Soulages en train de créer, par Jean-Michel Meurice

21 mai 1981
13m 56s
Réf. 00012

Notice

Résumé :

Pierre Soulages est au travail dans son atelier de Sète. Après avoir préparé son matériel pour peindre, il étale de la peinture noire sur une toile posée à terre, puis renverse de la poudre ocre dessus. Il parle des pinceaux et de la peinture à l'huile.

Type de média :
Date de diffusion :
21 mai 1981

Transcription

(Bruit)
(Musique)
(Bruit)
Pierre Soulages
Il faut abandonner ça à son sort. Et alors, on verra. Je vais voir si ça m’intéresse ou pas. Si ça ne m’intéresse pas, je le changerai, je le modifierai. Pas forcément, d’ailleurs, en y touchant mais peut-être en ajoutant quelque chose à côté. Et vraisemblablement, c’est ce qui va se produire.
(Silence)
Pierre Soulages
Ces deux angles noirs, comme ça, me donnent envie, maintenant, d’ajouter quelque chose… Enfin, il faut attendre. Parce qu’au fond, je ne vois rien encore, là. Il faut qu’il y ait un travail de… Enfin, il faut que la poudre que j’ai répandue sur la couleur s’accroche à la couleur. Mais dès maintenant, je trouve que ces deux sortes de noir qui se sont produits à côté me donnent envie d’ajouter, ici, autre chose, et peut-être de laisser jouer ça uniquement comme couleur à côté d’un… Et ça peut faire un diptyque avec la partie droite en couleur et la partie gauche qui me paraît même maintenant, devoir être en noir, étant donné ce qui s’est produit là. Mais enfin, on va voir. A la vérité, de cette manière-là, je n’ai jamais fait de tableau comme ça. C’est parce que depuis quelques temps, j’ai envie de voir… d’avoir une qualité de couleur particulière à la poudre et que n’ont pas les couleurs qui sont mélangées à un liant que je fais ça.
(Silence)
Pierre Soulages
On va voir ce que ça donne. Mais au point où ça en est, c’est beaucoup plus près de la couleur qu’on mélange sur une palette et qui servira peut-être à faire un tableau, comme peut-être qui ne servira à rien.
(Bruit)
Pierre Soulages
Alors il y a des variations de ton, là, qui arrivent, qui proviennent de la manière dont la couleur noire qui est dessous a pu coller la poudre que j’ai mise dessus.
(Bruit)
Pierre Soulages
Je pense qu’il faudra que je mette de l’eau dessus pour chasser l’excès de poudre.
(Bruit)
Pierre Soulages
Il y a des choses étranges qui se sont produites.
(Bruit)
Pierre Soulages
Voilà. Je crois que tout ce qui ne tenait pas a dû s’en aller. On va laisser sécher.
(Bruit)
Pierre Soulages
On ne fait pas n’importe quoi avec n’importe quel outil. Et je me suis rendu compte très vite qu’il fallait être très attentif à l’outil. A mes débuts, quand je suis arrivé à Paris, j’ai voulu acheter des pinceaux qui soient de beaux pinceaux. Alors je suis allé chez un marchand de couleurs. Et tous les pinceaux qu’on trouvait (je crois que je n’en ai même pas, ici), c’étaient des petits pinceaux pour la peinture à l’huile, d’une certaine époque, carrés, comme ça. C’était très très bien étudié pour faire de la peinture pointilliste comme Seurat ou Signac. Et… Ou comme les cubistes, d’ailleurs, les premiers cubistes en ont faits puisqu’ils ont utilisé des pinceaux analogues. Et moi, ça ne me convenait pas. Je me suis bien aperçu que chaque pinceau, au fond, était destiné à produire un certain nombre de formes, et quand on choisissait déjà l’outil, on commençait à s’engager dans des voies qui n’étaient pas forcément celles où on voulait aller.
(Bruit)
Pierre Soulages
Je vais mettre un peu de siccatif pour couper. C’est un siccatif au plomb. Ça permet à la couleur de sécher dans la masse. Alors c’est un siccatif qui était employé tout à fait au début de la peinture à l’huile d’une manière très bizarre, assez involontaire, au fond. Les alchimistes essayaient de communiquer à l’huile les qualités de transparence du verre. Et alors pour ça, ils pilaient du verre et puis ils mettaient l’huile de lin en compagnie de la poudre de verre, avec la poudre de verre dans un récipient. Et puis, ils espéraient, comme ça, que les qualités du verre se communiqueraient à l’huile. Et… Enfin, ça a l’air risible. Mais en réalité, c’est très bien puisque… Et ça se produisait. Ça se produisait parce que tous les verres de cette époque étaient au plomb. Et au fond, ils introduisaient, sans le savoir, du plomb qui favorise la prise de l’huile, la polymérisation de l’huile. L’huile prend, effectivement, des qualités de transparence et de dureté qu’il y a dans le verre. Moi, je ne me sers pas de ces qualités-là dans les dernières toiles. Autrefois, j’ai employé la peinture à l’huile pour ses qualités de transparence opposées à l’opacité, ce qui est possible avec ce matériau. Mais les derniers tableaux de ma dernière exposition sont peints avec une couleur opaque.