Carmen à Pékin

26 février 1982
06m 23s
Réf. 01126

Notice

Résumé :

Interview de René Terrasson qui met en scène en 1982 Carmen de Bizet, à l'Opéra Central de Pékin, avec séance d'information préalable du public, entrée du chef d'orchestre Jean Perrisson dans la fosse, et extrait de la fameuse Habanera interprétée en chinois.

Date de diffusion :
26 février 1982
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Éclairage

Pari Impossible ? Monter Carmen de Bizet à Pékin, avec une équipe entièrement chinoise, orchestre, choeurs et chanteurs, tient en effet de la gageure, tant la musique classique européenne - malgré la présence en Chine de plusieurs orchestres symphoniques - reste dans les années 1980 éloignée du peuple, qui à quelques années de la Révolution culturelle reste encore confronté à la seule spécificité musicale du genre Opéra chinois. C'est donc à un véritable « bond en avant » culturel que se prêtent tous les interprètes et l'administration de l'Opéra Central de Pékin pour réaliser cette première apparition d'un opéra français en Chine.

L'Opéra Central de Pékin a certes monté auparavant, sans assistance étrangère, une Traviata de Verdi qu'on a dit assez anachronique. Pour Carmen, les chinois choisissent la collaboration avec un chef et un metteur en scène français pour la garantie du style et de l'authenticité, et avec des interprètes chinois pour la langue d'abord, et pour l'inscription du spectacle dans le temps et la tradition locale, afin de créer un modèle reproductible sine varietur comme il est d'usage avec l'Opéra chinois.

Ils font donc appel pour la direction musicale à Jean Perrisson, ancien directeur de la musique de l'Opéra de Nice, qui dirige à l'Opéra de Paris de 1965 à 1978 et qui, dans les années quatre-vingt, effectue sept missions en Chine pour l'Association français d'action artistique (AFAA), émanation du Ministère de la Culture, et à ce titre est appelé à diriger les orchestres symphoniques de Canton et de Shanghai. Et leur choix commun se porte sur René Terrasson, alors directeur de l'Opéra du Rhin, et déjà auteur de cinq productions différentes du chef-d'œuvre de Bizet. Monter ce Carmen impose, plus que d'habitude, la nécessité de former au style français tous les interprètes, solistes, chœurs, instrumentistes, totalement neufs à ce répertoire, et en parallèle de respecter les usages locaux en matière de comportement sur scène.

La première a lieu le 1er janvier 1982, et se révèle un événement d'une importance considérable en matière d'ouverture de la Chine sur l'étranger, sorte de pendant culturel de la fameuse visite du Président Nixon à Mao Tsé Toung en 1972.

Une reprise du spectacle a lieu en 2000, pour célébrer le 125e anniversaire de la mort de Bizet. Depuis, la Chine s'est largement ouverte au monde extérieur, on a même joué Turandot de Puccini devant les murailles de la Cité interdite, et Pékin se dote en 2008 d'un Opéra ultramoderne, où l'on joue les grands ouvrages du répertoire lyrique occidental parallèlement à d'autres genres culturels.

Pierre Flinois

Transcription

Journaliste
On peut bien le dire, Carmen n’est pas une œuvre particulièrement prude, tout au moins aux yeux des Chinois. Comment l’ont-ils pris ?
René Terrasson
Vous savez, je pense que le peuple chinois est un peu plus pudique, ce n’est pas de la pruderie. La littérature chinoise est là pour nous montrer qu’on ne recule pas devant des choses assez crues, également la peinture. Je me suis beaucoup informé sur les mœurs chinoises dans ces domaines et mon Dieu, les choses me paraissent tout à fait normales mais on est très pudiques, il y a des choses qu’on ne montre pas. Un de mes interprètes me disaient, vous savez, moi, je n’ai jamais dit à ma femme que je l’aimais mais elle le sait. Donc, les sentiments de Carmen étaient beaucoup plus perceptibles par les Chinois qu’on ne pouvait le supposer. De plus…
Journaliste
C’est peut-être l’extériorisation de ces sentiments, qui était…
René Terrasson
Voilà, c’est une extériorisation parce qu’il ne faut pas oublier que la Chine a vécu en permanence avec des femmes extrêmement fortes, la fameuse Impératrice Cixi est un personnage fabuleux. Bodard l’a mis en image dans La Vallée des Roses mais sa présence est permanente ici, en particulier au Palais d’été. Les femmes chefs de gangs sont d’une connaissance parfaite dans l’histoire chinoise, Carmen leur parlait donc.
Journaliste
Et sur le plan pratique, sur le plan vestimentaire, les décolletés et les bras nus, certains gestes comme par exemple embrasser son partenaire en public ?
René Terrasson
Ça, embrasser on n’y est pas arrivé. On n’y est pas arrivé parce que embrasser un partenaire en public, on serait arrivés à l’opposé. On aurait eu un choc qui aurait démoli ce que nous voulions exprimer. Donc j’ai gommé ça et j’ai remplacé ce geste d’embrasser par simplement un…
Journaliste
Une accolade ?
René Terrasson
Une sorte d’accolade, mais pour le reste, les décolletés, les premiers temps, oui effectivement ça a posé des problèmes. Et un grand jour, je me suis fâché, là, c’était avant de taper sur la table. Je me suis fâché et j’ai dit, écoutez, maintenant, c’est fini les châles sur les épaules, les épingles à nourrices, fermons le col, je n’en veux plus ! Alors écoutez, au bout du compte, nous sommes arrivés hier à faire la sixième représentation et avec stupéfaction, j’ai vu que ma deuxième Carmen , [Wan Yu Ying] qui est une fille superbe et sauvage avait tout simplement décousu le bas de sa robe que j’avais pudiquement fermé pour laisser voir les jambes qu’elle a superbes et gainées de bas résilles.
Journaliste
Délaissant précisément cet aspect extérieur, Carmen leur est plutôt décrite comme étant l’expression d’une forme de liberté tout autant qu’une critique de la noblesse. Cette pièce, précise-t-on encore, peut susciter des controverses et l’orateur conclut en invitant son public à lui faire part de ses réflexions et de ses impressions, qui lui permettraient ainsi d’améliorer son propre jugement.
(Bruit)
(Musique)
René Terrasson
Un dernier conseil, qu’elle ne cherche pas à refaire exactement ce qu’elle a fait à la générale, qu’elle recommence à vivre son personnage par l’intérieur, uniquement avec sa personnalité à elle sans chercher à…
Inconnu
[Chinois]
René Terrasson
Recréer le personnage une nouvelle fois.
(Musique)