l'Occupation. Par un décret présidentiel du 3 février 1993, la Maison d'Izieu est, d'ailleurs reconnue, avec l'ancien Vélodrome d'Hiver et l'ancien camp d'internement de Gurs, comme l'un des trois lieux de la mémoire nationale des « victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l'humanité commis avec la complicité du gouvernement de Vichy dit « gouvernement de l'État français » (1940-1944) ». En tant que telle, la Maison d'Izieu se définit comme un lieu d'accueil et d'éveil à la vigilance.

Mais cela ne doit pas faire oublier que la construction de ce lieu de mémoire a été un long processus. En dépit de l'énergie de Sabine Zlatin pour faire de ce lieu un lieu de mémoire, aucune cérémonie ou manifestation d'envergure n'y eut lieu (à l'exception de celle du 7 avril 1946) avant les années 1980. Il fallut d'abord laisser le temps à la mémoire collective de reconsidérer le passé français des années d'occupation et de sortir du mythe de la France résistancialiste. Il fallut aussi tout le combat militant des époux Klarsfeld qui, dans le cadre de leur action pour l'ouverture du procès Barbie, redonnèrent écho sur la scène nationale et internationale au drame des enfants d'Izieu. La rafle d'Izieu fut ainsi une des principales charges qui pesèrent contre Klaus Barbie lors de son procès (du 11 mai au 4 juillet 1987) et qui entrainèrent sa condamnation pour crime contre l'humanité. A cette occasion, Sabine Zlatin, Léa Feldblum, Ita-Rose Halaunbrenner et Fortunée Benguigui (deux mères dont les enfants faisaient partie des 44 raflés) ont été amenées, entre autres, à apporter leurs témoignages.

C'est à la suite de ce procès, et afin de « commémorer la mémoire des victimes innocentes de cette tragédie », que l'association « musée-mémorial d'Izieu » fut créée, sous la présidence de Sabine Zlatin et de Pierre Martin Wiltzer. Elle s'attacha tout d'abord à racheter ce lieu. Pour ce faire, l'association dut lancer une souscription publique nationale. Le site put alors être aménagé : la maison, sa grange et la magnanerie devinrent respectivement lieu d'évocation de la vie quotidienne des enfants et des éducateurs, lieu d'accueil du public (avec salle d'exposition sur la rafle et l'itinéraire des déportés) et centre de documentation.

Le reportage de FR3 traite de manière consensuelle l'inauguration de ce lieu. Si l'on voit Mme Zlatin rappeler qu'elle attendait depuis « cinquante ans ce moment » l'accent est surtout mis sur la volonté de mémoire et de réconciliation (Monseigneur Decourtray, archevêque de Lyon, et Jean Kahn, président du CRIF abondent dans ce sens). Rien n'est dit sur la virulente polémique qui, les années précédentes, avait mis en cause le chef de l'Etat. Deux ans plus tôt celui-ci avait essuyé huées et sifflets à la cérémonie commémorative de la rafle du « Vel d'hiv » du fait de sa volonté de ne pas reconnaître la responsabilité de la République française dans la déportation. Quelques mois plus tard, à l'époque du procès de Paul Touvier, certains propos de François Mitterrand appelant à l' « oubli » des faits de collaboration et à la réconciliation nationale avaient suscité une certaine émotion.

Dans sa conclusion, le commentaire du reportage dit que, grâce à l'inauguration de la maison du musée des enfants juifs « Izieu est ainsi entré dans l'histoire de la République ». Pour être intelligible, cet événement se doit cependant d'être inscrit dans une temporalité multiple. Il y a tout d'abord la temporalité du drame de ces enfants et de leurs accompagnateurs, arrêtés en avril 1944. Il y a aussi la temporalité de la mémoire de la période de l'Occupation. Il y a enfin la temporalité de l'érection de ce lieu en lieu de mémoire qui ne peut être dissociée du contexte politique dans lequel elle a eu lieu.

Nicolas Rocher

Transcription

Présentateur
Pour cette journée nationale de la déportation, le président de la République avait donc choisi d’inaugurer la maison des enfants d'Izieu, pour Sabine Zlatin, sa fondatrice, le chef de l’Etat a tenu sa promesse, faire d’Izieu un lieu de mémoire nationale. 2 000 personnes ont assisté dans le recueillement à cette cérémonie.
Journaliste
L’hommage de la République française aux 12 000 enfants juifs déportés par les nazis avec la complicité du gouvernement de Vichy. En inscrivant la rénovation de la maison d’Izieu au programme des grands travaux du septennat, François Mitterrand a voulu faire de ce lieu un symbole du crime contre l’humanité.
Sabine Zlatin
Monsieur François Mitterrand, président de la République, j’attendais depuis 50 ans ce moment.
Journaliste
Izieu, un symbole, un lieu de mémoire mais aussi d’enseignement, l’éducation civique doit ainsi être réhabilitée dans l’école républicaine.
François Mitterrand
La justice rendue ou à rendre ne nous exempte pas du principal, c'est-à-dire, de la lutte quotidienne contre les germes d’un mal qui guette nos sociétés. C’est à l’école que se tissent les liens de solidarité qui font un peuple, c’est à l’école que se forge l’esprit de tolérance, c’est à l’école que commence la lutte contre toute forme d’exclusion et d’abord celle du sang ou de la race.
Journaliste
2 000 personnes ont assisté dans le recueillement à cette cérémonie d’une grande émotion. Inauguration du musée mémorial à l’occasion de la journée de la déportation donne tout leur sens au mot « mémoire » et « réconciliation nationale ».
Mgr Decourtray
La réconciliation qui se fonde sur l’oubli n’est ni durable ni vraie, tandis que la réconciliation qui est fondée sur la mémoire, la reconnaissance de l’évènement, toute franche, voilà ce qui s’est passé, voilà ce que nous avons fait.
Jean Khan
Je crois que la mémoire constitue l’un des évènements, l’un des moyens de préserver le pays d’autres dérives dans l’avenir. Et c’est cela me semble-t-il la leçon de la journée d’aujourd’hui.
Journaliste
Izieu est ainsi entrée dans l’histoire de la République.